Black dog confirme à nouveau que le cinéma chinois est l'un des plus créatifs au monde actuellement (le plus créatif ?). Il laisse espérer que nous reverrons de nombreux films de ce pays, comme c'était le cas avant la crise du Covid, qui a tout stoppé. Le film prolonge un peu ce mystère qui veut que les Français découvrent des œuvres incroyablement créatives de cinéastes dont on ne voit souvent qu'un seul film, comme s'ils n'en faisaient jamais de second. C'est curieux...
On retrouve ici quantité de caractéristiques de ce cinéma. L’âpreté extrême de la société chinoise, la laideur de ses villes brutalement modernisées dans les années 1960-1970
et aujourd'hui brutalement démolies
, la lancinante crise de la virilité d'un pays dominé par les hommes, etc. sont ici décrites à l'image de ce qu'on voyait dans les films de Jia Zhang-Ke, dans Le Lac aux oies sauvages, etc.
L'apport majeur de Black dog est sa mise en scène inédite. Par les choix chromatiques et les jeux de focale, le cinéaste et son chef opérateur nous livrent une vision nouvelle des paysages chinois. Ou plutôt des paysages du monde, car je n'avais jamais vu cela nulle part. On se trouve ici dans une petite ville très reculée de Chine, dans un univers aride à la lumière surréelle. Tout est traité dans des tons de gris rose, nouveaux, mais qui ne sont pas sans rappeler la couleur si particulière d'An Elephant sitting still de Hu Bo.
Et puis, comme dans Le Lac aux oies sauvages, le film se démarque par la liberté avec laquelle le cinéaste introduit des scènes stupéfiantes, semblant sortir de nulle part. Il ose tout, bien au-delà de ce que se permettrait un scénariste français ou américain :
un accident de bus, un tremblement de terre, un tigre affamé, une invasion de serpents venimeux, un nain déguisé en ours dans un cirque multicolore, une scène de chasse au lapin d'anthologie, etc. etc.
Dès la première scène, on comprend qu'on est là face à un très grand metteur en scène, par les choix de cadrage, l'ampleur du cinémascope, les costumes (le sweat coloré du personnage principal dans cette ambiance terreuse), etc.
Le comédien incarne parfaitement son personnage par son physique seul. Et c'est peut-être là le seul hic de ce film majeur : le choix de construire son récit autour d'un personnage
aussi taiseux, quasiment mutique, nous prive du plaisir d'être pleinement embarqué dans cette aventure.
Le couple du Lac aux oies sauvages était plus facile à suivre. Mais là se joue aussi une part de la radicalité de ce cinéma contemporain. Et puis ne boudons pas notre plaisir : c'est du très très haut niveau, tant chaque plan semble porter en lui la rage d'une société révoltante et la passion pour l'art cinématographique.