La série Visions, dans laquelle Louane incarne Sarah, une jeune psychologue qui tente de savoir si les visions et les étranges dessins du petit Diego (Léon Durieux), huit ans, sont liés à la disparition d'une fillette, continue ce soir sur TF1 avec deux nouveaux épisodes.
Jeanne Le Guillou et Bruno Dega (Ils étaient 10, Le Tueur du lac), les deux créateurs de ce polar teinté de fantastique, nous en disent plus la manière dont ils ont imaginé Visions, sur leur travail d'écriture à quatre mains, et sur leur collaboration avec la production et le réalisateur Akim Isker.
AlloCiné : Comment est née l’idée de Visions et de cette psy qui essaye de percer les mystères d'enfant pas comme les autres ?
Bruno Dega : Tout est parti de discussions avec la production. Ils avaient envie de faire quelque chose sur les médiums, et nous, nous étions très intéressés par la thématique du paranormal. Mais il était évident pour nous que nous ne devions pas refaire ce qui avait déjà été fait, notamment dans la série Médium avec Patricia Arquette, c’est-à-dire mettre en scène une flic ou une enquêtrice médium qui allait enquêter épisode après épisode, saison après saison.
Et donc est née l’idée de partir d’un enfant. Et ça, ça nous intéressait vraiment. Car cela nous permettait aussi de traiter de la différence chez un enfant. Qu’est-ce que cela signifie pour lui ? Et qu’est-ce que ça veut dire pour des parents d’avoir un enfant différent des autres ?
Même si la série est très différente, lorsqu’on lit le pitch, le personnage de Diego fait évidemment penser au gamin du film Sixième Sens. C’était une inspiration pour vous ?
Jeanne Le Guillou : Je sais que ça fait marrer tout le monde quand on dit non, mais c’est la vérité (rires).
Bruno Dega : Nous avons tous les deux vu le film, mais nous n’y avons jamais pensé au moment d’écrire la série. C’est lors du casting que des gens nous ont dit "Ça ressemble vachement à Sixième Sens" et on s’est dit "Mince". Mais en fin de compte ça ne ressemble pas du tout à Sixième Sens. Il y a un enfant qui voit des morts, certes, mais l’intrigue est très différente. Ce n’est pas du tout le même tricotage.
Comment avez-vous conçu vos personnages principaux ? Était-il évident pour vous qu'il fallait que l'héroïne soit en couple avec un flic un peu plus "sceptique" qu’elle ?
Bruno Dega : On avait envie que le spectateur, celui qui ne croit pas aux médiums, soit représenté dans cette histoire. Car nous on y croit. On a envie de penser que ça existe. Mais la plupart des gens n’y croient pas. Donc il était compliquer de raconter une histoire où tout le monde accepte ça comme quelque chose de tout à fait normal. Il était intéressant de créer un couple au sein duquel les deux personnages ne sont pas sur la même longueur d’ondes.
Et très vite vous avez eu l’idée de ces zones d’ombres dans le passé de Sarah que son lien avec Diego allait permettre d’éclaircir ?
Jeanne Le Guillou : Oui, c’est venu quasiment tout de suite. On a immédiatement eu l’idée de cette relation entre cette psy et ce petit garçon pas comme les autres. Et on s’est dit : "Quoi de mieux que d’impliquer ce garçon dans la vie de Sarah et dans son passé ? Car s’il voit des choses, autant qu’il voie des choses d’elle aussi".
Ça crée un immédiat attachement et une immédiate étrangeté dans leurs rapports. Et un lien très puissant, qui va au-delà du travail de Sarah. On avait envie que le personnage de Louane déborde du cadre de son travail et soit même presque "en danger" par rapport à son métier, par rapport aux normes et aux règles de distance. Qu’elle franchisse une certaine limite.
Bruno Dega : C’est vrai qu’à un moment donné, elle se retrouve à interroger Diego plus dans son intérêt à elle que dans l’intérêt du gamin.
La réussite d’une telle série repose également sur son casting et le choix de l’enfant pour incarner un personnage comme Diego, pour qu’on ne tombe pas dans le ridicule. Avez-vous été impliqués dans le casting ?
Bruno Dega : On savait que si l’enfant n’était pas bon, la série serait ratée. Donc, oui, on a été impliqué à toutes les étapes. Il y a eu un vrai trio production-réalisateur-scénaristes qui a super bien fonctionné sur Visions, on a travaillé main dans la main. On s’est entendu à merveille.
Au niveau du choix des comédiens, on a vu les essais de tous les petits garçons qui ont passé le casting. Et en même temps, très honnêtement, il n’y a pas eu de débat très longtemps. Léon Durieux s’est imposé comme une évidence.
Jeanne Le Guillou : Il est encore plus bluffant dans la série que dans ses essais. C’est un enfant qui est très mature et qui a une passion pour ce métier, donc il adorait être sur le plateau. Il a créé un lien tout de suite avec Akim Isker, le réalisateur, et avec Louane. Il était tellement heureux sur ce plateau, avec une envie de bien faire et une concentration permanente. Il a donné beaucoup plus que ce qu’on pensait qu’il donnerait.
Bruno Dega : C’est toujours la crainte avec un enfant. On se dit que ça va l’amuser une semaine ou dix jours, et qu'ensuite, au bout d’un moment, il va dire "Maintenant je rentre à la maison, faire l’acteur, j’en ai marre, ça suffit". Lui non, il était aussi professionnel que les autres, voire plus. Et au bout de 50 jours il avait encore envie de continuer et d’être à l’heure sur le tournage.
On imagine que TF1 devait avoir envie de travailler avec Louane depuis un moment. La série a-t-elle été écrite pour elle ?
Bruno Dega : Non, pas du tout. On a écrit la série sans penser au casting. Et l’idée de Louane est arrivée par la suite.
Jeanne Le Guillou : De toute façon c’est toujours compliqué d’écrire pour un comédien en particulier. Surtout quelqu’un comme Louane qui a un planning très chargé. On ne peut jamais anticiper des dates par rapport à un rendu d’écriture et un planning de comédien. Et puis il faut que le comédien puisse s’engager sur la base d’un texte. C'est la moindre des choses. Donc on est obligé d’écrire avant.
L’une des forces de la série c’est aussi son esthétique très léchée, proche d'une image cinéma. Comment s’est passé le travail avec Akim Isker ? Vous avez beaucoup discuté avec lui de votre vision de la série et de la sienne ?
Jeanne Le Guillou : Avec Akim, ça s’est passé de manière idéale. Comme on aimerait que ça passe à chaque fois sur une série. On a pris le temps de se poser tous les trois autour du texte.
Séquence après séquence, il nous a exposé sa vision de la scène, avec son point de vue de réalisateur. Et on a collaboré avec lui pour coller à sa mise en scène, on modifiait parfois les didascalies pour pouvoir tourner les scènes de la meilleure manière. Il est parfois arrivé que l’on regroupe deux séquences en une aussi. Et tout ce travail on l’a fait ensemble, tous les trois. Akim est donc arrivé sur le tournage avec un scénario qu’il avait totalement validé. Et ça a fait que le tournage et le montage ont été d’une fluidité folle.
Ce genre de collaboration optimale entre réalisateur et scénaristes ce n’est pas si fréquent, si ?
Jeanne Le Guillou : Tout à fait. C’est la première fois que ça nous arrive à ce point. On ne sait pas comment on va s’en remettre d’ailleurs (rires).
Bruno Dega : Souvent les réalisateurs arrivent et disent "Ça j’aime beaucoup, ça j’aime moins". Et au lieu de nous demander de faire des modifications, ils prennent le scénario et ils le réécrivent alors que ce n’est pas leur métier et qu’ils connaissent moins bien l’histoire et les personnages que nous. Mais ça n’arrive pas qu’à nous, 99 % des scénaristes ont déjà vécu ça.
Jeanne Le Guillou : Je pense que si cette série est aussi cohérente et aboutie dans son genre, c’est parce qu’il y a eu cette entente production-réalisation-scénario. Comme aux États-Unis où le producteur est souvent le showrunner.
Bruno Dega : Si je prends l’exemple de Sacha, l’ado autiste. Le personnage est évidemment écrit comme ça, et Akim a fait le pari de prendre un vrai autiste pour incarner Sacha, et non pas un acteur qui va jouer l’autiste. Parce qu’on fonctionne sur la confiance et parce qu’on a un réalisateur qui est courageux.
Jeanne Le Guillou : Akim a le sens du risque. Et c’est quelqu’un qui est humainement exceptionnel. Ce qui est nécessaire pour faire tourner un enfant, pour faire tourner un adolescent autiste, et pour obtenir des choses d’eux. Avec la rapidité inhérente à une série télé.
Akim a upgradé notre travail, et ce n’est pas toujours le cas. Souvent on ne s’y retrouve pas car il y a une prise de pouvoir, une prise en otage d’un réalisateur qui emmène la série ailleurs. Et l’ailleurs n’est pas toujours une bonne idée. Ça se ressent dans certaines séries, où on se dit qu’il y a des choses bizarres à l’écran quand on la regarde.
Comme dans tout bon polar, il y a évidemment des fausses pistes, plusieurs suspects potentiels. Saviez-vous dès le départ qui serait le coupable ou est-ce que ça a évolué au fil de l’écriture ?
Jeanne Le Guillou : Non, on savait où on allait. On part en général en sachant où on va. Les évolutions qu’il peut y avoir au fil de l’écriture concernent plutôt les fausses pistes. Parce que certains personnages, dans l’écriture, vont monter ou vont descendre. Vont s’imposer d’eux-mêmes. Et du coup ils peuvent nous amener à minorer ou à majorer certaines fausses pistes. Mais on sait toujours où on va.
Là, sur Visions, on a fait un premier travail qui était le déroulé de l’histoire sous forme de traitement, pour les six épisodes. Et ensuite on est directement passé aux dialogués car on avait une base solide.
Vous écrivez à deux depuis des années, c’est votre force. Vous êtes toujours d’accord sur ce que vous avez envie de raconter ? Ou il y a parfois des débats enflammés entre vous ?
Jeanne Le Guillou : Bien sûr, on se fout régulièrement sur la gueule (rires). Mais en étant très décontractés, car on sait avec l’expérience que sortira de l’ordinateur quelque chose qu’on aura validé tous les deux et sur lequel on sera d’accord.
Bruno Dega : Normalement il y en a toujours un qui arrive à persuader l’autre. Mais si malheureusement ce n’est pas le cas, on fout tout à la poubelle.
Jeanne Le Guillou : Ça peut nous mettre de mauvaise humeur, ce sont des moments assez désagréables à vivre. En plus il se trouve qu’on est également un couple, donc tout se mélange, on prend tout ça très à coeur. Mais par contre, rien ne remplace le bonheur de se mettre d’accord. Le moment où on dit "ça y est", ça compte double par rapport à tout le reste. C’est tellement agréable de savoir que c’est bon et qu’on va pouvoir prendre plaisir à écrire une série ensemble.
L’an dernier, vous avez signé le scénario de Gloria sur TF1. La série originale s’était poursuivie avec des saisons 2 et 3. Vous n’aviez pas envie d’adapter la suite ?
Jeanne Le Guillou : Nous n'avons pas eu envie d’écrire la suite, qu’on nous avait pourtant proposée. On était moins inspirés par ce que les Gallois avaient fait du personnage dans la saison 2 de la série originale Keeping Faith.
Bruno Dega : C’était une très grosse adaptation. En dehors du premier épisode, on s’était beaucoup éloigné de la série originale. Et c’était donc compliqué pour une éventuelle saison 2 de retomber sur nos pieds. Il aurait fallu repartir de zéro. En plus, de manière générale, on n’est pas très fan des adaptations. A part quand c’est Les Dix Petits Nègres, car ça on ne pouvait pas le refuser.
Jeanne Le Guillou : On fait partie des rares scénaristes, aujourd’hui, à travailler en majorité sur des idées originales. C’est important de le dire, même si la mode des adaptations va sûrement passer. On a toujours adoré écrire des idées originales. Mais sur Gloria le personnage était dingue donc c’était plaisant de travailler sur cette série.
Avez-vous d’autres projets à venir dont vous pouvez parler ?
Jeanne Le Guillou : On développe des projets pour des chaînes actuellement, mais il n’y a rien de signé, on attend des réponses. Et on écrit pas mal pour le théâtre aussi. On fait d’autres choses. On a une pièce, Snow Thérapie, qui vient de sortir de trois mois de tournée et de représentations à Paris au mois d’avril au Théâtre du Rond-Point avec Alex Lutz et Julie Depardieu. On a la chance qu’elle ait deux nominations aux Molière. Et on a d’autres projets théâtre.
On mène ces deux choses en parallèle : le théâtre et la télévision. Mais comme on vit ensemble, travailler ensemble c’est notre vie quotidienne. On dit souvent de nous qu’on est d’énormes bosseurs, mais on adore ce qu’on fait. On n’a jamais l’impression de travailler. On s’ennuie quand on ne travaille pas, quand on n’a pas d’idées en tête. Ça nous permet d’échapper au monde aussi. Surtout le monde actuel. C’est presque de l’ordre de la survie pour nous d’écrire de la fiction.