Toute ressemblance entre les faits décrits dans le film et la réalité sociale... n'est nullement fortuite : "En 2002, quasiment du jour au lendemain, la police s'est démultipliée de façon flagrante. J'en voyais de plus en plus : des policiers à rollers, en voiture, à vélo, en fourgon, à pied. J'ai été très frappée par cela, ainsi que par des contrôles d'identité totalement arbitraires auxquels j'ai pu assister. Il faut savoir que depuis cette date, les gardes à vue ont augmenté de 57%, la police a des quotas à respecter, et ils doivent obéir", explique Emmanuelle Cuau, qui parle de Très bien, merci comme d'un "film de citoyenne". Elle poursuit : "Octave, dans La Règle du jeu de Renoir, dit à un moment donné : " Ce qui est terrible sur cette terre, c'est que tout le monde a ses raisons ". Dans mon film, Alex a ses raisons, il a le droit d'assister au contrôle de la police. La police, quant à elle, a le droit de le tutoyer et de l'embarquer au poste. Elle a également le droit de l'emmener à l'hôpital. Le médecin a le droit de faire signer une HDT (Hospitalisation à la Demande d'un Tiers) à Béatrice, etc. Quand chacun est dans son droit, que se passe-t-il ? Je n'ai pas de réponse, mais je trouve la question très inquiétante." Et elle précise que ses deux comédiens étaient en parfait accord avec cette vision : Sandrine et Gilbert ont une conscience très forte de ce qui se passe en ce moment."
Très bien, merci marque le retour de Sandrine Kiberlain, après presque deux ans consacrés à la chanson, avec la sortie de l'album Manquait plus qu'ça et une série de concerts. Mais c'est aussi le retour, derrière la caméra, d'Emmanuelle Cuau. Née en 1964, soeur de l'actrice Marianne Denicourt, cette réalisatrice est l'auteur en 1993 du court métrage Offre d'emploi, dans lequel une jeune fille se prépare à un entretien d'embauche (une situation qu'on retrouve dans Très bien, merci) et en 1995 d'un premier long métrage très remarqué, Circuit Carole, étude d'une relation mère/fille (Bulle Ogier/Laurence Côte). Entre ce coup d'essai et Très bien, merci, son deuxième long métrage, elle travaillé pour la télévision (De mère inconnue dans la collection Combats de femmes, et un épisode de la série Pepe Carvalho) et co-écrit le scénario de Secret Défense de Jacques Rivette.
Une des questions posées par Très bien, merci est celle des internements abusifs en milieu psychiatrique. La réalisatrice précise : "J'ai connu quelqu'un qui a passé une grande partie de sa vie en hôpital psychiatrique. Elle me disait : "Je ne suis pas folle, mais je ne suis pas adaptée à ce monde ". Et je la comprenais, c'est nous qui sommes fous de pouvoir nous adapter à ce monde-là. J'allais régulièrement voir cette personne dans une clinique où elle était hospitalisée. Là-bas, j'ai rencontré un homme, Moïse. Sa famille l'avait fait venir d'Israël. Arrivé à l'aéroport de Roissy, ses parents l'attendaient avec une ambulance, et l'ont fait hospitaliser d'office dans cette clinique psychiatrique. Je parlais souvent avec Moïse, et j'ai voulu réaliser un documentaire sur lui. Mais le projet était compliqué. Dès qu'on approche le terrain de la psychiatrie, les institutions prennent peur. J'ai alors décidé de partir de cette histoire, et de ce que je voyais régulièrement dans cette clinique, pour écrire une fiction."
Plusieurs séquences du film montrent le personnage de Béatrice dans le cadre de son activité de chauffeuse de taxi, face à des passagers. Emmanuelle Cuau revient sur le choix de cette profession : "Quand je prends le taxi, soit le chauffeur parle beaucoup, soit c'est moi qui l'abreuve de paroles, soit c'est le silence. Le taxi peut devenir, le temps d'un trajet, l'occasion de s'offrir une " petite psychanalyse ". Au départ, Béatrice n'était pas chauffeur de taxi, elle faisait un boulot de traductrice à domicile. Mais en lisant le scénario, un ami m'a demandé : " Où est la normalité, là-dedans ? ". Mais dans ce monde-là, qu'est-ce que la normalité ? Qui peut dire : " Il est normal ", " Elle n'est pas normale ". Quels sont les repères ? Pour essayer d'en avoir quelques uns, Béatrice est alors devenue chauffeur de taxi, afin d'être en contact avec les gens de la rue, les gens " normaux."
La cinéaste parle de la comparaison entre son film et l'univers de Kafka : "Kafka, c'est l'irrémédiable, l'absurdité jusqu'au bout, alors que dans le film, il y a une césure, une cassure, au moment où Alex retrouve un travail par un biais qui contourne la loi. Mais c'est vrai qu'au début du film, l'engrenage de la société, l'engrenage administratif, peut devenir,l'air de rien, subrepticement, l'engrenage de la folie. Lorsque la directrice de la clinique dit à Béatrice : " Votre mari a besoin de soins, je ne peux pas vous en dire plus ", on peut penser à l'arbitraire de l'arrestation de Joseph K. au début du Procès de Kafka. Quand Joseph K. tente de comprendre la situation, les huissiers lui rétorquent : " Parce que la loi est ainsi faite ". Pour quelle raison cet homme est-il arrêté ? Simplement parce qu'il existe. Prouver que l'on existe, c'est un procès sans fin."
La co-scénariste Agnès Caffin et le chef-opérateur Bruno De Keyzer font tous deux une apparition dans le film, dans le rôle de deux patients de l'hôpital psychiatrique : "la femme aux cigarettes" et "l'homme aux mains".