Première scène, un plan séquence sur Louis Garrel qui se lève du lit où dorment son frère et une femme, traverse l'appartement en désordre, enlève la cigarette de la bouche de son père endormi, va sur le balcon et se retourne vers la caméra pour s'adresser au spectateur, puisque je ne suis pas le héros, je serai donc le narrateur. Nous voilà d'emblée dans la distanciation chère à Godard, avec le personnage qui prend à partie le spectateur et qui le rend complice du fait que tout cela n'est que du cinéma. La référence au Suisse le plus célèbre du cinéma français est omniprésente, comme cette scène où Jonathan au lit avec Alice se cache derrière des couvertures de livres, citation directe de "Une Femme est une Femme", ou l'utilisation de fragments d'enseignes lumineuses pour composer des messages.
Donc, notre narrateur nous explique que tout a commencé quand son frère est parti vivre à la campagne avec Anna : flash-back. Et là, Christophe Honoré nous inflige pendant vingt minutes une suite de scènes de ménage lourdingues, et on se dit que c'est bien mal parti. Heureusement, de retour à Paris, dans le huis-clos de l'appartement plus que dans le périple de Jonathan, les personnages ont enfin le temps de s'installer au travers de scènes comme celle où Mirko fait l'éloge du bouillon de poule, ou celle où Paul retrouve un 45 t de son enfance et sort pour la première fois de son mutisme en psalmodiant "Cambodia" de Kim Wilde.
Paradoxalement pour un film aussi construit, pour ne pas dire fabriqué, c'est la qualité du jeu des acteurs qui permet d'oublier toutes ces afféteries. Romain Duris bien sûr qui n'a pas son pareil pour jouer la stupeur quand il se prend une baffe rétroactive de son père ; Guy Marchand, insupportable et tellement touchant, incapable de dire simplement ses sentiments. A cet égard, la scène entre Marie-France Pisier et lui est un régal, et l'un et l'autre manifestent alternativement et conjointement tendresse et agacement.
Parfois, on va même du côté de Demy, comme ce balai de Jonathan et d'Alice sur l'esplanade des Invalides, ou cet échange téléphonique chanté entre Paul et Anna. Ce sont aussi ces petits moments de grâce, tel cette scène où Paul lit à Jonathan "Loulou", de Grégoire Solotareff, un album qu'il lui avait offert quand il était enfant, qui permettent de pardonner la boursouflure dans la mise en scène et l'excès dans le scénario (la réminiscence de la soeur morte est juste too much), et de sauver ce film inégal et bancal.
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