Déluge de sons ce mercredi à l'Olympia : Emir Kusturica, le réalisateur du Temps des gitans, double palme d'or à Cannes pour Papa est en voyage d'affaires et Underground, actuellement à l'affiche en tant qu'acteur de La veuve de Saint-Pierre, débarque sur la scène parisienne de l'Olympia, avec son groupe : No Smoking Orchestra.
Première surprise : ce ne sont pas des musiciens qui entrent en scène, mais un écran géant. Le concert débute en effet par la projection du clip de la chanson Unza unza time : ce court-métrage de 5 minutes est bien sûr réalisé par Emir Kusturica. Filmé en noir et blanc, il s'inscrit complètement dans la continuité du travail du réalisateur. On y retrouve ses principaux motifs, des oies au mariage, en passant par la présence du train, et bien sûr de l'orchestre. Le clip met aussi en images la principale influence musicale du groupe : la musique des mariages et des enterrements, véritable terreau du folklore balkanique. Enfin ce film illustre l'évolution vers la folie du monde, par la métaphore de ce train où tout devient complètement fou : les religieuses se dévergondent, les morts reviennent à la vie... Le tout est mis en scène avec lyrisme, dans une profusion d'images définitivement baroques : un pur concentré de Kusturica.
Ce petit intermède cinématographique passé, une dizaine d'hommes entrent en scène. Tous sont costumés de façon complètement loufoque, et c'est dans un joyeux capharnaüm qu'apparaît le réalisateur. Le ton est donné, le show sera visuel ! Au milieu d'eux se dégage un homme, aux vêtements de sports multi-marques (rejet de la société de consommation et de l'uniformité ambiante ?), coiffé d'un chapeau et mordillant un cigare non allumé (no smoking ?) : c'est Emir Kusturica. Il s'exprime dans un anglais impeccable, et se livre à une présentation parodique des différentes façons de danser, mimées par un de ses musiciens. Plus tard, il fera un clin d'oeil à Sergio Léone, en reprenant seul le thème de Le bon, la brute et le truand
Le réalisateur fait monter l'ambiance et lorsqu'elle est à son comble, il fait entrer sur scène le chanteur et leader de No Smoking, Dr Nelle.
Rappelons que le groupe No Smoking existe depuis vingt ans, même si la formation a souvent changé de membres. Quiconque a vu un jour un film de Kusturica sait à quel point l'homme aime la musique. Mais combien le savent musicien lui-même ? Au milieu des années 80, Emir Kusturica avait enregistré deux albums avec ce groupe, juste après avoir reçu la palme d'or pour Papa est en voyage d'affaires, et avant de réaliser Le temps des gitans. A l'époque, No Smoking s'illustrait dans le punk-rock, et Emir jouait de la basse. C'est désormais à la guitare qu'il officie. Après sa brouille avec Goran Bregovic, son compositeur attitré, Emir Kusturica a reformé No Smoking, et lui a confié la composition de la musique de Chat Noir, chat blanc. Dans la foulée, il part en tournée avec le groupe, ajoutant ainsi à sa carrière cinématographique une ambition musicale.
Pendant près de deux heures, le groupe va jouer une musique indescriptible, baptisé "unza" par Stribor Kusturica, batteur du groupe et fils d'Emir. Aux accents du folklore traditionnel balkanique se mêlent des sonorités reggae et techno, (amenées par les jeunes du groupe), dans un rythme essentiellement rock (influencé par les plus âgés). L'orchestre reprendra même une des chansons mythiques de Chat noir chat blanc, interprétée dans le film par une diva obèse, et revisitée d'une manière inoubliable et terriblement punchy par Dr Nelle, complètement envoûté par la musique, et au jeu scénique définitivement époustouflant.
A défaut d'avoir assisté à ce concert unique, vous pouvez toujours retrouver l'ambiance de la musique "unza" sur l'album de No Smoking, Unza unza time, sorti le 16 mai et édité par Barclay. Cependant vous n'aurez pas toute la dimension visuelle de la prestation alors si le groupe passe près de chez vous, allez voir ce qu'un réalisateur baroque, son chanteur déjanté et leur bande de joyeux drilles donnent sur scène : ça vaut le détour...
F.M.L