Véritable coup de cœur du Festival de Cannes 2021 présenté dans la section Un Certain Regard, After Yang arrive enfin dans nos salles françaises. Ce film d’anticipation raconte comment un père et sa fille adoptive tentent de sauver leur androïde baby-sitter défectueux. L’artiste, scénariste et réalisateur Kogonada (Columbus) fait de cette adaptation de la nouvelle "Saying Goodbye to Yang" d’Alexander Weinstein un ovni délicat et émouvant qui ne laissera pas indifférent.
Porté par un Colin Farrell à son meilleur et une jeune Malea Emma Tjandrawidjaja déjà très talentueuse, le film convoque notre rapport à l’image, à l’héritage culturel et à l’essence même de l’humanité dans un tourbillon de douceur et de poésie très contemporain et esthétiquement superbe, à découvrir sur grand écran pour profiter pleinement d'une expérience cinématographique intense.
Qui de mieux que son scénariste et réalisateur et son acteur principal pour nous en parler ? AlloCiné a pu échanger avec Kogonada et Colin Farrell sur les thématiques du film, sa mise en scène et sur une scène qui marquera assurément les esprits.
AlloCiné : Vous avez adapté la nouvelle "Saying Goodbye to Yang" d’Alexander Weinstein, pourquoi avez-vous choisi de modifier le titre et d'intituler votre film After Yang ?
Kogonada : J'aime le mot "après" parce qu'il a une sorte de double sens. Cela peut signifier un endroit dans le temps, mais cela peut aussi signifier la poursuite de quelque chose que vous recherchez. J'aime donc l'idée qu'une grande partie de ce film parle de la recherche de Jake qui essaie de comprendre la vie de Yang. Donc j'ai toujours aimé le double sens de celui-ci.
Je pense que tout le monde vous a parlé de la séquence d’ouverture, où toutes les familles dansent de manière synchronisée, tellement elle est marquante. Comment est-ce qu’elle a été pensée et travaillée ?
Kogonada : J'ai pensé cette scène au moment où j'écrivais la conversation sur le fait qu'une famille essaie d'être une équipe. Je savais juste que ce serait matérialisé avec une danse brute. Le chorégraphe a vu cette séquence comme un éclat de confettis au début du film. Et c'était ludique, ce que j'ai adoré. Et c'est aussi un peu sombre. On parle d'un concours de danse où des familles se font éliminées si elles ne sont pas synchronisées.
Colin, comment vous êtes-vous préparé pour cette danse avec des costumes en plastique ?
Colin Farrell : Mon ancienne carrière de professeur de danse country et western en ligne quand j'avais 18 ne m'a pas préparé à cela. (rires) Mais non, c'était amusant. Ce qui est exploré dans le film est très doux mais sérieux et imposant. On parle de deuil, de perte et de séparation avec ceux qu'on aime. Donc, avoir une scène frivole, légère et aussi jubilatoire tous ensemble au début était génial.
C'était aussi une belle introduction à nos personnages et à nos collègues puisqu'on a enregistré cette séquence au début du tournage. On a tous appris à se connaître avec cette scène, surtout Jodie pour qui c'était le tout premier jour de tournage.
La danse capte les sentiments humains. Je me sens toujours ému par la danse parce qu'elle ne s'embête pas avec les mots. Et il y a quelque chose dans la danse qui est presque irrésistible en tant qu'être humain. Cela vous rappelle en quelque sorte quelque chose de très primitif sur ce que nous sommes. En fin de compte, nous sommes des êtres qui ont besoin de s'exprimer et qui ont besoin de se sentir connectés aux autres. J'aime ça dans la danse.
Comme dans le générique de la série Pachinko, que vous coréalisez, vous faîtes danser une famille. Est-ce que l'expression du corps par la danse est un moyen pour vous d’exprimer la connexion qu’il y a dans une famille ?
Kogonada : C'est exactement ça. La danse capte les sentiments humains. Je me sens toujours ému par la danse parce qu'elle ne s'embête pas avec les mots. Et il y a quelque chose dans la danse qui est presque irrésistible en tant qu'être humain. Cela vous rappelle en quelque sorte quelque chose de très primitif sur ce que nous sommes. En fin de compte, nous sommes des êtres qui ont besoin de s'exprimer et qui ont besoin de se sentir connectés aux autres. J'aime ça dans la danse.
La réflexion sur les androïdes et la quête de l’humanité sont des questions souvent abordées dans les œuvres de science-fiction mais les deux entités sont souvent mises en confrontation, ce que j’aime dans After Yang, c’est que vous vous intéressez plus à la notion de liens et de connexions sociales, et de cette famille que l’on se choisit qui est bien plus forte que les liens du sang.
Colin Farrell : Oui, souvent dans la science-fiction, si un autre existe, que ce soit sous la forme d'un androïde, d'un d'extraterrestre d'une autre planète ou d'une création humaine conçue par la technologie, il est souvent considéré comme un traître ou une menace malveillante. Dans After Yang, c'est différent.
Dans le film, Yang est un conduit pour unir des familles. Et la technologie et l'intelligence artificielle sont utilisées comme un moyen d'offrir un sentiment de réconfort, un sentiment de communauté et un sentiment d'amour là où il n'existe peut-être pas. Et pourtant, l'homme étant tellement obsédé par lui-même et sa propre image qu'il ne se rend pas compte de l'importance de sa propre création.
Je ne pense pas que mon personnage Jake sache à quel point Yang est important pour sa fille Mika. C'est un membre de la famille et un pilier. Et ce n'est qu'à travers la perte de Yang qu'il comprend vraiment le vide laissé par l'absence de Yang. C'est une belle approche, assez différente de ce qu'on connaît dans la science-fiction.
Yang est aussi une connexion entre le passé et le futur pour Mika puisqu'il lui parle de ses origines et de sa culture.
Colin Farrell : Yang est effectivement un pont culturel important. Je suis Irlandais et j'ai vécu en Amérique pendant vingt ans. Il y a une ligne fine entre avoir du respect pour ses origines culturelles et plonger dans les méandres d'un nationalisme dangereux. Je suis très fier d'être irlandais mais quand cela a du sens. Et je pense qu'avoir une compréhension de son origine culturelle est une chose très importante.
Si vous ne la comprenez pas, vous pouvez vous sentir un peu à la dérive dans le monde. Alors que si vous savez d'où vous venez, que vous avez une compréhension de vos origines et que c'est une base solide, vous pouvez plus vous permettre de vous en détacher sans pour autant l'oublier.
Et je pense que l'une des grandes choses que Yang offre à Mika est cette opportunité d'avoir cette base que ses parents n'ont pas vraiment - qu'ils soient trop occupés ou qu'ils n'aient pas la capacité ou les connaissances - pour lui donner le genre de réconfort dont elle a besoin.
After Yang convoque notre rapport à l’image, au deuil, à la perte et à la mémoire et l’esthétique du film, très poétique, représente ses thématiques par un sublime mélange entre la nature et technologie. Comment l’esthétique et les décors ont été pensés ?
Kogonada : Je pense qu'en tant que personnes modernes, nous ressentons tous une sorte d'aliénation. Vous avez mentionné la famille ou l'esprit de communauté, mais j'évoque aussi notre lien avec la nature. Je pense qu'avec le progrès, l'industrialisation et la modernisation - même si je suis pour le progrès - nous faisons face à un sentiment de réelle déconnexion du monde, de la Terre et des uns des autres.
Je voulais vraiment essayer de réimaginer un type d'espace dans lequel il est nécessaire de revenir à ces liens et connexions instinctives. Et puis traiter de la question fondamentale de ce qu'est vraiment une famille, celle qu'on se choisit, celle qu'on se crée avec des connexions.
Tout le casting est incroyable, Justin H. Min, Jodie Turner-Smith, Haley Lu Richardson, mais la jeune Malea Emma Tjandrawidjaja est une vraie révélation. Comment s'est passé le tournage de ce film si particulier avec ces acteurs ?
Colin Farrell : C'est un être humain incroyable, tout comme le reste des acteurs, ouverts d'esprit et réceptifs, avec qui j'ai travaillé. Nous avions peu de temps mais le tournage s'est déroulé de manière très calme et paisible, à l'image du film. Nous étions une quarantaine de personnes en tout sur ce tournage mais tout le monde était conscient de l'espace de cohabitation que nous avions et c'était vraiment magnifique. Il y avait un sentiment de communauté tranquille dans ce groupe qui travaille avec facilité et complicité.
Et cette atmosphère nous a imprégnés. Mais je pense que cela vient aussi du matériel d'origine et de l'interprétation qu'en a tiré Kogonada. Nous avons tous apporté nos bagages personnels et les avons mêlés à l'histoire que nous devions interpréter. Et chacun a apporté sa pierre à l'édifice. La beauté vient de nos expériences différentes sur des thématiques communes et la manière dont on les rassemblait. Ce tournage était une expérience très spéciale pour moi.
Propos recueillis par Mégane Choquet le 27 juin 2022.