AlloCiné : Dès Le Bazar de la charité, vous aviez envie de repartir avec la productrice Iris Bucher et les comédiennes de la série pour une nouvelle aventure ?
Alexandre Laurent (réalisateur des Combattantes) : Oui, je crois qu'on a commencé à en parler dès le début du tournage du Bazar de la charité. Iris m'a dit : "Alex, je crois que j'ai déjà notre prochain projet ensemble". Et c'est vrai que l'aventure du Bazar avait été assez dingue pour nous tous, donc l'envie était forcément là de rempiler avec cette équipe pour raconter une autre histoire.
Et je crois que c'est le lendemain de l'avant-première au Grand Rex qu'on s'est dit "Allez, on essaye de faire cette nouvelle série en deux ans". On aura mis cinq mois de plus, mais quand on a commencé il y avait seulement des traitements, l'histoire des personnages inventée par Cécile Lorne. Et on a réussi à sortir Les Combattantes en deux ans et demi. Malgré le Covid. C'était un vrai défi, mais ça a mis un cap. Le challenge du temps a vraiment fait partie du projet.
Le budget de la série est-il plus important que sur Le Bazar de la charité ?
Il est plus élevé, oui. Je crois que c'est 20 millions pour l'ensemble des huit épisodes des Combattantes. Le Bazar c'était un peu mois. Il me semble que c'était de l'ordre des 16 millions.
Vous êtes repartis avec les trois comédiens du Bazar, et Sofia Essaïdi est venue s'ajouter à ce trio de départ. Comment s'est fait le choix de Sofia pour incarner Caroline ?
En fait, on était vraiment partis pour reprendre les trois mêmes comédiennes. On s'était même posé la question de le faire à la façon du Splendid, en reprenant tous les comédiens du Bazar de la charité dans de nouveaux rôles, puis on s'est dit que pour les téléspectateurs c'était pas mal d'avoir de la nouveauté. Donc l'idée, au départ, c'était d'avoir trois héroïnes et de retrouver Audrey Fleurot, Camille Lou, et Julie de Bona.
Mais dans la trame de Marguerite, jouée par Audrey, il y a le personnage de Caroline Dewitt qui est arrivé. C'est un personnage qui ne devait pas être si important au départ, qui était plus secondaire. Mais cette Caroline a plu à la chaîne et, du coup, le personnage a pris de l'ampleur au fur et à mesure de l'écriture. Et rapidement, au bout d'un mois de développement, on s'est dit "Il faudrait une quatrième héroïne, ce serait chouette". Donc on a fait monter en importance ce personnage de Caroline, que Marguerite croisait dans la première version du scénario. Et on est ravis car Sofia est super dans la série. C'est une super rencontre.
Au fil des épisodes, les séquences de guerre prennent de plus en plus de place. Filmer la guerre c'était le défi principal de la série pour vous ?
C'était kiffant surtout (rires). C'est vrai que la guerre rentre doucement dans la série, ça commence par des civils, c'est un vrai choix. On y rentre petit à petit à travers les yeux de nos personnages.
J'ai revu plein de films de guerre. Ce que j'avais un peu en tête, c'était maître Spielberg, et son chef-d'oeuvre Il faut sauver le soldat Ryan. Il suit un personnage sur un champ de bataille, et j'aimais bien l'idée d'être derrière le personnage que l'on suit, car il y a beaucoup de personnages dans ce genre de films, on peut vite être perdu. Et ça peut nous sortir du point de vue.
Du coup, j'ai voulu filmer la guerre de la même façon, du point de vue de celui ou celle qui la suit. Comme celui de Marguerite dans l'épisode 3. Ça demande beaucoup de répétitions. On a eu seulement 95 ou 96 jours de tournage pour l'ensemble de la série. Ce qui fait moins de 12 jours par épisode. Ça correspond en fait à ce qu'on a sur une mini-série classique qui n'est pas d'époque et pas de guerre. On ne pouvait pas avoir plus. Au début, il y avait plus, mais on ne peut avoir 3000 figurants, de super décors... Il y a une équation à résoudre.
Du coup, on a énormément préparé les scènes avec notre régleur cascades et son équipe. On a chorégraphié les séquences en amont, puis on a répété plusieurs fois avec les acteurs avant le tournage, afin d'être vraiment prêt au moment de tourner et de ne pas perdre trop de temps avec la mise en place. Ça a été un gain de temps énorme.
Même si les héroïnes sont fictives, une telle série demande une exactitude historique. Avez-vous collaboré avec des historiens ?
Complètement. Nous avons eu deux conseillers historiques, deux historiens, en plus des autres conseillers qui ont collaboré à la série. On avait par exemple un conseiller militaire au jour le jour sur le plateau. Je n'ai pas fait le service militaire, car ce n'était plus obligatoire à l'époque, et je ne voulais pas que la série soit "fake", qu'il y ait de grosses erreurs.
Pour s'assurer d'être au plus proche de la véracité historique, nous avons consulté et envoyé les textes des différents épisodes à deux historiens : Françoise Thébaud, qui nous a aidés sur la psychologie et le positionnement de la femme pendant la guerre de 1914-1918, car c'est sa spécialité, et Jean-Pierre Verney, qui est un spécialiste de la guerre de 14-18, qui a constitué avec sa collection le Musée de la Grande Guerre de Meaux.
On lui envoyait les textes, il nous disait ce qui allait ou non. On a quand même fait quelques petites entorses. On a notamment pris des libertés sur l'utilisation d'armes. On s'est dit que dans ce village c'était arrivé deux mois plus tôt (rires). Pour des raisons scénaristiques. Mais sinon on a été ultra fidèle. Pour tout vous dire, au tout début du projet, avant de lire, en fantasmant, je m'étais dit "On va essayer de décaler un peu le ton et de raconter tout ça un peu façon western". Car je me disais que la guerre c'était une zone de non-droit, je trouvais que ça faisait sens.
Et finalement, en une semaine, après avoir parlé avec les historiens au Musée de Meaux, j'ai compris qu'il y avait un vrai devoir de mémoire. D'où la musique épique et un ton assez réaliste et respectueux de l'histoire. On s'attaque à un pan de l'histoire de France qui marque encore des gens aujourd'hui. On était investi d'une vraie forme de respect. On ne voulait pas dénaturer. C'était important, d'autant plus que la série s'attache à montrer le rôle des femmes pendant la Grande Guerre. Car on sait qu'elles sont les grandes oubliées de l'Histoire.
C'était compliqué de trouver le bon dosage entre l'aspect réaliste de la guerre et le côté très soap de l'histoire des ces quatre femmes ?
Je trouve que ça se mêle très bien en fait. On est sur quelque chose de dur, d'horrible, d'hard-core. C'est la réalité de la guerre. Et l'aspect positif, en termes de narration, c'est que ça exacerbe tous les sentiments. C'est-à-dire que chaque héroïne, chaque personne, est placée dans des situations extraordinaires. Et celles qu'on a choisi de suivre et celles pour qui on a inventé les histoires deviennent fortes.
Et autant on montre l'horreur, autant je trouve que le souffle des Combattantes c'est ces quatre femmes et tous les autres hommes qui gravitent autour - je pense au personnage de Tom Leeb qui est chirurgien et qui donne de soi pour aider les autres. On est dans l'entraide, dans l'humanité.
Le Bazar de la charité c'était sur fond de féminisme avant tout. C'est quelque chose qu'on retrouve évidemment dans Les Combattantes parce qu'on raconte le travail de ces quatre femmes et des autres à travers les ouvrières, les bonne soeurs, tout ce qui n'a pas été raconté et mis en avant à la fin de la Première Guerre mondiale. Mais je trouve que ça traite aussi, plus globalement, d'humanité et d'entraide. Comment l'être humain se dresse face à l'horreur ? Tous nos personnages sont des héros. Ils sont là pour aider la France, pour aider les autres.
Et il y a un personnage qu'on ne voit quasiment pas dans les quatre premiers épisodes, c'est celui du prêtre incarné par Laurent Gerra. Que pouvez-vous dire sur cet homme d'église ? C'est l'antagoniste principal de Mère Agnès, c'est ça ?
Avant d'être l'antagoniste de Mère Agnès, c'est aussi le point de vue de l'Eglise à l'époque, qui a été séparée de l'État et qui, par le biais de la guerre, essaye de récupérer une place au sein de la société, au sein de l'État. Et, oui, c'est le patron du couvent, mais je ne peux pas tellement en dire plus. C'est très salé après (rires). Mais, oui, vous allez voir que c'est un vrai antagoniste.
Ce que je trouve intéressant c'est que, contrairement au Bazar, on a beaucoup plus creusé les personnages secondaires. Les deux méchants qu'on voit dès le départ, incarnés par Grégoire Colin et Yannick Choirat, on a vraiment creusé leur psychologie. On avait Lenverpré dans Le Bazar qui était très très méchant. C'était un stéréotype de méchant, c'était super. Mais là nos méchants ont aussi une faille.
Malgré le fait que le personnage de Grégoire Colin soit un gros porc, qui abuse d'une prostituée, et que cette scène serve à montrer quel abominable personnage il est, on va aussi rentrer par le biais de Sandrine Bonnaire dans son enfance, on va explorer certaines choses. Pareil pour le personnage de Yannick Choirat, il y a une histoire avec sa sœur. On rentre dans leur histoire de famille. Les personnages sont plus aboutis que dans Le Bazar de la charité.
Est ce qu'il y a des choses qui étaient compliquées à faire ou à montrer en prime sur TF1 ? La nudité, tout ce qui se passe dans le bordel, ça aurait vite pu être trop osé pour la chaîne...
Avec TF1 on se met d'accord dès le départ, ces choses-là étaient écrites. La scène de Grégoire Colin dans le bordel, par exemple, c'est une scène qui pourrait faire débat, ne serait-ce que par rapport au public auquel on s'adresse. Elle pourrait faire deux minutes de plus cette séquence, mais dans ce cas ce n'est plus familial. Ce n'est plus pour du prime sur TF1.
Du coup, ce genre de séquence est très découpé, on raccourcit. L'idée ce n'est pas de faire fuir les gens. On traite quel abominable personnage il est, mais on ne montre pas trop non plus. Et l'important c'est que rien n'est gratuit.
Maintenant que Les Combattantes est en diffusion, à quoi va ressembler la suite pour vous ? Une troisième série avec les mêmes actrices ? Ou avez-vous envie de revenir vers des séries plus contemporaines ?
On discute avec Iris Bucher et TF1 d'une troisième série oui, qui se déroulerait une fois de plus à une autre époque. Mais rien n'est acté. Il faut attendre les audiences des Combattantes notamment.
Et au-delà de ça, je suis en train de lire des choses. J'adorerais faire de l'anticipation par exemple. Après avoir raconté les combats qu'on a dû mener pour obtenir les droits qu'on a aujourd'hui, j'aimerais bien faire une série sur les combats qu'on doit mener aujourd'hui pour ne pas se retrouver dans la merde plus tard.
Il y a des genres qui ont été vus et revus, et aujourd'hui on a besoin d'exotisme. D'histoires et de genres qui nous surprennent. Les téléspectateurs ont besoin de ça. Et moi aussi.
J'ai commencé sur RIS : Police scientifique il y a douze ou treize ans et c'est dingue de voir à quel point la fiction française a évolué depuis. Je ne parle pas que des Combattantes. Je pense aux Papillons noirs, à Vortex, à Prométhée, qui vont arriver prochainement. Ce sont des séries que j'ai envie de découvrir.