Lorsqu'il était l'assistant réalisateur de René Allio sur Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma soeur et mon frère, Nicolas Philibert n'avait que 24 ans. Chargé entre autres du casting, c'est lui qui recruta, parmi les paysans de la région, ceux qui interprèteraient des rôles. Si ce parti pris donnait au projet une dimension humaine, choisir des amateurs plutôt que des professionnels comportait aussi de nombreux obstacles : "Il allait falloir battre la campagne à la recherche de nos personnages, vaincre le scepticisme avec lequel ils accueilleraient le projet, le rendre crédible à leurs yeux, et réussir à les entraîner dans une aventure à laquelle ils n'étaient absolument pas préparés. Avec Gérard Mordillat - l'autre assistant - nous avons donc passé près de trois mois, allant de ferme en ferme, de comice agricole en réunion syndicale pour trouver les acteurs et faire partager notre conviction", se souvient Nicolas Philibert. Devenu réalisateur, c'est vers ces mêmes apprentis acteurs qu'il est retourné 30 ans après, pour tourner, sous le titre évocateur, Retour en Normandie.
Si Nicolas Philibert a souhaité réaliser Retour en Normandie, c'est parce que son expérience d'assistant-réalisateur sur Moi, Pierre Rivière fut une expérience fondatrice de son cinéma. Entre les nouvelles responsabilités qui lui incombaient, les difficultés financières que le projet traversa et les difficiles conditions de tournage, il retira de ce travail une aventure passionnante et formatrice. Surtout parce que René Allio demandait à tous les participants, des amateurs aux professionnels, le même investissement. "Chacun dans son rôle, nous étions habités par le même projet. Plus tard, avec le recul, j'ai mesuré la chance que j'avais eu de participer à cette aventure singulière, inédite dans le cinéma français, et avec les années, ce film ne m'a jamais complètement quitté. Il a même sans doute irrigué mon propre travail, comme une "rivière" souterraine. Probablement parce que fiction et documentaire y étaient étroitement enlacés."
Si le tournage de Moi, Pierre Rivière marqua fortement l'existence de Nicolas Philibert, il représenta aussi une étape décisive pour ses acteurs amateurs. Retour en Normandie est en ce sens un film réflexif qui parle du cinéma et de sa faculté à lier les individus les uns aux autres, même des décennies plus tard. "La plupart des témoignages recueillis évoquent cette dimension du collectif, puisque le film revient sur une expérience de cinéma partagée. On comprend que pour eux aussi, le tournage d'Allio a été une expérience déterminante, voire fondatrice, comme elle l'a été pour moi. À la fois parce qu'elle rassemblait des gens qui ne se seraient pas rencontrés autrement, mais aussi parce qu'elle nous tirait vers le haut."
C'est l'ignorance de l'oeuvre de René Allio qui a poussé Nicolas Philibert à se lancer dans ce projet: "Fin 2004, la Fémis m'a invité à venir présenter aux étudiants un film de mon choix. J'ai proposé Rivière. Aucun d'eux ne l'avait vu. La plupart ne connaissaient même pas le nom d'Allio, moins de dix ans après sa mort. Ça m'a glacé. À l'issue de la projection, au lieu de faire un débat, comme convenu, je leur ai lu des textes pendant une heure : des notes prises par Allio sur son film, des extraits de ses " Carnets "... Ils découvraient un cinéaste, une oeuvre singulière, passionnante, et ils étaient scotchés. Je suis rentré chez moi et j'ai décidé de faire ce film."
Lorsqu'il s'attela à ce projet, Nicolas Philibert savait qu'il allait se confronter à une expérience venue du passé. Par chance, il avait conservé des photos, des documents de tournage, le plan de travail et aussi son exemplaire du scénario, lui offrant un support précieux. Fort de ce matériau vieux de 30 ans, le réalisateur prit alors le train pour Caen, loua une voiture et commença dès lors à rendre visite à tous les anciens du films. "C'était très émouvant ! Les souvenirs laissés par cette histoire étaient incroyablement présents. Chacun avait tourné la page, entrepris des tas de choses, connu des hauts et des bas, mais tous parlaient de cette aventure avec un profond sentiment de gratitude. Quelques semaines plus tard, lorsque j'ai commencé à évoquer avec eux l'idée d'un film, ils ne savaient pas plus que moi à quoi il ressemblerait, mais ils étaient en confiance. Ils avaient suivi mon parcours cinématographique, connaissaient certains de mes films, et étaient restés d'une grande fidélité à Allio et à son équipe, se souvenant de chacun avec précision."
Après leurs rôles dans Moi, Pierre Rivière, aucun des acteurs du film n'a plus jamais rejoué, à l'exception de Claude Hébert qui incarnait justement le personnage de Pierre Rivière. Il est apparu dans quelques films dont La Frite de Roger Guillot ou encore La Drôlesse de Jacques Doillon. Pour autant, sa carrière d'acteur fut brève et bientôt, on ne le revit plus sur les écrans.
Retour en Normandie est présenté en Séance Spéciale au Festival de Cannes 2007.