Printemps 2020. C'est le confinement. Plus rien qui sort au cinéma.
Ne reste donc pour se faire plaisir que les bons vieux classiques...
« L'Appât », pour moi, c'était un bon vieux classique des années 1990. Alors du coup je me le suis rematé en pensant passer un bon moment.
Et c'est alors que j'ai (re)découvert ce que ça pouvait (aussi) signifier un classique à la française...
A mes dépends...
Car regarder « l'Appât » c'est d'abord retrouver les charmes des génériques moisis habillés par des musiques du pauvre. (Mais bon allez... Passons.)
Regarder « l'Appât » c'est ensuite se consterner face à l'incroyable fadeur de la mise en scène.
Cadres sans inspiration. Caméras au poing qui s'agitent pour rien, juste pour essayer de cacher une misère pourtant évidente à chaque plan. Coupes arbitraires ne respectant ni les espaces ni les dynamiques.
Au mieux c'est du désintérêt pour la forme. Au pire c'est une absence presque totale de sensibilité.
Et je pourrais rajouter à ça une bande originale assez immonde, souvent inappropriée, aléatoire et en plus de ça régulièrement coupée à la machette. Une photo absolument dégueulasse en début de film avant de devenir convenable sur la fin (un grand classique en France : les équipes qui se rôdent pendant le tournage moi je trouve ça juste hallucinant d'amateurisme.) Et enfin une gestion du rythme assez lamentable mais sur laquelle je ne vais pas m'attarder plus que de raison puisque cette tare est essentiellement conditionnée par ce qui est à la fois le coeur de ce film mais aussi sa principale faiblesse : L'ÉCRITURE.
Ah ça !
L'écriture dans « l'Appât » c'est tout un art !
C'est même surtout tout un artifice au sens (malheureusement) le plus péjoratif du terme.
Car en soi un artifice n'est pas un problème dans une oeuvre. S'il parvient à faire illusion alors c'est qu'il joue pleinement son rôle au sein de la démarche artistique de l'auteur. Seulement ce n'est clairement ce qui se passe à l'écran avec l'écriture de « l'Appât ».
Ce qu'il y a d'assez affligeant dans cette écriture c'est qu'elle est terriblement paresseuse.
D'abord elle s'attarde longuement à définir les personnages avant de lancer quoi que ce soit. On les présente un à un. On les nomme à tour de rôle. On leur fait papoter dans le vent pendant un petit moment histoire qu'ils expliquent didactiquement leur fonction dans le récit ainsi que les traits qui les caractérisent. Et au cas où on aurait pas compris, on repète ad nauseam ce qui a pourtant déjà été dit et redit ! Ah ça on le saura que Nathalie a des rêves de carrière, de paillettes et de richesse tandis qu'Eric est un gars qui veut faire fortune mais qui ne tire ses certitudes que de ces vilains films américains ! Et ensuite, une fois que je t'ai bien barbé avec ça, vas-y que je te déroule laborieusement les péripéties qui ne font que refaire et redire sans cesse la même chose !
Un bien terrible bilan au fond, surtout quand on comprend que « l'Appât » est avant tout un film écrit. Et quand je dis ça - encore une fois malheureusement - c'est à prendre au sens le plus péjoratif du terme.
Car écrire un film, ça peut vouloir dire plein de choses. On peut très bien écrire un film sans dialogue. On peut très bien ne l'écrire qu'au storyboard. On peut même carrément écrire un film rien qu'en tournant et en montant.
Mais ce n'est pas ça l'écriture selon « l'Appât ».
Non car voir « l'Appât » c'est surtout voir une certaine pratique du cinéma français. Une culture de l'écriture presque exclusivement verbeuse.
C'est bien simple, lire le script de « l'Appât » c'est voir « l'Appât ».
La mise en image n'apporte rien.
La mise en mouvement n'apporte rien.
Ce n'est que de l'illustratif.
Au mieux c'est un truc qu'on affiche là pour faire joli. Au pire c'est un format qui nous encombre et dont il faut bien essayer de faire quelque-chose.
Et d'ailleurs tout ce rapport futile au cinéma qu'a ici Bertrand Tavernier pourrait se cristalliser en une seule composante de ce film : Marie Gillain.
Marie Gillain, dans ce film, elle est juste là pour faire jolie. Pas une occasion n'est manquée pour qu'on nous la montre en petite culotte, seins nus.
Exemple : le personnage de Nathalie rentre à la maison et son mec se regarde « Scarface » à la téloche avec un pote. Question : est-ce que Nathalie va attendre pour se changer ? Est-ce qu'elle va aller dans la salle de bain pour se changer ? Bah non ! Allez hop ! Petite culotte, seins nus ! Et vas-y que je me dandine partout dans la pièce ! Que je montre en permanence mon petit cul bien moulé !
NORMAL !
Nathalie, dans ce film, on la voit se changer tout le temps ! On la voit prendre ses bains. On la voit se faire peloter ou se faire désapper en permanence !
C'est tellement gros que ça en devient risible.
Par exemple, à un moment il y'a une scène d'interrogatoire dans un commissariat. Vous pensez que Bertrand Tavernier ne parviendra pas à trouver d'occasion pour mettre Nathalie en petite culotte, seins nus ?
Détrompez-vous !
« Bon, tes réponses à mes questions ne me plaisent pas trop ma petite ! Allez hop envoyez là moi à la fouille au corps ! »
Et bien évidemment on ne loupera de ladite fouille, absolument essentielle au déroulement de l'intrigue...
Alors voilà, c'est ça le rapport à l'image chez Tavernier. C'est juste afficher un joli corps pour faire cache-misère et jouer deux trois fois avec des miroirs et autres reflets. C'est tout. C'est triste.
Alors après, du coup, forcément je trouve ça quand même assez culotté de venir se moquer des répliques de « Scarface », du budget de « Terminator 2 » ou bien encore d'une sorte de culture de la violence et de l'abrutissement véhiculée par le cinéma de nos voisins d'outre-Atlantique. Car en ces temps de confinement et de retour aux classiques, le verdict est quand-même sans appel.
D'un côté on a beau avoir des films testosteroneux, tape-à-l'oeil et complaisants avec la violence, il n'empêche qu'ils ont pour eux le fait de savoir solliciter avec maîtrise et avec aisance tous les arts et techniques qui font la richesse et la puissance du cinéma. On a des oeuvres qui ne vieillissent pas ; sachant rendre honneur à leur époque et à leur patrie. Et de l'autre côté, qu'a-t-on avec cet « Appât » ? De l'intrigue paresseuse mise en image d'une manière tristement pauvre et qu'une actrice bien roulée essaye d'égayer en montrant de temps en temps ses nichons.
Alors bon...
Forcément après une pareille peinture je devrais me montrer sans pitié ni remords face à ce piètre « Appât »... Et pourtant je lui concède tout de même à ce film une petite étoile.
Pourquoi ?
Eh bien tout simplement parce « l'Appât » n'est pas le pire dans son genre.
Parce que dans toute la flopée de classiques et autres déclinaisons produits par notre cinéma hexagonal, il est presque au-dessus du lot.
A côté d'un Larrieu, d'un Dardenne ou d'un Brizé, je crois que je préférerais encore me farcir un Tavernier...
Comme quoi, au fond, en France, on n'a que les classiques qu'on mérite...
...Confinement ou pas.