En 1967, alors que la Beatlemania est parvenue à son apothéose avec ‘Sgt.Pepper’ , le manager des Fab Four, Brian Epstein, se laisse convaincre par les producteurs de la populaire série animée qui leur est dédiée aux Etats-unis, de transformer l’essai et de tenter un long-métrage animé. Conscient que le groupe doit sans cesse innover s’il souhaite rester au sommet mais déterminé à ne pas brader l’image des Beatles, Epstein négocie sans rien lâcher et refuse plusieurs propositions et scénarios avant d’accepter Erich Segal, futur auteur de ‘Love story’ et le poète Roger McGough, au poste de scénaristes. Les quatre musiciens sont évidemment consultés dès les prémices du projet mais, absorbés par l’Album Blanc et le film-documentaire-fourre-tout “Magical Mystery Tour� qu’ils sont en train de mettre sur pied, ils n’ont guère le temps de s’impliquer en profondeur dans la préparation du projet. Ils n’en ont d’ailleurs aucune envie : l’opinion dominante au sein du quatuor est que personne ne se préoccupe vraiment de leur opinion et que les producteurs du cartoon américain - qu’ils détestent - secondés par leur manager sont simplement en train de capitaliser sur leur succès et leur réputation pour faire rentrer les billets verts. Le fait qu’ils doivent contractuellement livrer une poignée de nouvelles chansons pour terminer la bande originale leur déplaît encore plus et ils se rendent chaque jour au studio avec des pieds de plomb. Une blague circule d’ailleurs entre eux, comme quoi chaque chanson indigne de figurer sur leurs albums sera réservée pour le film. Les Beatles refuseront même de doubler leurs avatars à l’écran, et ce seront des doubleurs professionnels qui s’en chargeront : le résultat n’en reste pas moins extrêmement monocorde et puis, franchement, quel intérêt d’entendre les Beatles avec des voix qui ne sont pas les leurs ? Bon gré mal gré, le film sort le 17 juillet 1968, prudemment en Angleterre, plus massivement aux Etats-Unis, et reçoit un excellent accueil dans ce dernier pays. ‘Yellow submarine’ réussit effectivement un grand-écart méritoire entre un scénario naïf et même puéril et des jeux de mots et un humour à froid typiquement britanniques, ce qui le rend susceptible d’être adoubé à la fois par les enfants et les adultes. Quant aux chansons, elles ont beau ne pas figurer aujourd’hui parmi les succès immortels du groupe (à l’exception de ‘Yellow submarine’ et ‘All you need is love’), elles n’en restent pas moins l’oeuvre d’un groupe alors à l’apogée de sa créativité, ce qui revient à dire que l’aspect musical de ‘Yellow submarine’ reste quand même de haute volée. Il est vrai qu’on n’a pas forcément l’impression de retrouver l’univers des Beatles au cours de ce voyage dans une Absurdie psychédélique et musicale, quoique des efforts évidents aient été consentis pour essayer de coller aux personnalités respectives de John, Paul, George et Ringo : on peut donc ne pas être tout à fait être d’accord avec ces derniers lorsqu’ils ne voyaient dans ‘Yellow Submarine’ qu’un produit d’exploitation cynique, totalement étranger à leur travail artistique. Il faut dire aussi que progressivement, les membres du groupe se sont radoucis face à une mouture finale plébiscitée par le public, au point d’accepter d’apparaître en personne en conclusion du film : ils tombèrent même sous le charme du travail visuel de l’artiste germano-tchèque Heinz Edelmann, qui mélange les courants picturaux et architecturaux du début du siècle avec les tendances propres aux années 60. Aujourd’hui, le résultat, qui semble parfois préfigurer les collages surréalistes de Terry Gilliam, reste intrinsèquement lié aux Sixties, mais c’est cette nature de “témoignage historique�, bien plus que son intérêt intrinsèque ou ses chansons que tout le monde a déjà entendues, qui lui permet de continuer à présenter un petit intérêt aujourd’hui. Il est même tellement emblématique de l’état d’esprit et des tendances visuelles de la fin des années 60 qu’on peut se demander comment l’idée même d’en tourner un remake (qui fut heureusement annulé) a pu germer dans l’esprit de Robert Zemeckis à la fin des années 2000.