Ralph Bakshi est un cinéaste dont je ne suis personnellement pas fan, ce qui ne veut pas dire que je nie son talent. J'ai du mal avec ses films "underground" qui ne sont pas ma tasse de thé. En revanche, ses dessins animés portés sur la Fantasy m'intéressent beaucoup plus et sont, à mon humble avis, ce qu'il a fait de mieux dans sa carrière. En premier, il y a les Sorciers de la Guerre et en dernier Tygra la glace et le feu. Et entre les deux, il y a le Seigneur des Anneaux.
Une chose est certaine, il serait tout à fait déraisonnable, même si c'est tentant, de comparer cette version à celle que réalisa Peter Jackson car ces deux versions ne sont pas comparables. Surtout, il est important, comme devant tout oeuvre cinématographique qui date, de replacer le film dans le contexte de l'époque. Dans les années 1970, il était techniquement inconcevable d'adapter l'oeuvre de Tolkien autrement qu'en animation.
Le titre "Seigneur des Anneaux" peut laisser croire que l'adaptation concerne la trilogie de Tolkien alors qu'elle n'adapte que les deux premiers tomes. Tout cela en à peine plus de deux heures. Premier défaut du film : sa trop courte durée. Je l'accorde, quand on adapte un roman, surtout long, il est parfaitement compréhensible de sacrifier des éléments de l'oeuvre original. Mais deux heures, c'est trop court pour raconter quelque chose de vraiment consistant à partir de deux tomes. Cela s'en ressent au niveau de la seconde partie du film qui donne l'impression d'avancer trop vite sans prendre le temps d'expliquer le contexte. Surtout, les personnages manquent d'épaisseur et restent à l'état embryonnaires... ce qui, cela dit, ne me gêne pas tant que ça dans la mesure où je sais apprécier des films d'animation aux personnages peu développés (un peu de simplicité ne fait pas de mal). En parlant des personnages, leur design est souvent discutable. Aragorn et Legolas n'ont aucun charisme aucune carrure de fier guerrier, Gimli n'a de nain que le nom. Et ce n'est guère mieux du côté des créatures fantastiques : Sylvebarbe ressemble à une carotte avariée et le Balrog n'est pas assez impressionnant, possédant nettement moins de gueule que le démon Chernabog dans Fantasia ou le dragon de la Belle au bois dormant pour ne citer qu'eux. On note aussi des éléments incohérents : des orcs qui usent d'un bélier alors que cet engin est censé être utilisé contre une porte et non un mur de pierre de cinq mètres d'épaisseur; les cavaliers du Rohan sont tous blonds (consanguinité ?) Sam et Frodon espèrent-ils faire un voyage sans sac de nourriture ? Saroumane le Blanc alors que le type en question porte la robe rouge.
Une chose que tout le monde a dû remarquer : l'emploi de prises de vues réelles ensuite postérisées, notamment pour les scènes avec de nombreux figurants. Évidemment, sa cohabitation avec l'animation a de quoi laisser perplexe et d'aucuns pourront être rebutés par l'emploi de cette technique. On avancera que l'équipe du film aurait dû recourir à l'animation à la place. Mais il faut savoir qu'il s'agit là plus d'un moyen économique que d'un choix artistique. Ralph Baskhi et son équipe ne possédaient pas un aussi grand studio que Disney, ni des mêmes moyens. Le budget était bien moins élevé que celui des productions Disney. Pour donner un exemple, les Aventures de Bernard et Bianca, sorti à la même époque, bénéficiait d'une budget de 7 millions de dollars contre les 4 qu'avait Baskhi. Il ne pouvait s'offrir le luxe d'engager des animateurs supplémentaires ou d'animer des dizaines de personnages en même temps sur un tel nombre de plans.
Pour parler des qualités du film, l'introduction est vraiment classe avec ces silhouettes sombres sur fond rouge. La musique est de très bonne qualité. Les décors sont plutôt beaux, l'animation est soignée, la mise en scène est souvent efficace, et le film respecte assez bien le roman.
Le film de Ralph Bakshi est très imparfait et n'est pas ce qu'on peut appeler une grande réussite. Mais pourtant, je le trouve pas mal. J'ai même une vraie affection pour lui. C'est un film courageux. Il correspond à la motivation première de Bakshi : proposer une alternative aux dessins animés traditionnels et offrir quelque chose de différent. Et j'ai beau adorer les classiques d'animation disney, j'apprécie voire même dans certains cas adore les dessins animés se démarquant de ces derniers. Je ne dis pas que le Seigneur des Anneaux le fait de manière éclatante, mais il le fait de manière relativement satisfaisante. C'est un film qui sort des sentiers battus et plutôt dans le bon sens, avec une vraie identité. Qu'on aime ou déteste Ralph Bakshi, on ne peut lui retirer son courage de s'être battu pour ce en quoi il croyait et d'avoir donné une vrai personnalité à son cinéma. Avec ce film, Ralph Baskhi a aussi remporté un pari audacieux. Il a réussi ce que tout le monde considérait à l'époque comme mission impossible : adapter le roman de Tolkien pour le grand écran. Enfin, je trouve que ses imperfections, son style atypique, désuet et hybride contribuent à son charme, à le rendre encore plus sympathique et à exercer sur moi une sorte de fascination. Je regrette qu'il n'y ait pas eu de deuxième partie, n'aimant pas les oeuvres inachevés. Le film n'a pas été un échec, ayant fait plus de 30 millions de dollars de recette. Mais ce succès a été jugé insatisfaisant aux yeux des producteurs qui ont refusés de financer une suite. Dommage. Mais quoiqu'il en soit, le film de Bakshi ne mérite ni d'être dédaigné ni d'être relégué dans l'oubli, car c'est une oeuvre tout à fait à part dans l'histoire du cinéma d'animation, possédant une double valeur historique.