"Va, vis et deviens" est un film que j’ai dû regarder en deux fois. Non pas qu’il m’a été insupportable, ou plutôt si. Mais pas dans le mauvais sens du terme. En effet, j’ai commencé par regarder la première demi-heure, fortement secoué par le sujet, les images, la musique. Jusqu’à ce que je me trouve trop secoué par les émotions qui m’étreignirent par la suite de longues heures durant, allant même jusqu’à ressurgir quelques jours après, rien qu’à la simple évocation du peu que j’en ai vu ! Et puis je l’ai repris depuis le début, afin de m’immerger à nouveau dans cette ambiance à la fois si triste et si belle. Force est de constater que les trente premières minutes constituent le moment le plus fort du film, et je me dois de préciser que les cinq premières minutes sont carrément d’anthologie. La narration du contexte est faite en voix off délicieusement suave et grave, accompagnée d’images d’archives présentant un exode calamiteux d’éthiopiens juifs en quête de leur terre : Jérusalem. Alors nous sommes projetés sur ces camps montés de toute pièce par les organisations humanitaires d’une part, et certaines autorités d'autre part, dont le Mossad en tête de liste, autrement dit les services secrets israéliens. Nous sommes ainsi plongés dans une chronique de vie de ce camp, avec des portraits tous plus magnifiques les uns que les autres, dont les expressions des visages et le langage corporel remplacent avantageusement les dialogues. Un gros plan a donc été choisi sur une poignée main échangée entre un médecin de la Croix-Rouge, et une mère qui vient de perdre son enfant mais qui reste humble devant cet épouvantable coup du sort. Le spectateur sent la profonde désolation du médecin malheureusement impuissant, et la détresse somme toute résignée de cette mère magnifique dans son humilité. Un peu plus loin, une mère chrétienne voit toute la scène, et décide après une courte nuit de confier son propre enfant à cette mère orpheline, afin de le sauver d’un fort risque de destin tragique devant les moyens limités et insuffisants des organisations humanitaires. C’est donc en toute logique que nous suivons le destin de cet enfant chrétien propulsé dans la fuite des juifs éthiopiens vers ce qui est sensé être leur terre de salut. Le spectateur est alors confronté à la détresse de cet enfant, arraché de sa mère contre son gré, pour des raisons qu’il ne comprend pas. C’est pourquoi je donnerai une mention spéciale à Moshe Agazai qui a su retranscrire cette profonde détresse infantile en toute simplicité. Bien sûr, la musique accompagnant cette chronique y est pour quelque chose, superbement composée par Armand Amar, auquel j’attribue aussi une mention spéciale. Au bout de trente minutes, cette grosse séquence émotion se termine avec l’entrée en scène des parents adoptifs de ce gamin déchiré, dont l’homme est incarné par Roschdy Zem que je n’attendais pas du tout dans ce genre de film, puisqu’il nous a habitués à des films de policier/action. Ce n’est pas son meilleur rôle car il manque parfois de justesse en surjouant par moments son personnage, mais c’est un de ses meilleurs films. La femme est quant à elle interprétée par Yaël Abecassis, superbe de naturel, touchante de par la tendresse qui déborde d’elle (en tout cas de son personnage), et je décerne à elle aussi une mention spéciale. Le titre décortique le film en trois temps, comme l’explique justement le réalisateur. Tout d’abord l’arrachement et le voyage vers la survie, ensuite c’est l’adolescence et ce qui va avec comme la réconciliation avec la vie, pour finir avec l’accomplissement de son destin. Moshe Abebe prend le relais de Moshe Agazai pour la partie adolescente de Schlomo, puis vient le tour de Sirak M. Sabahat, qui s’est investi dans la réalisation du film aux côtés de Radu Mihaileanu puisqu’il a vécu lui-même les événements relatés dans le film, à la différence près qu’il s’est orienté vers la comédie dès la sortie de son service militaire. Il en ressort une réalisation efficace, magnifiquement filmée et présentant une bien jolie photographie, sur un fonds de conflit israélo-palestinien timidement abordé. Bien qu’on puisse regretter cette baisse d’intensité après les trente premières minutes, il en ressort que "Va, vis et deviens" est un film intimiste et profondément humain sur lequel on voit ce jeune évoluer et se poser bien des questions sur son existence. Il sera aidé à chaque étape de sa vie par son grand-père d’adoption incarné par Rami Danon, celui-là même qui donne envie au téléspectateur d’avoir le même papi dans la vie réelle, ce qui vaut à cet acteur ma dernière mention spéciale. Pour argumenter le thème principal qu’est la quête de sa propre identité, rien n’a été oublié à partir du moment où l’enfant se trouve arraché de la protection maternelle : l’intégration sociale, le choc des cultures, l’acceptation du destin. Cela aura valu à ce film quelques récompenses, comme le César 2006 du meilleur scénario (en plus des 3 autres nominations comme le meilleur film, le meilleur réalisateur et la meilleure musque), 3 prix majeurs au festival de Berlin, et quatre autres prix de moindre renommée mais non négligeables. "Va, vis et deviens" n’a franchement pas volé sa note actuelle qui est de 4/5, et à laquelle j’adhère totalement.