Et pour la toute première fois, son nom fut Bond, James Bond. En dehors du méconnu Casino Royale de 1954, c'est en 1962 que le plus célèbre agent secret prend réellement vie à l'écran. Nous sommes le 16 janvier, et Sean Connery fait ses premiers pas sous le costume de 007, devant la caméra de Terence Young, dans James Bond 007 contre Dr. No.
Alors que la franchise et Daniel Craig ont offert une fin inédite au personnage dans Mourir peut attendre l'an dernier, retour sur la naissance de James Bond au cinéma avec l'expert Laurent Perriot (www.facebook.com/LaurentPerriotOfficial), co-fondateur du fan club de James Bond en France en 1989 et auteur des ouvrages Bons Baisers du Monde (2020) et Les répliques cultes de la Saga Bond (2021). Une interview en 007 questions, forcément.
AlloCiné : Nous célébrons les 60 ans du début du tournage de "Dr. No". Que sait-on de l'écho médiatique de cet événement à l'époque ? Etait-ce justement un événement ou un film "lambda" ?
Laurent Perriot : "Formidable !" s’enthousiaste Ian Fleming lors de l’avant-première, à Londres. Les spectateurs suivront avec la même joie. James Bond 007 contre Dr. No est perçu comme un film qui dépoussière les films d’espionnage des années 30.
Comment Sean Connery a t-il été choisi pour le rôle ?
C’est Dana Broccoli, la femme de Cubby Broccoli, qui fut la première à proposer Sean Connery pour le rôle de James Bond après l'avoir vu dans le film Disney Darby O'Gill et les farfadets. Elle est à l’origine de son choix. Pour le rôle du Dr. No, Ian Fleming demanda en premier lieu à ses amis et à un résident en Jamaïque, Noel Coward, de jouer le personnage. Tous refusèrent. Christopher Lee, un cousin éloigné de Fleming, refusa également le rôle, bien que par la suite il jouera Scaramanga dans L'Homme au pistolet d'or. Terence Young, quant à lui, aurait bien aimé Cary Crant.
En quoi "Dr. No" posait déjà toutes les bases de ce qui fera la franchise James Bond ?
Avant d’être considéré comme le début d’une franchise, ce premier volet instaure une formule : luxe, exotisme, glamour, aventure et action. James Bond 007 contre Dr. No incorpore aussi les tensions géopolitiques : le scénario fait l’action, inversement aux récits habituels du genre. Et dès le générique -une création stylisée signée Maurice Binder-, l’iconographie est en place : Bond vu dans le canon d’un revolver, il tire, le sang recouvre l’écran, des silhouettes féminines et des images oniriques apparaissent... Cette iconographie deviendra emblématique. Autre ingrédient, l’utilisation immédiate du thème musical principal, partition instrumentale écrite par Monty Norman, arrangée et réorchestrée par John Barry. Sans oublier les incroyable perspectives des décors de Ken Adam.
Parmi les séquences culte du film, il y a évidemment la sortie de l'eau de Ursula Andress / Honey Rider. Que sait-on des coulisses de cette scène ?
Son apparition a littéralement marqué l'histoire du cinéma, devenant une scène culte, injectée immédiatement dans l'inconscient collectif occidental. C'est un plan librement inspiré de La naissance de Vénus de Boticelli. Le mythe de la James Bond Girl était né… Pour créer cette pièce entrée dans la légende, Ursula Andress et la costumière Tessa Prendergast ont travaillé de concert : le bikini se compose d’un soutien-gorge noué sur la poitrine et d’un bas triangle, le tout en coton ivoire. La particularité de ce deux-pièces simplissime : une ceinture ajustée sur les hanches et une encoche sur le côté pour supporter un poignard. Ce détail donne un sens littéral au concept de femme fatale. La plage où apparaît Honey Rider sortant de l'eau, mitoyenne du domaine de Ian Fleming (baptisé GoldenEye) et indiquée à l'équipe de tournage par Chris Blackwell, sera rebaptisée plus tard 'James Bond Beach'.
Ian Fleming est mort en 1964, deux ans après la sortie du film. A t-il pu visiter le tournage ?
Oui, Ian Fleming a largement assisté au tournage du film en Jamaïque (où il résidait par ailleurs). Il a vu et
aimé le film. Il a aussi assisté et vu le suivant, Bons baisers de Russie. Il s’est aussi rendu sur le tournage du troisième James Bond, Goldfinger, mais il est mort avant d’avoir vu le film.
En tant qu'expert 007, avez-vous eu l'occasion de rencontrer des vétérans de ce premier tournage ? Quels souvenirs en gardent-ils ?
J’ai eu la chance de rencontrer Terence Young chez lui à Cannes pendant une longue après-midi. Inventif, il utilisa de nombreuses astuces pour compenser le manque de moyens financiers de la production : précision du cadrage, alternances de prises de vues intérieures et extérieures, couleurs flamboyantes... C’est aussi Terence Young qui a façonné l’image de James Bond et lui a donné son style, en amenant Sean Connery chez son propre tailleur sur Savill Row.
Pouvez-vous partager quelques anecdotes méconnues du grand public autour de ce film ?
- Les deux principales actrices du film, Ursula Andress et Eunice Gayson, étaient doublées dans la VO par Nikki Van der Zyl. Ce fut le cas pour presque tous les James Bond Girls des années 1960.
- Lorsque Bond entre dans la salle à manger du Dr. No, il note un portrait du Duc de Wellington par Goya : ce tableau avait été volé à la National Portrait Gallery de Londres en 1961 et seulement retrouvé en 1965. Dr. No aurait donc, selon le film, été le commanditaire du vol !
- Côté budget, 1 million $ dépensés pour 60 millions $ de recettes : à titre de comparaison, SkyFall en 2012 a demandé 200 millions de budget pour 1,1 milliard de recettes.
- Le seul budget de Dr. No équivaut à la note de téléphone pour le tournage de Moonraker en 1979.
- Anthony Dawson qui joue le professeur Dent (l’homme à la tarentule) sera aussi les mains de Blofeld que l’on voit dans les deux James Bond suivants.
Question bonus pour le fan que vous êtes : vous souvenez-vous de votre première découverte de "Dr. No" ? Quels souvenirs en gardez-vous ? Que représente le film pour vous ?
J’ai découvert le film au début des années 80 en VHS, puis quelques années après enfin sur grand
écran lors d’une ressortie. En pleine période glorieuse Roger Moore, j’ai forcément trouvé le film "un peu vieillot" à l’époque, mais j’ai tout de suite compris l’impact et la force de Sean Connery. Et j’ai bien entendu été frappé par les éléments de bases et fondations qui ont forgé la saga cinématographique.
Bons Baiser du Monde
- de Guillaume Evin & Laurent Perriot
- Editions Dunod, 216 pages, 29,90€
- "Au gré des 216 pages de cet atlas cinématographique inédit, émaillé d’anecdotes, de photos rares et de cartes détaillées pour chaque film, parcourez la planète sur les traces de 007."
Les répliques cultes de la saga James Bond
- de Guillaume Evin & Laurent Perriot
- Editions Casa, 112 pages, 12,50€
- "Puisque les Bond demeurent des divertissements spectaculaires, voici quarante répliques secouées et agitées à déguster sans modération, qui font - entre autres choses bien sûr - le charme et le succès d'une série éternelle."