Si je garde un souvenir plutôt flou de l'émotion causée par l'assassinat de JFK (j'avais sept ans), je me souviens très précisément de l'instant de ce mois de juin 68 déjà si particulier, où la radio a annoncé l'assassinat de Bob Kennedy, et du sentiment de fatalité et de perte de la promesse d'un avenir meilleur qu'il avait laissé au collégien en vacances forcées que j'étais.
C'est sans doute un des intérêts principaux du film d'Emilio Estevez que de restituer cet espoir au coeur d'une Amérique ravagée par l'enlisement au Vietnam et la ségrégation raciale ; on ne voit Robert Kennedy que par le biais de documents d'époque, ou alors en silhouette et de dos quand il s'agit de le mêler aux acteurs du film. Mais on comprend bien l'engouement pour le sénateur de New York, surtout quand on l'entend prononcer certains discours qui semblent s'adresser aux spectateurs d'aujourd'hui, comme celui où il explique que les économies occasionnées par un retrait du Vietnam permettraient de venir en aide aux plus démunis, ou cet entretien étonnant avec des écoliers où il leur explique les conséquences de la pollution à une époque où le mot écologie n'était encore qu'une obscure discipline universitaire.
Emilio Estevez a choisi de nous parler de cet espoir en suivant une kyrielle de personnages (joués par une kyrielle de stars) et de montrer au travers de leurs problèmes les maux et les aspirations des Américains de cette époque. Ce procédé pousse à la simplification et transforme par moments le film en une galerie d'images d'Epinal : la vedette alcoolique qui humilie son batteur de mari, la jeune fille qui a accepté un mariage blanc avec un copain de classe pour l'empêcher de partir au Vietnam et qui en tombe amoureux, la femme qui se désespère parce qu'elle n'a pas de chaussures assorties à sa robe de soirée...
Vidés de leur consistance, engoncées dans des robes-carcans de Cardin, casquées de choucroutes vertigineuses et affublés des délires de la lunetterie de l'époque, la plupart de ces personnages ont du mal à exister au delà du cliché. Certes, quelques uns en réchappent, comme les deux jeunes volontaires de la campagne qui reçoivent d'un hippie christique leur sucre au LSD comme une ostie et vivent leur premier trip, ou surtout Miriam, épouse trompée et coiffeuse-confidente, jouée par une Sharon Stone qui domine une distribution inégale.
Le film trouve enfin un rythme avec la scène finale, quand on comprend le lien qui unit tous les personnages, et qu'images d'archive et reconstitution se mélangent alors que l'on entend le discours d'avril 68 contre la violence. Sympathique mais un peu mou, "Bobby" se perd dans le dédale des couloirs et des cuisines de l'Ambassador, et passe à côté du film altmanien qu'il aurait pu être.
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