Au coeur du 12ème arrondissement de Paris, un endroit presque secret aux murs tapissés de grandes affiches et de petits post-it. Une grande pièce vitrée, quelques ordinateurs et beaucoup de café. C'est en grande partie dans ce lieu isolé qu'a eu lieu la longue gestation de Zombillénium pendant 5 ans.
Ce long métrage d'animation réalisé par Arthur de Pins, qui avait également signé la bande dessinée originale et par Alexis Ducord, à qui on doit notamment Avril et le monde truqué, a notamment eu l'honneur d'ouvrir l'édition 2017 du Festival International du Film d'Animation d'Annecy, qui célébrait les dessins animés de tous les horizons au coeur de la petite Venise du 12 au 17 juin.
Alors que Zombillénium sort aujourd'hui dans les salles, (re)couvrez notre visite des studios parisiens qui ont donné naissance au long métrage, et notre interview de ses deux réalisateurs...
Comment est née l'idée de transformer l'histoire de Zombillénium en long métrage d'animation ?
Arthur de Pins : La BD existait déjà. Il se trouve qu’on se connaissait tous les trois, Alexis Ducord, Henri Magalon [le producteur] et moi-même, bien avant que l’idée de faire un film ensemble ne voit le jour. Henri était déjà producteur, il avait déjà co-produit Ernest et Célestine et Tout en haut du monde, et il avait très envie de faire son film d’animation, dont il serait le producteur délégué, c’est-à-dire avec ses envies à lui, sans se raccrocher à un projet déjà existant. En fait, il avait envie de faire Zombillénium. De mon côté, j’ai toujours imaginé que Zombillénium deviendrait un jour un dessin animé, parce qu’il faut savoir que je viens aussi de l’animation. Donc quand il m’a proposé un soir de l’adapter, j’ai immédiatement dit oui, c’était totalement naturel pour moi (…). Alexis est arrivé sur le projet peu de temps après, parce que j’ai dit à Henri que je ne me voyais pas le faire tout seul. Je n’avais jamais réalisé de long métrage et souvent les longs métrages d’animation se font à deux. (…) Alexis a comblé des lacunes qu’Henri et moi avions en termes de production, de montage, de story-board, ou même tout simplement pour former une équipe. C’est comme si tous les trois on s’était complétés.
En effet, la plupart des films d'animation sont réalisés par deux personnes différentes. C'est un travail trop important pour l'assumer seul ?
Alexis Ducord : C’est vrai qu’un long métrage d’animation, c’est super lourd, c’est vraiment une grosse masse de travail pour tout checker. Tu es obligé d’aller tout regarder à l’image près, voir si tout va bien. Dans le compositing, dans le rendu, dans les lumières, dans les animations, les sons, les bruitages. On regarde 500 fois chaque image, et je ne sais pas combien il y a d’images dans un film… Déjà à deux c’était chargé. Tout seul, à mon avis, c’est compliqué. Ou alors tu organises différemment l’équipe de production, mais il faut avoir de nombreux chefs de poste en lesquels tu as une confiance aveugle.
Comment résumeriez-vous le concept de Zombillénium à quelqu'un qui n'en a encore jamais entendu parler ?
Arthur de Pins : Zombillénium, c’est un parc d’attraction qui est basé dans le Nord de la France et qui répond un peu à la question : que feraient les monstres s’ils vivaient parmi nous en 2017 ? Est-ce qu’ils travailleraient, est-ce qu’ils auraient une vie sociale ? Est-ce qu’ils se contenteraient de errer dans les campagnes en essayant de se cacher ? Ou alors est-ce qu’ils seraient pris en charge au niveau de la société ? La réponse est oui. Et quelle est la seule chose qu’ils pourraient faire à visage découvert ? C’est travailler dans un parc d’attraction, où ils pourraient côtoyer des humains, parce qu’évidemment les visiteurs de Zombillénium ignorent que ce sont de vrais monstres. Donc il y a toute une économie qui se met en place et qui marche plutôt bien. Jusqu’à un certain point, parce qu’au début du film, le parc ne marche plus si bien que ça.
Donc Francis, le directeur, se pose des questions et a des comptes à rendre au grand grand PDG qui est le diable, et qui commence un peu à s’inquiéter. Donc la question se pose. Que va-t-on faire de ces monstres puisque visiblement, ils deviennent obsolètes ? Quel est l’avenir de ce parc ? Y’a-t-il un risque que les employés, qui sont en majorité des zombies, soient renvoyés, ce qui veut dire envoyés en enfer ? Voilà pour la grande histoire. La petite histoire est incarnée par Hector, un personnage plutôt antipathique au début du film. Il est contrôleur des normes dans les parcs d’attraction et essaye évidemment de faire fermer Zombillénium. Mais en poussant ses investigations trop loin, il va se retrouver malgré lui embauché dans le parc et devenir un monstre à son tour. C’est ainsi qu’il va partager le destin de tous ces zombies.
Quelles ont été vos références artistiques, cinématographiques ou en animation lors de la création de vos personnages ?
Arthur de Pins : C’est une suite d’hommage. Tous les monstres ont des têtes vraiment cliché de la première idée qu’on se fait de chaque type de monstre. Même dans la BD, Francis ressemble à Christopher Lee dans sa version de Dracula, en un peu plus bedonnant. Il y a aussi le loup-garou. Et il faut évidemment mentionner Steven, le méchant du film, qui est l’exact portrait du personnage de Twilight, avec tous les défauts inhérents à ce personnage qu’on ne peut évidemment pas blairer. Mais pour nous, il est très bien en méchant parce que c’est lui qui va mener le front des vampires, voulant virer tous les zombies en prétextant que les zombies sont has-been, et que seuls les vampires ramènent de l’argent puisqu’ils sont beaux gosses et qu’on vit dans un monde où il faut briller.
A l'heure où de nombreux films d'animation proposent des personnages à des comédiens plus célèbres, vous avez choisi de confier ceux de Zombillénium à des vétérans du doublage, tels qu'Emmanuel Curtil, Emmanuel Jacomy ou encore Gilbert Levy...
Arthur de Pins : On n’a pas vraiment argumenté entre nous puisque dès le début, même Henri disait qu’il fallait prendre des comédiens professionnels. D’abord parce que ce sont des professionnels, ensuite parce que ça ne nous intéressait pas d’avoir Kev Adams ou Frank Dubosc sur l’affiche du film. Aussi parce que c’est assez ingrat. Quand je vois un dessin animé qui sort avec une célébrité sur l’affiche, qui a certes bossé, mais une semaine en studio, par rapport à un monteur qui a bossé 4 ans voire plus…
Alexis Ducord : Il y a des comédiens de doublage professionnels qu’on connait bien et c’est super. Je pense à Fily Keita qui joue la maîtresse dans le film. Tu donnes n’importe quelle indication, elle part dans tous les sens possibles, elle cherche vraiment, elle crée des personnages. Elle est toujours dans les clous à la virgule près, à poser sa voix sur des lignes, sur de la post-synchronisation. C’est génial, tu peux tout lui demander. Une fois, elle doublait une petite fille, et ce n’était pas vraiment ça. Je lui ai dit : "Mets-moi plus de taches de rousseur." Elle m’a répondu : "Pas de problème". Et c’était exactement ça. Elle a fait exactement ce que j’imaginais dans le personnage.
Y'a-t-il une scène du film que vous affectionnez particulièrement ?
Arthur de Pins : C’est une scène qui n’a malheureusement jamais été faite, à part en story-board. Mais ça aurait été une scène super marrante. Comme c’est un univers un peu carcéral, il y avait la fameuse scène où le héros se retrouve avec son plateau à la cantine, un peu comme dans tous ces films ou ces séries, où il ne sait pas à côté de qui s’asseoir. D’habitude, le gang des latinos a une table, il y a les blancs, les black… Tout le monde le mate et à chaque fois qu’il pose son plateau quelque part il se fait envoyer balader. Et là, c’était pareil, mais avec les vampires, les zombies, les loups garous…
Alexis Ducord : On avait un super story-boarder qui est fan de Miyazaki, et qui nous avait fait une espèce de grosse baston générale à la fin. On se retrouvait un peu comme dans ces vieux films de Miyazaki, avec 150 personnages qui se sautent dessus. Des patates dans tous les sens, c’était super, mais ça coûtait la moitié du film.
Arthur de Pins : Parce qu’il fallait animer 150 figurants en train de manger dans les assiettes. Donc ce qu’on voulait dire dans cette scène, on a réussi à le dire dans une autre, mais avec les personnages qui sont dans les dortoirs. On les voit au loin accoudés à des barrières, et là, ce sont des personnages 2D que j’ai dessinés (…).
Bienvenue à "Zombillénium" !