Julie Ledru vient du 95 et a étudié la restauration gastronomique avant de laisser libre court à sa passion pour la moto, inspirée par une photo de sa mère sur une "bécane de cross", découverte lorsqu’elle était enfant. Elle a ensuite pratiqué avec son frère, s’entraînant en forêt, en a vite fait le tour et un jour a découvert, via les réseaux sociaux, l’activité du cross bitume.
"Je suis allée voir de mes propres yeux. On m’a dit que j’étais folle, que c’était dangereux car il y a énormément de gens sur la même ligne. On m’a lâchée, j’y suis donc retournée seule. Ce bonheur incroyable d’être sur une seule ligne justement, sur mes deux roues, de sentir quelqu’un me frôler, l’autre qui touche le sol avec sa main. Et moi au milieu de ce tourbillon."
Tourbillon qu’elle n’a plus quitté, jusqu’à la rencontre avec la fameuse Lola Quivoron. Devenue grâce à cette dernière LA pépite incontournable à Cannes cette année, l'actrice débutante est vraiment bluffante. Dans Rodéo, Julia son héroïne jusqu’au-boutiste et enflammée infiltre le milieu très masculin du rodéo urbain et tente de s’y faire une place. Comme l’a fait son interprète avant elle.
Il y a eu un étonnement de voir une nana arriver seule, se déplacer là où internet me disait de le faire. C’était assez courageux !
"Il y a eu un étonnement de voir une nana arriver seule, se déplacer là où internet me disait de le faire. C’était assez courageux, on me l’a souvent dit. Mais avec mon assurance je répondais : "Qui va m’arracher là, c’est une blague, moi je suis un bonhomme. S’il faut qu’on se batte, on va se battre." Ma moto je l’ai humanisée, elle soignait mes bas, lorsque j’avais des bas. Julia, mon personnage, c’est moi Julie mais la Julie d’avant. L’insouciance, la jeunesse, la connerie !"
Et le hors cadre aussi : "C'est vrai que mon héroïne n’est pas casée, n’est pas binaire. La femme d’aujourd’hui a besoin de savoir que si elle porte un jogging ou a des poils sous les bras, on s’en fout tant qu’elle est bien au moment où on parle".
Cette liberté du non déterminé, on le doit à Lola Quivoron et à ses convictions : "Julia est toujours renvoyée à des assignations fortes, des stigmates. Antillaise, femme etc. Cela m’importait d’introduire ce corps là soi-disant étranger dans ce milieu plutôt masculin."
Cinéaste de poigne, venue de la Fémis et débarquée à Cannes cette année avec ce premier long métrage au style féroce, Lola Quivoron nous offre une incursion interdite dans un milieu inédit, celui de la "bike life" qu’elle connait très bien pour l’avoir exploré depuis 2015.
"Il y a une philosophie de vie, on vit pour la bécane. Il y a un rapport à la vie et à la mort très fort. Le film épouse certains contours du fantastique par rapport à ce thème-là. On parle d’un certain milieu, une pratique qui a grandi dans les quartiers populaires. Le film aborde aussi cela, pas frontalement. Ce sont des familles alternatives qui se construisent à un endroit où les vraies familles sont peut être détruites ou en décomposition."
Le scénario c’est un document un peu à jeter à la poubelle au moment de tourner
A cette famille mise en scène ici, Lola a donné toute liberté de composer, nourrie de son casting de non professionnels, très incarnés. "On avait un texte, on a travaillé en amont pas mal de choses dont la colère. Il fallait assumer les émotions, la colère intense du début jusqu’à la fin. Sur le tournage, Lola a chiffonné le script symboliquement en nous disant qu’on connaissait l’histoire et que c’était à nous de jouer ", confie Julie Ledru.
"Le scénario c’est un document un peu à jeter à la poubelle au moment de tourner", enchaîne Lola Quivoron. "C’est une cartographie. Dans ce long travail de préparation en amont du tournage, chaque comédien est responsable de son personnage. Il a le vécu incarné du personnage de fiction qu’il a rencontré pendant les trajectoires de préparation. Julie avait lu le scénario et Antonia Buresi ma compagne dans la vie qui a participé à l’écriture et joue Ophélie. Mais les autres, les riders ne l’ont jamais lu."
"On vogue sur la mer et sur le bateau, il y a quelqu’un qui catalyse l’énergie." N’aimant pas le terme de directions d’acteurs qui renvoie aux enjeux de pouvoir au sein du cinéma, la metteuse en scène se voit plus volontiers ainsi, en catalyseuse d’énergie avec le pouvoir de regarder mais pas que, et toujours en mouvement, "au plus près des corps filmés en gros plans, lisant dans l’âme des personnages, tout le temps debout, jamais assise", dans l’idée de créer du lien.
Un style très physique et engagé au service d’un film explosif et incarné qui a déjà et continuer à enflammer la Croisette cette année.
Rodéo en images