Après Le Diable n’existe pas, son précédent film, il a fallu quatre ans à Mohammad Rasoulof pour se lancer dans un nouveau projet. Au cours de ces années, le cinéaste a écrit plusieurs scénarios, mais ce qui l’a finalement conduit vers Les Graines du figuier sauvage est une nouvelle arrestation à l’été 2022. Il se rappelle : "Cette fois, mon expérience en prison a été singulière car elle a coïncidé avec le début du mouvement « Femme, Vie, Liberté » en Iran."
"Je suivais, avec d’autres prisonniers politiques, les changements sociaux depuis l’intérieur de la prison. Alors que les manifestations prenaient une ampleur inattendue, nous étions stupéfaits par la portée des protestations et le courage des femmes."
Les Graines du figuier sauvage a été présenté en Compétition au Festival de Cannes 2024, où il a reçu le Prix spécial du Jury, ainsi que le le Prix du jury œcuménique. Mohammad Rasoulof connaît bien la croisette puisque plusieurs de ses films y ont été montrés et récompensés, comme Au revoir, Les Manuscrits ne brûlent pas et Un homme intègre.
Lorsque Mohammad Rasoulof a été libéré de prison, il s'est posé la question suivante : sur quoi dois-il faire un film ? "J’ai repensé à une confession que m’avait faite un membre du personnel de la prison d’Evin, et qui était restée gravée en moi : en pleine répression généralisée du mouvement « Femme, Vie, Liberté », alors qu’il visitait les cellules des prisonniers politiques, cet homme m’a pris à part pour me dire qu’il voulait se pendre devant l’entrée de la prison."
"Il souffrait d’un intense remords et ne pouvait pas se libérer de la haine qu’il éprouvait pour son travail. De telles histoires me convainquent que le mouvement des femmes en Iran finira par s’imposer et atteindre ses objectifs. Les répressions peuvent temporairement maintenir la situation sous contrôle pour le gouvernement, mais finalement le mouvement vaincra."
Dès sa libération, Mohammad Rasoulof a voulu réaliser un nouveau film pour contribuer à cet effort. Mais il n’est pas simple de rassembler des personnes prêtes à endosser les risques d’un tel projet. Il a ainsi fallu au réalisateur plusieurs mois pour réunir les acteurs et l’équipe technique. Il se souvient :
"La peur d’être identifié et arrêté jette une ombre sur tout. Mais des solutions peuvent toujours être trouvées. Nous avions une équipe restreinte et un équipement technique minimal, mais la compétence du chef opérateur et de ses assistants a su en compenser les limites."
Le choix des acteurs a été compliqué. Mohammad Rasoulof ne pouvait pas procéder à un casting large, car cela aurait impliqué d’informer de nombreuses personnes de la mise en chantier d'un film : "Nous avons donc contacté les personnes une à une. Nous devions deviner qui, en plus de ses capacités artistiques, aurait la volonté et le courage de jouer dans un tel film. Il est délicat de savoir qui approcher, et cela demande beaucoup de confiance de toutes parts."
"Pour les deux acteurs qui incarnent les parents, cela fut relativement simple. En plus d’être une excellente actrice, Soheila Golestani (Najmeh) a pris une position politique et sociale claire en faveur du mouvement « Femme, Vie, Liberté ». Elle a été emprisonnée mais cela ne l’a pas empêchée de persister dans ses positions. Quant à Missagh Zareh (Iman), j’avais travaillé avec lui pour mon film Un homme intègre, et depuis nous attendions l’occasion de collaborer à nouveau."
"Je savais qu’il avait longtemps refusé de travailler pour le cinéma officiel iranien en protestation contre la censure."
"Je ne peux pas expliquer comment, mais nous avons réussi à contourner le système de censure. Le gouvernement ne peut pas tout contrôler. En intimidant et en effrayant les gens, ils essaient de donner l’impression qu’ils maîtrisent tout, mais cette méthode est une grenade assourdissante dont seul le bruit peut vous effrayer. Et finalement, le courage de mon équipe a été la force motrice qui nous a permis de terminer ce film."
Concernant les filles, les choses ont été plus complexes. Mohammad Rasoulof ne voulait pas faire appel à des adolescentes qu'il aurait pu mettre en danger sans qu’elles soient vraiment conscientes des enjeux. Il confie : "Je voulais des actrices intellectuellement matures et qui connaissent la pression exercée par les services de renseignements. Setareh Maleki (Sana) et Mahsa Rostami (Revzan) sont relativement éloignées du rôle qu’elles interprètent en termes d’âge, mais leur capacité à se mettre dans la peau d’une adolescente est étonnante. J’ai adoré travaillé avec elles."