Thief. En français, ils en traduit ça par "Le Solitaire" comme s'il s'agissait d'un film avec Belmondo. Sauf que la question de la solitude, même accommodante, n'est absolument pas posée dans ce film. Non, les titres français ont ce don de toucher systématiquement à l'immatériel. Sauf qu'ici, Mann signe un premier film matérialiste, en l'intitulant par une étiquette catégorisante, celle de "Voleur".
Scorsese. Ferrara. De Palma. Si l'on veut. Il y a quand même quelque chose de très Michael Mann chez Michael Mann. Vous me direz, ça tombe bien puisque c'est lui. Pourtant... Les choses ne sont pas toujours aussi évidentes en terme de références. Derrière l'absolu poncif du flic, du voleur, de la femme du voleur et du truand qui paraîtront ennuyeux à mourir pour certains pour une question de genre et/ou de déjà-vu, Mann saisit son personnage comme un sous-prolétaire. Pas moyen d'échapper au culte de la possession, à la recherche de profits par le truchement de calculs froids et égoïstes. Pas moyen d'échapper aux bisbilles avec l'employeur paternaliste, lorsque le Voleur accepte enfin un contrat de travail qui le dépossèdera intègralement de son travail et de son fruit.
Le sous-prolétaire, le Voleur, la racaille,
c'est le prolétaire mercenaire sans foi, sans matérialité autre que la sienne, c'est le nihiliste qui dit quand il doit aimer et s'il doit aimer, c'est le vaurien quadrillé qui passe un entretien d'embauche et qui licencie sans préavis sa compagne - et d'ailleurs c'est même pas son enfant qu'elle porte en franchissant le pas de porte, obéissante à sa vindicte, c'est le dépossédé de sa propre existence qui a intériorisé cette dépossession pour résilier les désillusions, c'est le règlement de compte intérieur permanent, parce qu'on est interchangeable, on est exploité, on est rien.
On ?
Ouh là, j'ai du m'impliquer un peu de trop dans ce film... L'empathie pour le protagoniste principal et l'esthétisation de la violence charismatique demeureront problématiques aussi bien morales qu'artistiques à l'issue de cette projection. Il a du m'imprégner et me fournit quelques interrogations, quelques justesses, tant si bien que les couleurs du générique, sous le musique électro de Tangerine Dream, calque à merveille mon habillement du jour. Noir et bleu ouvrier.
A vivement conseiller parce qu'au-delà d'être bien senti par Caan et quelques-uns, il vaut le détour pour voir comment Mann dépeint un personnage qui est conditionné à ne vivre que par lui-même dans un film qui n'a dégal que la banalité.
En tous cas, c'est le genre de film que j'aime beaucoup : de l'action formelle, pas de chichi scénaristique et un fond qui nous soumet (ou pas) un ou plusieurs niveaux de lecture.
Merci de m'avoir lu.