Parmi les très nombreux talents et personnalités à avoir foulé le tapis rouge de Cannes cette année, plusieurs compositrices et compositeurs de musiques de films étaient au rendez-vous. En qualité de partenaire institutionnel du Festival de Cannes, la Sacem* a en effet souhaité mettre en lumière le travail de la musique à l’image, avec une montée des marches, des concerts (Owlle, Pierre de Maere, Laura Cahen...) et la venue de musiciens à l’image pour présenter leurs compositions récentes pour des courts et longs métrages.
Cannes 2022 : les compositeurs de musiques de films à l’honneur avec la SacemDans ce cadre, AlloCiné a rencontré la DJ et productrice Chloé, pilier de la scène électro française, qui multiplie depuis quelques années, sous le nom Chloé Thévenin, les expériences dans la musique de films, et plus largement dans le spectacle vivant (danse et théâtre).
Après avoir composé en début d’année la musique du dernier film de Laurent Cantet, Arthur Rambo, Chloé Thévenin accompagnait à Cannes le film La Montagne de Thomas Salvador, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs, lauréat du Prix SACD de la Quinzaine des Réalisateurs, et dont elle a composé la musique originale. Rencontre avec Chloé Thévenin.
Son travail sur le film La Montagne de Thomas Salvador (sortie prochainement)
"J'ai fait un travail sur les textures, qui va avec l'immensité des paysages de montagne. Dans ce film, il y a aussi une dimension sur l'ambiance environnante qui est hyper importante. Ne serait-ce que par l’immensité de cet espace. Le film suit un personnage qui quitte sa vie, son travail, pour partir vivre dans la montagne. Il plaque tout. Il y a donc une dimension, une quête un peu personnelle et poétique. Personnellement, c'est ce qui me fascine, et c’est ce qui m'attire aussi dans la montagne. C'est un film qui me tient personnellement à cœur pour ces raisons".
"Le tournage en montagne s'est passé dans des conditions assez particulières. Il fallait donc faire les images avant d'en composer la musique. Ensuite, le travail de montage du film a commencé -avec la monteuse Mathilde Muyard, qui est d’ailleurs la même monteuse que Arthur Rambo sur lequel j’ai travaillé. A partir de là, le réalisateur Thomas Salvador et Mathilde Muyard ont pu ressentir à quel moment et à quel endroit ils avaient envie d'avoir de la musique. Il y a eu ensuite un échange permanent pour affiner le montage, et de ce fait, la musique pour qu'elle puisse venir s'imbriquer de façon organique dans le film."
Premières expériences de composition de musique pour le cinéma
Les premières expériences cinéma de Chloé Thévenin remontent à sa collaboration avec la scénariste et réalisatrice Lidia Leber Terki au début des années 2000. "J'ai travaillé sur ses courts et moyens métrages, puis elle a fait appel à moi pour son premier long métrage, Paris la Blanche.
La particularité de Paris la blanche est qu'il s'agit d'un film se passant entre la France et la Kabylie. Lidia Leber Terki voulait donc que je travaille avec des musiciens kabyles. Elle voulait voir ce que j'allais en faire.
C’est ça qui est intéressant dans la musique à l'image : parfois, cela permet d'aller dans des zones dans lesquelles je ne serais pas allée naturellement. Et finalement, cela a été un super bel échange avec des musiciens qui jouent dans la tradition de l'art, de la transmission orale. J’ai composé des morceaux, et eux jouaient autour de ça. J’ai rencontré d'excellents musiciens. C’était chouette de mélanger musique électronique et musique kabyle".
"J'ai sorti mon premier maxi en 2001 - 2002. Lidia Leber Terki avait pris un morceau pour un moyen métrage Et à partir de là, elle m’a demandé à chaque fois pour ses films."
Chloé Thévenin a également collaboré avec Emmanuel Finkiel pour la bande-originale du long métrage Je ne suis pas un salaud, qui reprend le titre Word for word.
"J'avais envie de m'essayer à la musique de film. A chaque fois, ce sont des gens qui sont venus me chercher. Quand j'ai commencé à faire de la musique électronique, c'était une époque où la musique électronique n'était pas reconnue, et pas spécialement connue. Cela restait très underground; ça se passait dans les rave, quelques clubs…"
Avec la démocratisation de cette musique, on peut voir toutes les possibilités infinies qu’il peut y avoir
"Avec la démocratisation de cette musique, on peut voir toutes les possibilités infinies qu’il peut y avoir. Un peu comme quand le rock a explosé, il y a eu plein de catégories. Ce travail me plait bien, car la musique électronique est un travail assez solitaire. Au moment de la composition, je travaille seule. Donc ça fait du bien au fait d'avoir des personnes qui viennent nous sortir de nos zones de confort."
"Ce que j'aime bien, c'est que si l'on vient me chercher, c’est que l’on sait dans quelle zone je suis. Il y a des choses que je sais faire, des choses que je ne sais pas faire. Ce qui m'intéresse, c'est de voir ce qu'on construit ensemble et ce que cela provoque aussi. Sinon, il y a des choses que je n'aurais jamais fait."
Avec la musique de film, je suis au service aussi d'une œuvre plus collective
"Cela me sort complètement de mon univers. Je suis au service aussi d'une œuvre plus collective. C'est à dire que ça remet son ego à sa place. Cela me fait toujours sortir des choses, dont je me sers après pour mes projets personnels. Cela peut être des maquettes qui n'ont pas été prises, ou des textures que j'aime bien. Pour moi, la musique électronique, c'est ça. C'est ça, un mouvement perpétuel. C'est comment ça se transforme. Il y a un juste équilibre à trouver qui est super intéressant quand on travaille avec un réalisateur."
Un engouement pour la musique électronique dans le cinéma
Depuis quelques mois, plusieurs DJ français ont composé pour la première fois des musiques de film, comme Kid Francescoli (Azzuro) ou encore Irène Drésel (A plein temps). L'année dernière, Rone avait composé la marquante BO des Olympiades de Jacques Audiard. Chloé Thévenin a, quant à elle, composé deux BO cette année, Arthur Rambo donc, et La Montagne qui sortira prochainement Comment expliquer cette forme d'engouement pour l'électro dans le cinéma français ?
"J'ai l'impression que la place du son dans un film a énormément évolué. Ne serait-ce que par la place de sound design aujourd'hui, qui est presque musical. Souvent, les films qui me marquent aujourd'hui sont ceux justement qui travaillent par ailleurs avec du sound design. La musique électronique fait un lien.
Cela correspond aussi à une rencontre qui se fait avec un réalisateur. Je peux aller aussi bien composer un morceau de techno qu’aller vers des choses et des textures assez épurées. "
Les premiers émois de cinéma de Chloé Thévenin
"Mes premiers émois de cinéma, c'est le Cinéma de minuit quand j’étais jeune, et les cassettes VHS quand j’allais en louer le vendredi soir. Je regardais des choses du style Blade Runner.
J'ai aussi découvert plus tard le cinéma américain des années 70, ce cinéma un peu paranoiaque de cette époque. Il y a Klute d’Alan J. Pakula. J’étais complètement fan de Jane Fonda. Elle incarnait une « power woman » à une époque où il n’y en avait pas tant que ça.
J’ai toujours été fascinée par la musique à travers les films
Et certainement, j’ai toujours été fascinée par la musique à travers les films. J’aime beaucoup le son dans les films d’horreur. Le son y est tellement dément. C’est pour ça que je suis contente qu’aujourd’hui, il y ait une place si intéressante pour le sound design. J’aime bien travailler la musique avec des textures qui peuvent être parfois proches du sound design."
Les compositeurs de musique de films qu’elle aime
"J'adore Ennio Morricone. C’est un grand classique mais on va dire que les westerns aussi qui ont bercé ma jeunesse. J'adore ces traitements de voix, d'harmonica… C’est un truc qui m'évoque un peu l'album The Dark Side of the Moon de Pink Floyd. Ce côté un petit peu lointain, un peu évanescent.
Je suis une grande fan aussi de Carpenter. Ce sont aussi des grandes références pour moi. J’aime aussi beaucoup le travail de Mica Levi pour parler de compositrice contemporaine. Je trouve qu’elle fait un super travail notamment sur le son."
La suite
Chloé Thévenin travaille actuellement avec le réalisateur chilien Fernando Guzzoni pour le cinéma. Côté spectacle vivant, elle travaille sur 2 bande-sons pour le Festival d’Avignon
* Remerciements à la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique)