En 2002, Patrice Leconte assistait à une représentation de Leonce et Lena de Georg Büchner. Il reste frappé par la musique d'Etienne Perruchon et lui demande d'autres de ses compositions. C'est alors qu'il tombe sur Dogora, un morceau de vingt-cinq minutes aux accents slaves qu'il écoute en boucle.
Plus tard, Patrice Leconte se rend pour la première fois au Cambodge. Le pays le bouleverse : "Jamais encore, je n'avais ressenti de telles émotions. Ce ne sont pas celles d'un citadin européen apitoyé par des modes de vie précaires. Non, ces émotions sont inédites, graphiques, intimement humaines, comme si chaque visage, chaque posture, chaque regard était un hymne à la vie." Le regard du cinéaste était à l'oeuvre.
Et un jour, au détour d'une rue, la mélodie de Dogora lui revient à l'esprit : "L'union, a priori contre nature, de ce pays d'Asie et de cette musique qui évoque parfois l'Europe Centrale, s'est imposée à moi (...). J'ai alors su que je ferai un film au Cambodge, un film sans parole, sans aucun commentaire, uniquement habité par la musique d'Etienne Perruchon (...)." Dogora Ouvrons les yeux était né.
La langue utilisée dans la musique qui accompagne le film n'existe pas. Elle est le fruit de l'imagination du compositeur Etienne Perruchon. "J'ai inventé un langage imaginaire qui regrouperait toutes les influences vocales européennes. (...). La mélodie des mots devait être si forte qu'elle donnerait un sens aux phrases." Sorte d'Esperanto moderne, cette nouvelle langue s'appelle le Dogorien.
Pour le film, l'équipe est partie enregistrer en Bulgarie avec un choeur d'une centaine enfants. Les paroles avaient même été traduites en alphabet cyrillique pour qu'ils puissent les lire : "Il y avait quelque chose de magique à voir ces jeunes artistes apprendre dans leur langue, une langue inventée qu'ensuite tout le monde ressentirait."
"Ce film concerne tous ceux qui sont sensibles à la condition humaine, expliquent les producteurs Frédéric Brillion et Gilles Legrand, chez nous, il a provoqué une prise de recul, des interrogations, des émotions au point d'en avoir les larmes aux yeux". En outre, si Dogora génère des bénéfices, toute l'équipe s'est engagée à "en reverser une partie importante à des oeuvres humanitaires qui, au Cambodge, font un travail exceptionnel pour l'éducation et la protection des enfants". Un beau geste en accord avec la démarche atypique qui a abouti à ce film.
Le film commence par le titre "Pour Lucie". Cette dédicace s'adresse à la petite-fille de Patrice Leconte. "Je suis grand-père depuis quelques mois, explique le réalisateur, il ne s'agissait pas de lui dédier le film (...), mais d'espérer que plus tard, quand elle verrait Dogora Ouvrons les yeux, elle comprenne que dans le Monde, ailleurs, il y a des enfants qui font de leur mieux pour survivre, et qui n'ont pas la chance qu'elle a d'être née par ici..."