Pascal Thomas précise ses intentions : "La loi de 48 n'est qu'un prétexte. Le film s'oppose à l'asservissement de l'homme par l'argent. C'est une variation sur le thème de l'ermitage, qui est un paradis limité dans l'espace, protégé du monde. Le grand appartement est un lieu enchanté, sauvegardé des maux que subit notre société dévastée par les programmes immobiliers et abrutie de publicité. Je cherche à comprendre le monde tel qu'il ne va pas, mais paradoxalement le film peut être vu comme une célébration du bonheur d'être en vie. Sans doute parce que j'aime représenter les hommes dans ce qu'ils ont de meilleur. Plutôt que détruire ou filmer contre, je préfère construire et chanter ce que j'aime, ou ce que j'ai aimé."
Comme souvent chez Pascal Thomas, le casting du Grand appartement est riche en personnalités venues de tous horizons... et en surprises. Si les trois rôles principaux sont tenus par des nouveaux venus dans son univers (Laetitia Casta, Mathieu Amalric et Pierre Arditi), on note la présence d'un vieux complice du cinéaste, Maurice Risch, vu dans Nono Nénesse, Un oursin dans la poche, Mercredi, folle journée ! et Mon petit doigt m'a dit. Dans ce dernier film, le cinéaste avait offert à Pierre Lescure son premier rôle au cinéma, celui d'un commissaire débonnaire. L'ancien patron de Canal + travaille cette fois dans une brasserie située rue... Rousselet (faut-il y voir une malicieuse allusion à André Rousselet, l'ancien patron de la chaîne cryptée ?). François Morel, qui fait une apparition-clin d'oeil en automobiliste bougon, joue le rôle de l'inspecteur dans L'Heure zéro, le film tourné par Pascal Thomas juste après Le Grand appartement. Figurent également au générique de grands noms du cinéma et du théâtre français (Gisèle Casadesus, Bernard Verley ainsi que deux fameux acteurs-réalisateurs, Cheik Doukouré (auteur du Ballon d'or) et Noémie Lvovsky.
"Plus des deux tiers du film ont été conçus au moment du tournage", confie le cinéaste, pour qui le scénario doit être soumis à une constante évolution. Il précise : "(...)un film n'est pas obligatoirement ce qui est écrit, mais ce qui va être filmé et projeté sur l'écran. Et (...) le scénario de celui-ci, comme celui de mes précédents films, ne [s'arrête] qu'à la fin du mixage, après avoir passé des étapes autrement plus importantes : le choix des décors et du style photographique, le tournage et la direction d'acteurs, et enfin l'essentiel, le montage et le mixage, dont aucune des commissions décidant du financement de tel ou tel film ne se préoccupe jamais, bien heureusement. Confiants dans notre énergie, nos coproducteurs ont donné la prééminence au filmé et non pas à l'écrit. Cette attitude est d'ailleurs parfaitement accordée à ce cinéma attaché au mouvement de la vie et dont la manière et la méthode de ses plus grands représentants, Jean Renoir et Leo McCarey, s'arrangeaient mal des exigences des studios qui prétendaient tout prévoir."
Le Grand appartement est un projet ancien que Pascal Thomas devait au départ tourner en 2002. Le cinéaste avait alors songé à un tout autre casting (qui comprenait notamment Vincent Lindon, Jean Rochefort, Cécile de France, Zabou Breitman et Arielle Dombasle) et l'histoire était très différente. "(...) le film avait été arrêté à trois jours du début du tournage parce que je n'avais pas voulu céder aux exigences d'une chaîne coproductrice", se souvient le cinéaste. "On avait alors démoli le décor, payé les techniciens et nous étions passés à autre chose. L'été 2005, je sortais du succès de Mon petit doigt m'a dit et pour des raisons diverses il me fallait enchaîner avec un autre film. Nous cherchions alors un sujet avec Laetitia que j'avais trouvée plus qu'épatante dans Ondine de Giraudoux. Comme je l'avais déjà fait pour La Dilettante, je transformai le rôle masculin du Le Grand appartement (première version), le remodelai pour Lætitia qui est ainsi devenue le pivot du film. Pierre Arditi et Mathieu Amalric, amusés par ce projet où pourtant leur rôle n'existait pas encore, nous ont rejoints."
Pascal Thomas définit les différents personnages de son film : "Mes personnages semblent n'avoir pas vraiment grandi ou être restés en marge de la maturité. Ce sont des naïfs, d'éternels adolescents, des rêveurs, des innocents, mais des gens qui donnent beaucoup d'eux-mêmes, et ainsi restent dans le grand courant d'échange de la vie. Comme Annie dans Pleure pas la bouche pleine, Brigitte dans Confidences pour confidences, Pierrette dans La Dilettante, Francesca est une femme libre. Sa règle de vie ressemble au Never explain, Never complain des rudes familles qui exigent de leurs membres de la tenue. Comme celles qui l'ont précédée, Francesca n'est pas soumise aux modes, ni à l'air du temps. Elle est la preuve vivante, très vivante que c'est le caractère qui compte avant tout et qui s'impose."
Adrien, le réalisateur auquel Pierre Arditi prête ses traits, un personnage que Pascal Thomas qualifie lui-même d'"egoïste et généreux, goinfre mais raffiné, somptueux avare doué d'une vitalité stimulante" serait-il un autoportrait du réalisateur ? Ce qui est certain, en tout cas, c'est que le film comporte des éléments autobiographiques. "Bien sûr il y a des points de rencontre entre le film et notre vie personnelle", avoue le cinéaste. "Ce grand appartement de 400 m2, nous l'avons connu. Il a été encore plus accueillant que celui du film. Il y avait des enfants partout, les grands-mères habitaient avec nous et les amis débarquaient à n'importe quelle heure du jour et de la nuit. En effet, il y avait dix-huit clés qui se baladaient. C'était un temps enchanteur où les difficultés et les laideurs qui envahissaient notre société urbicide, linguicide, ne semblaient pas nous atteindre. Notre devise était "Quoi qu'il arrive, ne nous laissons pas abattre, la vie continue"."
Laetitia Casta a beau s'être fait connaître comme top-model, sa garde-robe dans le film est des plus simple. Le cinéaste explique : "La belle nature de Lætitia Casta, sa vitalité à la Magnani, l'ont conduite naturellement au personnage de Francesca. Pour la vérité du rôle, elle n'avait pas besoin de maquillage ni de sophistication vestimentaire. Maud Molyneux et moi étions d'accord que les hommes du film, plus fragiles, plus soumis aux apparences, devaient être habillés par un grand tailleur, et comme nous les voulions élégants, nous avons choisi le meilleur, Sifonelli. Par contre, au personnage incarné par Lætitia qui s'oppose à ce monde envahi par le prêt-à-porter, pouvait être appliqué le principe de la malle fourre tout dans laquelle elle piochait au gré, non pas du hasard ou de la coquetterie mais de la simple nécessité vestimentaire sans jamais tenir compte de ce qui pouvait lui aller ou pas. D'ailleurs tout lui allait. La beauté n'a pas besoin de parure."
Le grand appartement qui est au coeur des enjeux du film est soumis à la loi de 1948. Imaginée alors que le pays connaissait une crise du logement, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, cette loi votée le 1er septembre 1948 prévoyait que les loyers de certaines habitations (déjà déjà construites) soient fixés chaque année par décret, et assurant aux locataires le maintien dans les lieux -deux dispositions très favorables aux locataires. Le parc de logements concernés par cette dérogation s'est fortement réduit au fil des ans, les travaux de réhabilitation faisant sortir l'habitation du cadre de cette loi.
Le cinéaste a écrit le scénario en compagnie de François Caviglioli et Nathalie Lafaurie, tandem avec qui il avait déjà collaboré, notamment sur ses deux précédents films. Le Grand appartement marque aussi sa sixième collaboration (pour le cinéma) avec le chef-opérateur Renan Pollès, la quatrième avec Maud Molyneux (pour les costumes) et Catherine Dubeau (pour le montage), la troisième avec le compositeur Reinhardt Wagner et la deuxième avec Katia Wyszkop (pour les décors).
Une scène du Grand appartement a été tournée à Florence, pendant le Festival du film français organisé chaque année sous la férule du critique Aldo Tassone, qui joue d'ailleurs son propre rôle dans le film. Pascal Thomas fait lui aussi une apparition dans cette séquence.