AlloCiné : Quel a été le point de départ de "L'Afrance" ?
Alain Gomis : L'idée du film a germé lorsque je suis allé voir quelqu'un de ma famille en centre de rétention (ndlr : centres destinés aux étrangers en situation irrégulière). Dans ces endroits, on n'est pas enfermé pour ce que l'on a fait mais pour ce que l'on est. L'autre élément de départ est que l'on voit toujours des histoires d'étrangers qui veulent venir en France et jamais des personnes qui veulent rentrer dans leur pays. Pourtant, dans mon entourage, je ne connais que des Africains qui veulent retourner chez eux.
D'où vient le titre du film ?
L'Afrance est la contraction entre l'Afrique et la France. Un ami a trouvé ce terme dans une bande-dessinée. Ce mot évoque une contraction à la fois de l'espace et du temps. C'était idéal pour ce film.
Outre l'histoire d'un homme tiraillé entre deux cultures, "L'Afrance" parle également du gouffre qui existe parfois entre ce que l'on est et ce que l'on aimerait être...
C'est un aspect essentiel du film. Le contexte est important mais j'ai surtout voulu montrer que El Hadj jongle avec l'image qu'il a de lui et l'individu qu'il voudrait être. Lequel des deux va-t-il laisser vivre ? El Hadj se réfère souvent à Sékou Touré ou Lumumba. Il cherche à se trouver des modèles, des gens qui sacrifient leur vie personnelle pour se consacrer au combat collectif.
Où avez-vous trouvé l'acteur principal, Djolof Mbengue ?
Nous étions à la faculté ensemble. Je n'arrivais pas à trouver un acteur qui corresponde à l'idée que je me faisais du personnage. Je cherchais une densité dans le regard et dans le bide, un rythme, une voix particulière. Djolof a fait des essais et a réalisé un vrai travail d'acteur. Ce n'est pas sa vie que l'on voit à l'écran.
Que pensez-vous de la place accordée aux Noirs dans les médias ?
La France se comporte comme une population exclusivement blanche. Lorsqu'on regarde la télévision, on voit rapidement que les minorités ne sont pas représentées. Or il faut s'y voir pour "exister" même si ce n'est pas ce qui va régler les problèmes. On le voit d'ailleurs aux Etats-Unis.
Les acteurs noirs ont du mal à trouver des rôles. Ils devraient être plus sollicités : pas simplement pour jouer des personnes de couleur mais pour jouer des gens qui pourraient être incarnés indifféremment par des Blancs, Noirs ou Jaunes. J'espère que les choses vont évoluer.
Pourquoi avoir tourné d'abord en super 16 puis en vidéo numérique ?
El Hadj passe du statut de héros à celui d'homme de tous les jours. En passant à la DV, le spectateur se sent dans un univers qui a trait davantage au domaine du reportage, du quotidien. Je ne voulais pas utiliser la vidéo numérique comme un symbole mais comme une sensation.
Comment s'est déroulé le tournage en Afrique ?
C'était l'un des meilleurs moments. Je me suis retrouvé avec des gens qui avaient l'habitude du manque de moyen (ndlr : Le budget de L'Afrance est de 458 000 euros) et qui résolvaient les problèmes grâce à leur imagination.
Avez-vous déjà un nouveau projet ?
Je suis en écriture. Mon prochain film sera à la fois loin et proche de L'Afrance. Le contexte sera différent mais il parlera toujours de la quête de soi.
Propos recueillis par Marie-Claude Harrer
Retrouvez la et un de "L'Afrance