Comparer les trois adaptations à l’écran du roman de Richard Matheson est d’autant plus intéressant que l’on peut voir dans chacun des trois films une préoccupation propre à une époque. Pour cela, il faut recentrer l’analyse sur le personnage féminin, qui sans être central, est essentiel, d’un point de vue dramatique. Quand Matheson publie « I am Legend », en 1954, on est en pleine guerre froide, et l’adaptation, assez fidèle du tandem Sidney Salkcow, Ubaldo Ragona, en semble encore bien imbibée. Le personnage de Ruth, espèce d’agent infiltré, a pour mission de séduire le héros et de le tuer. Cette mission reflète bien la peur collective d’une bonne partie des Américains contre les « Comies ». En effet, selon la croyance populaire aux Etats Unis à l'époque, plusieurs agents soviétiques, avaient été parfaitement conditionnés, pour se fondre à l'Ouest, partout, dans ses institutions, les arts ou les médias, et comme Ruth dans nos foyers, et ce, pour éliminer des cibles importantes. Cette phobie "rouge" a donné lieu à de nombreuses errances, mais on sait depuis plus d'une vingtaine d'année, après l'effondrement du bloc communiste, et l'ouverture des archives du KGB, que cette peur était loin d'être infondée. Même, avec des scènes un peu incongrues, cette adaptation est d’une grande qualité, portée surtout par l’exceptionnel talent de Vincent Price. La deuxième adaptation, en 71, « The Omega Man » de Boris Sagal, reflète énormément les soubresauts de la société Américaine face aux revendications des Afro-Américains en termes de droits civiques. La présence de l’actrice Afro-Américaine Rosalind Cash n’est pas fortuite. Les scènes d’amour entre Charlton Heston et elle, étaient un peu faite pour créer l’émoi social et médiatique, le « buzz », dirions-nous aujourd’hui. Un peu à l’instar des réalisateurs qui ont fait tourner à l'époque Sydney Poitiers. Sauf que Sagal n’est, hélas, pas Norman Jewison, et la musique qu’il choisit, les scènes d’action, ainsi que les monologues qu’il met en scène, sont hyper lourds. Tout cela fait que cette version est assez pénible, et a bien plus vieilli que « The Last Man… » , pourtant en noir et blanc. La Troisième adaptation, en 2008 de Francis Laurence, « I Am Legend » reflète d’autres préoccupations. Notamment la polémique concernant l’afflux toujours plus massif, sur le sol Américain, d’immigrés venus non plus seulement du Mexique, mais aussi d’autres pays d’Amérique Latine. Le choix d’Alice Braga, cette actrice Brésilienne, mais au look et à l’accent latino, n’est évidemment pas fortuit. Prenant totalement le contrepied de Matheson, Laurence choisit un scénario, où le personnage amène le danger, mais va surtout avoir une fonction salvatrice collective. Ne peut-on pas voir dans ces choix un message sous-jacent de Laurence ? Un message que porte Hollywood, depuis deux ou trois décennies : « l’immigration n’est certainement pas une fatalité, mais sûrement une chance ». Il n’est pas anodin non plus que les scènes d’action soient ultra spectaculaires, et qu’on ait choisi un acteur issu du spectacle, du showbiz, un ex « comedian », pour incarner Neville. Si Will Smith est peu crédible en scientifique, et que ses habituels cabotinages, à juste raison, en crispent beaucoup, l’acteur, dans roulant à tombeau ouvert, dans sa Mustang rutilante, reflète à merveille l’obsession de ce début de siècle qui veut que tout soit spectacle.