Des films oubliés, des œuvres méconnues, il en existe une pelletée. Pour la plupart, on comprend pourquoi ces longs métrages pourrissent dans les oubliettes du 7ème art, et pour d'autre, on est simplement abasourdis par leur manque de reconnaissance. A bout de course (Running on empty en VO), réalisé en 1988 par le grand Sidney Lumet, est un bijou qu'il faut absolument réhabiliter.
Je savais déjà que Sidney Lumet était sans nul doute un des plus grands réalisateurs de tous les temps (sans exagérer, c'est la pure vérité), mais je n'avais encore jamais vu chez lui une telle tendresse, une telle facilité à faire naître de profondes émotions. A bout de course, c'est également la présence magnétique de l'acteur River Phoenix, véritable icône du ciné indé, mort d'un arrêt cardiaque en 1993. Dans ce film, Phoenix (frère de Joaquin) apporte par son jeu tout en retenue la complexité psychologique de son personnage. Pas besoin d'en faire trop, River est adepte du less is more. Comment vivre sa vie de jeune adulte lorsque l'on doit fuir constamment? Comment se construire sa véritable personnalité lorsque l'on doit changer d'identité tous les 6 mois? Doit on payer toute sa vie les actes passés de sa famille? Autant de questions passionnantes auxquelles A bout de course répond avec une déconcertante lucidité.
Lumet, aidé par le superbe scénario de Naomi Foner Gyllenhaal (mère de Jake Gyllenhaal!), évite tous les pièges du film d'ado à tendances mélodramatiques. A aucun moment A bout de course ne tombe dans la mièvrerie, bien au contraire...Les parents du héros, d'anciens poseurs de bombes, élèvent leurs deux fils dans un amour total et exclusif. Ils n'ont que leurs enfants dans le monde qu'ils se sont offerts malgré eux. La cellule familiale sans cesse pourchassée par les fédéraux ne trouve son équilibre que dans l'amour. Les scènes du quotidien sont superbement filmées et il n'en faut pas beaucoup pour comprendre à quel point chacun a besoin de l'autre pour continuer d'avancer. Le fait de devoir vivre dans le mensonge est une malédiction qui ronge tous les protagonistes. Les parents font faces à des dilemmes moraux d'une rare intensité psychologique, dilemmes qui offrent par conséquent de grands moments de cinéma. Voir ses enfants grandir, sentir qu'ils nous échappent, avoir la force de les laisser vivre leur vie, loin de nous... Lumet nous immerge dans le quotidien des Pope, nous fait ressentir leur peurs, leurs angoisses et nous touche en plein cœur.
Maintenant, replongez vous dans votre adolescence. Repensez à ces moments où le temps semblait flotter, où le temps vous appartenait. Rappelez vous...Vous rentrez de l'école et vous vous précipitez dans votre chambre. Vous prenez votre baladeur cassette et vous appuyez sur play. Vous vous allongez et vous écoutez la chanson qui a marquée cette période de votre vie. Vous vous laissez aller à des rêveries, vous pensez à votre avenir avec difficulté, le visage de la personne dont vous étiez amoureux en ce temps là passe et repasse dans votre esprit. Regarder A bout de course fait resurgir ces sentiments que l'on a pour la plupart enfoui au plus profond de notre mémoire. A bout de course fait parti de ces longs métrages mélancoliques qui réveillent en nous de superbes émotions. Précipitez vous sans attendre sur ce film.