Si Lady Diana demeure une figure emblématique de son époque, on peut en dire tout autant de son ancêtre Georgiana, la Duchesse du Devonshire, aussi adulée par la population que malheureuse dans sa vie affective. S'appuyant sur la biographie de la duchesse écrite par Amanda Foreman, le jeune réalisateur Saul Dibb retransmet à l'écran le portrait fascinant d'une femme victime de son époque, de ses moeurs et de ses conventions. Emprisonnée dans un mariage sans amour ni affection avec le Duc de Devonshire, Georgiana devra composer avec son devoir d'épouse, les infidélités et la froideur de son époux, un ménage à trois, la pression de sa vie publique et son idylle impossible avec Charles Grey. Outre la comparaison tentante avec la vie de son arrière-arrière-arrière-petite-nièce Lady Di, l'histoire de la Duchesse du Devonshire fait écho à une autre grande figure féminine controversée de l'époque, celle de la dernière reine de France Marie-Antoinette. Toutes deux délaissées par leurs époux respectifs, elles partagent un certain goût pour les jeux d'argents et les soirées mondaines, et la question d'engendrer un héritier mâle était devenue obsessionnelle chez les deux femmes. Mais alors que Sofia Coppola avait fait de son Marie-Antoinette un film biographique décalé à la mise en scène pop et glamour, Saul Dibb lui a pris, au contraire, le parti d'une réalisation très classique. Néanmoins, grâce à la maîtrise de ses plans, et au scénario qui n'aura de cesse d'amener son spectateur dans un ascenseur émotionnel, The Duchess évite le piège du film-documentaire, malgré son académisme.
Appuyé par une distribution de renom, le long-métrage a déniché pour son rôle titre une grande habituée des films d'époques romantiques et des corsets serrés. Keira Knightley apporte toute la vivacité, l'élégance et le charisme indispensable pour redonner vie à cette Duchesse, égérie de son époque et du parti libéral britannique, les Whigs. Dommage d'ailleurs que The Duchess ne fasse qu'effleurer l'implication politique de cette femme intelligente, influente et résolument moderne. Tout comme son amour du jeu d'ailleurs, qui l'amena au surendettement à la fin de sa vie, un fait pourtant à peine abordé ici. Le personnage aurait gagné en nuance, édulcorant cette idée de la femme trop parfaite, bien que très attachante, qui se contente d'essuyer les épreuves et les affronts dont l'inflige son mari. Flegmatique, misogyne et odieux, Ralph Fiennes est parfait dans la peau de ce riche aristocrate britannique parfaitement haïssable, mais qui dévoile néanmoins une grande complexité, tant on le sent lui même embrigadé par les contraintes, les codes et le comportement à adopter imposé par son rang.
Les autres atouts majeurs du film sont assurément la panoplie de costumes somptueux (récompensé à juste titre par un Oscar), les décors naturels des plus beaux domaines britanniques, une photographie soignée ou encore la musique violoneuse de Rachel Portman. Artistiquement parlant, on ne peut donc qu'applaudir cette retranscription historique minutieuse, que le récit va parfaire en évoquant avec justesse les coutumes, les usages et la piètre condition de la femme, même dans les hautes sphères de la société. Georgiana, la Duchesse du Devonshire, en est l'un des meilleurs exemples de l'Histoire, à travers une existence faîte de sacrifices, où la naïveté de la jeunesse et ses illusions laissent peu à peu place à la résignation. Émouvant, prenant voire poignant, The Duchess lui rend amplement justice, ainsi qu'à toutes les femmes qui ont jadis défendu leur liberté.