« Le Convoi des braves » (encore une traduction française pompeuse d'un titre original bien plus subtil pour un film de Ford) est très représentatif de l'art du cinéaste américain. A vrai dire, tout semble harmonieux et couler de source, à tel point que c'est peut-être l'un de ses films les plus réjouissants, l'air de rien. J'y repense encore plusieurs semaines après l'avoir vu. A première vue pourtant, le sujet n'est pas spécialement extraordinaire. Tout d'abord il met en scène des Mormons austères, partis en quête de la Terre promise. De plus, la majeure partie du film consiste à suivre leur exode, cette longue caravane de chariots, dans une nature hostile. Enfin, il n'y a pas à proprement parler de héros dans ce long métrage, plutôt une mosaïque de personnages, tous traités avec la même attention. Maintenant, examinons ces aspects plus en profondeur. Certes oui, c'est simplement « une histoire de Mormons ». Mais on s'en doute, dépeints par Ford, ils sont plus attachants à mesure que se déploie l'intrigue : untel jure comme un charretier, la grand-mère s'en donne à cœur joie quand elle joue de la trompe dès qu'il s'agit de remettre en marche la troupe, certains sont jaloux... Et qui plus est, d'autres personnages viennent pimenter le récit, dont une troupe de saltimbanques accueillis fraichement par nos Mormons puritains, qui les voient rejoindre leur périple d'un mauvais œil. Un aspect qui rappelle la prostituée de « La Chevauchée fantastique », elle aussi pointée du doigt par de vieilles dames inhospitalières... et inhumaines, malgré la foi qu'elles professaient. Parmi ces personnages additionnels (et non des moindres) signalons le fameux « wagon master » du titre américain, l'homme qui sert de guide à tous ces Mormons, après une scène de marchandage d'anthologie : un certain Travis Blue, excellemment interprété par Ben Johnson. Il joue en effet un jeune aventurier pas né de la dernière pluie, qui bien qu'aux manières rustiques et à première vue limité, connaît l'Ouest comme sa poche et ne manque pas de ressources face à l'imprévu. Il est accompagné d'un jeune « benêt » fort sympathique, incarné par un excellent - lui aussi - Harry Carey Jr. Comme toujours, Ford s'intéresse au choc des extrêmes, à la rencontre entre des personnalités opposées, matérialisées par ce trio : les Mormons, les deux aventuriers et les saltimbanques, chacun avec leur sens de l'honneur, leurs codes, leurs qualités et leurs défauts. Ainsi, le temps que passent ces personnages ensemble les humanise, ils apprennent à s'apprivoiser, et ressortent grandis de leurs péripéties. De tout cela ressort une galerie de personnages savoureuse, et l'on passe un fort agréable moment en leur compagnie. Sans oublier la colonne vertébrale de ce long métrage : la foi en un avenir meilleur, ce courage, cet allant qui pousse des familles, tant bien que mal, à traverser les États-Unis pour établir leur chez-soi à bien des kilomètres de leur foyer d'origine. Cet esprit de pionnier, Ford le retranscrit comme personne, et s'il le nuancera par la suite dans d'autres de ses films, c'est ici qu'il est peut-être le plus brillamment illustré. En bref, un film d'apparence modeste, qui figure à mon sens dans les grandes réussites de John Ford, ce qui n'est pas peu dire.