Plus d'un demi siècle après Les Temps Modernes (1936) de Charlie Chaplin, un réalisateur finlandais, Aki Kaurismaki, présente Juha, un film en noir et blanc, muet, à l'exception d'une seule chanson, dans le cadre du Forum international du jeune cinéma à Berlin. Le film, d'une durée de 78 minutes, a été projeté en première mondiale. Il est en compétition dans le Forum, section indépendante du Festival de Berlin, créée en 1970, et destinée à montrer des films indépendants, expérimentaux et alternatifs provenant du monde entier.
Juha est le film, muet, qui fait parler de lui dans cette 29ème édition du Forum international du jeune cinéma. Juha est l'un des trois films finlandais en compétition dans la section, il marque la renaissance de l'ère du muet, une ère que l'on croyait définitivement révolue. Son réalisateur, Aki Kaurismaki, a réalisé non seulement un film, mais aussi un vieux rêve à l'âge de 42 ans. Il a adapté une nouvelle, du même nom, de l'écrivain finlandais Juhani Aho (mort en 1921), écrite en 1911. Kaurismaki a d'abord été postier, puis critique de film avant de devenir réalisateur en 1983 avec un premier long-métrage.
L'histoire originale de Juha se déroule quelque part au 18ème siècle, elle raconte un amour triangulaire d'un vieil homme, Juha (Sakari Kuosmanen), d'une jeune femme, Marja (Kati Outinen) et d'un vendeur , une sorte de casanova russe, interprété par le français André Wilms. Celui-ci va séduire Marja, mariée à Juha, et l'appâter en lui promettant des toilettes, des parfums, de lui faire découvrir la grande ville. Elle mord à l'hameçon, s'enfuit avec lui à Helsinki. Là elle s'aperçoit qu'il est en fait un proxénète, alors que Juha, triste et seul, à soif de vengeance. Kaurismaki nous présente un version plus contemporaine de Juha en faisant démarrer l'histoire en 1928, époque où le cinéma commencait à dire ses premiers mots, où la synchronisation des voix n'était pas encore possible techniquement. Puis, il la fait évoluer lentement vers la fin en lui donant un style très film années 50.
Aki Kaurismaki suit pourtant les règles de l'art du cinéma muet : cartons insérés entre les scènes, musique qui appuit les expressions des acteurs, pellicule noir et blanc. Seul (petite) entorse, l'introduction d'une chanson française, "Le temps des cerises" chantée par l'actrice Elina Salo. Si le réalisateur a choisi ce mode d'expression, c'est parce que, selon lui, les histoires ont perdu leur pureté et le cinéma, son essence, l'innocence. Et pour s'imprégner de cette innocence, de cette pureté, Aki a visionné, étudié des centaines de films muets, tout en cherchant un style propre car il affirme qu'il ne voit aucune raison d'imiter des films muets. Ainsi, les images de Juha sont plus lentes que celles des Temps Modernes.
Aki Kaurismaki commencera peut-être au mois de mai prochain son prochain long-métrage, Queuing for soup, deuxième volet de sa trilogie sur le chômage. Le premier volet, Au loin s'en vont les nuages, a été présenté en 1996 au Festival de Cannes. Silence... ça tourne pour le réalisateur finlandais Kaurismaki. M.L.