A lire le résumé ci-dessus, on pourrait penser qu’il s’agit d’une fiction, une version mancunienne de "Scarface" ou des "Infiltrés". Il s’agit pourtant bien d’un documentaire, Donald McIntyre ayant obtenu l’accord de Dominic Noonan et de ses sbires pour les filmer pendant plusieurs mois, et c’est ce qui fait l’intérêt, mais aussi finalement les limites de ce film.
Première interrogation, en quoi "A Very British Gangster" est-il si britannique ? La question est légitime, tant on a l’impression par moment de voir un mauvais remake des "Affranchis" ou des "Sopranos". Britanniques, et Mancuniens, Dominic et les siens le sont certes ethniquement, et on ne voit que des sosies de Wayne Rooney dans les neveux et les porte-flingues du boss : le seul noir du film est montré en photo anthropométique, et c’est l’assassin présumé du frangin.
Mais on sent que ces gangsters ont été nourris de cinéma américain, et par exemple, l’anecdote que Dominic raconte à propos du chien d’un rival qu’il a décapité et dont il lui a amené la tête dans un bar rappelle la tête du cheval dans le lit du "Parrain". De même, les viols que Dominic aurait subi à 13 ans dans un pensionnat (et qu’il raconte étrangement pour expliquer son homosexualité) et le sort qu’il a fait subir une fois devenu adultes à leurs auteurs évoquent le scénario de "Sleepers". Car bien entendu, la caméra ne capture de violence que verbale, et on ne peut s’empêcher de se demander dans quelle mesure ce que rapporte Dominic est vrai, amplifié ou carrément inventé pour renforcer sa légende.
C’est là que se situe la limite de l’exercice : Dominic ne montre que ce qu’il veut bien montrer, et notamment ses actions sociales et de médiation, allant même jusqu’à demander à des jeunes de baisser la musique pour ne pas déranger leur voisinage. Du coup, les auteurs tentent en permanence de contrebalancer cette image sympathique par un commentaire envahissant et qui par sa dramatisation, finit par rendre suspectes les informations assenées.
Godard disait que Michel Audiard racontait souvent qu’il lui suffisait de descendre au café en bas de chez lui pour écouter les habitués du zinc afin de trouver ses futurs dialogues ; mais que ce que le scénariste ignorait, selon Godard, c’est que ces habitués avaient vu un film d’Audiard la veille au soir à la télé. Il y a un peu la même perversion de la réalité dans la démarche des auteurs. On ressent souvent un sentiment de malaise en voyant les personnages se donner en spectacle devant la caméra, ou poussé par les questions insidieuses, expliquer qu’ils ne craignent pas le procès, les huit témoins étant partis se réfugier à l’étranger, avant d’ajouter d’un air entendu "On a de la chance, non ?"
Ce malaise est renforcé par l’utilisation de moyens du cinéma de fiction, comme ces mouvements de grue élaborés au-dessus du fils et du neveu de Dominic en train de pêcher, le premier disant qu’il n’a pas envie de tuer, parce que "c’est mieux que d’autres le fassent pour toi". Il y a bien quelques moments vrais, comme quand le neveu Sean envisage sa future carrière de crooner, racontant qu’il chante déjà "pour les mariages, les funérailles et les acquittements", ou celui où Dominic montre fièrement le caveau familial avec les lumières qui clignotent la nuit, alimentées par des panneaux solaires – alors qu’on vient juste d’apprendre que leur Ma Dalton de mère avait mis le feu à leur deux-pièces pour toucher un logement social. Les gros plans sur les trognes des truands venus de toute l’Angleterre et au-delà pour les obsèques de Desmond sont étonnants, comme toute cette cérémonie avec cornemuses et défilé de limousines. Mais là encore, quand le commentaire vient gâcher la clarté de ce que montrent les images, avec un passage au noir et blanc et la voix off qui souligne que "le pauvre Paul cherche du réconfort auprès de son parrain", nous voilà à mi-chemin entre Faites entrer l’accusé et la quotidienne de Secret Story.
Cette volonté de fictionnariser la réalité était sans doute vouée à l’échec, car ce qui se situe au cœur des histoires de mafiosi, ce sont les conciliabules et les exécutions sommaires, et le film est condamné à se contenter de l’écume de tout cela : insuffisant pour captiver le spectateur pendant plus de 100 minutes.