L'histoire d'une adolescente qui prend conscience d'une certaine vacuité, la sienne, mais surtout celle du monde qui l'entoure.
Vous prenez toutes les statistiques de la vie française, vous vous concentrez sur la banlieue, ce No man's land destiné à la consommation et à l'endormissement, vous secouez tout cela avec la finesse d'une femme de l'Est qui peut comparer, et vous obtenez ce film. Un truc étonnant, calibré film d'auteur mais qui reste plus que supportable.
Pour une fois, la caméra fixe a une raison, une raison intellectuelle et esthétique que l'on ne découvre qu'à la dernière minute, mais c'est tellement bien vu que l'on a envie d'applaudir des deux mains.
Vous voyez dans ce film que l'on ne peut plus filmer un être humain dans une banlieue dortoir moderne sans une publicité. On peut penser à une écriture cinéphilique moderne, à la Houellebecq, mais ce n'est pas du tout ça, la cinéaste ne cherche pas à avoir un style, le matraquage intellectuel et le harcèlement esthétique de la pauvreté de la publicité 4/3. Quelque part, même la réclame du siècle dernier, par son côté artisanal apportait plus d'âme à la campagne que ces visuels tellement marketés qu'ils ne peuvent plus surprendre et tellement lisses (de peur de perdre 1/100ème de part de marché) qu'elle n'intéressent plus que les débiles mentaux.
Et surtout, comment un adolescent qui n'a pas un discours construit ou qui est tenté par un cynisme branché récupéré par les publicitaires, comment cet adolescent peut donner un sens à sa vie si la seule chose qu'on lui propose, c'est le Mac Do, le Carrefour ou le Leclerc, les courses chez Jennyfer ou Zara suivant son argent de poche. Et je ne parle pas d'un retour aux valeurs de la religion, la liberté de penser et d'agir existe, chez les écologistes (non politiques, les vrais), chez les artistes et bien d'autres, et il n'y a pas de guerre chez eux.
La banlieue est montrée ainsi, elle donne non seulement envie de gerber, mais en plus, elle est dangereuse. Par à cause de ses occupants, la réalisatrice a facilement évité le problème qui n'avait rien à voir avec son propos, elle est dangereuse parce qu'elle lave la sensibilité. Et pas seulement le cerveau.
Oui, l'avenir que nos parents nous ont laissé est mal barré, oui les idéologies foireuses et systématiques sont toutes tombées comme des murs d'allumettes, et le fait que ce soit la plus chaotique qui survive ne prouve pas sa valeur loin de là. D'ailleurs, gagner plus que son voisin n'est pas une idéologie, c'est une envie, ce sont les néo libéraux qui sont idéologues, pas les capitalistes. Oui, les métiers modernes n'offrent plus parfois que la satisfaction du trajet et du repas de midi (surtout le trajet du retour à vrai dire). Surtout un adolescent qui n'a connu que ces errances innombrables dans les RER et les kilomètres à avaler de la merde visuelle pour simplement mendier une séance de jeu vidéo à deux ou du shopping entre copines.
Il n'y a pas que la banlieue et l'avenir des jeunes qui est abordé, il y a aussi la lâcheté et l'égoïsme des adultes. Une fois, une jeune mère de famille m'avait critiqué sur mon égoïsme à ne pas faire d'enfants, je lui avait répondu que les seuls personnes non égoïstes à ma connaissance étaient ceux qui s'occupaient de ceux des autres, comme l'Abbé Pierre, mais certainement pas les parents du monde entier, qui décident généralement de faire des enfants pour eux même ! Pour qu'on les appelle « mère » ou « père », pour leur donner cette impression rapide de grandir et d'acheter de la maturité en couche, pour que quelqu'un soit obligé de les aimer au moins pendant 8 ou 12 ans, et surtout pour qu'ils aient l'impression d'exister dans une société où beaucoup de choses se résument à l'apparence ou à remplir un emploi du temps pour ne pas paraître seul. Ici, on observe que faire des enfants reste du domaine du caprice dans les pays où l'on peut utiliser la pilule, on le fait, dès que le couple se casse, on l'assume plus ou moins seul, puis lorsque l'on aimerait être heureux ou heureuse, le paramètre « enfant » passe vite à la trappe, que ce soit pour des problèmes de travail ou de coucheries.
Il faut saluer le courage d'Ascaride pour ce rôle ingrat.
La perfection, à part deux ou trois scènes où elle surjoue légèrement, c'est la petite Demoustier, une performance totale, sans frime, sans pathos, sans haine. Une ado est prise dans la tourmente du vide intérieur et extérieur, on ne lui donne aucun schéma à suivre, et la société faillit à lui donner un intérêt à en suivre un. Elle incarne sur ces frêles épaules cette solitude intolérable, dont on ne peut se débarrasser que par la violence ou le suicide. Elle choisit l'absence d'elle-même. Et dans les RER, on voit tant de fantômes.
Ce film est magnifique, exigeant dans sa forme comme tous les films d'auteurs un peu classes, mais superbe.