De quoi ça parle ?
Pendant cinq ans, le réalisateur Jonás Trueba suit un groupe d’adolescents madrilènes et les transformations qui rythment leur passage à l’âge adulte. Portait générationnel multiforme, QUI À PART NOUS est une question collective adressée à nous tous : qui sommes-nous, qui voulons-nous être ?
Une immersion dans l'adolescence
Qui à part nous porte un sujet universel : celui de l'adolescence. Ce documentaire fleuve (3h40 !) a été élaboré pendant 5 ans par son réalisateur, en suivant au plus près un groupe de jeunes. Sa forme en fait un objet très singulier et agréablement surprenant. En aucun cas, son réalisateur ne cherche à faire une sorte de radiographie sociologique, mais privilégie l'expérience, afin qu'elle soit la plus immersive possible.
"Il s’agit d’un film très instinctif, peu théorique et assez honnête lorsqu’il s’agit de rendre compte du processus créatif avec tous ses hauts et ses bas. C’est un film qui vacille. En tant que spectateur, ce que je trouve le plus intéressant, c’est son imprévisibilité, son questionnement permanent, voire une certaine maladresse", indique Jonas Trueba dans le dossier de présentation du film.
Etre le plus universel possible
Qui à part nous privilégie les moments de vie, comme des capsules temporelles, ou plutôt des capsules intemporelles. Une des forces du film étant que ces adolescents parlent d'aujourd'hui, mais pourraient également être des ados des années 90, 80 ou avant. Le cinéaste a fait un travail sur le côté anachronique, afin d'être le plus universel possible.
De ce fait, on a par moment la sensation de revivre son adolescence, ou en tout cas, en avoir des réminiscences. "Le film m’a permis de me souvenir de qui j’étais adolescent, de me rappeler qu’il y a des choses dont il faut continuer à parler comme ils le font. Parfois, au fur et à mesure qu’on grandit, on oublie comment vivre. La vie a tendance à nous enterrer. Pour moi, se souvenir de l’adolescence est aussi une façon de rester en vie", résume Jonas Trueba.
Le film est assez foisonnant dans les sujets qu'il aborde : il y est question de la place qu'on se fait au sein d'un groupe, d'amitié, d'amour, du harcèlement qui existe à cet âge, et il y a aussi une belle scène dans laquelle ces jeunes parlent de politique. Un propos qui résonne forcément !
On s'interroge parfois sur la délimitation entre le documentaire et la fiction, le réalisateur ne cachant pas avoir travaillé sur cette frontière narrative. "Je me suis inspiré de la « mise en situation », un concept théorisé par le réalisateur espagnol José Luis Guerín, en opposition à la mise en scène. Le but était de faire réagir les protagonistes à des situations qui ne se présenteraient sûrement pas de cette manière dans leur vie", précise-t-il.
A tout moment, Qui à part nous sonne juste et capte des moment très authentiques, à l'image d'une autre réussite documentaire sur ce même thème, Adolescentes de Sébastien Lifshitz (César du meilleur documentaire 2021). Les deux films différent sur de nombreux points néanmoins, Adolescentes étant du pur documentaire. Autre différence : Jonas Trueba s'inclut pleinement dans le dispositif du film, et l'on peut entendre sa voix à plusieurs moments.
Enfin, ici, les parents sont totalement exclus de l'histoire, une idée qui peut faire écho à un autre très beau film sur l'adolescence, Naissance des pieuvres de Céline Sciamma. "Je n’avais pas envie de filmer des scènes de confrontation familiale. Ce sont des situations qu’on a déjà beaucoup vues au cinéma, qui me paraissent usées. L’idée du film était de montrer ces jeunes comme s’ils étaient déjà adultes, et cela se manifeste surtout dans les moments où leurs parents sont absents : au parc, lors du voyage de fin d’année, les fêtes qu’ils organisent à la maison... ", détaille Jonas Trueba.
Qui à part nous, au cinéma ce mercredi, a été triplement primé au festival de San Sébastián 2021 et a reçu le Goya du Meilleur documentaire en 2022 (équivalent des César en Espagne).