Avengers : Endgame ? Trois heures d'horloge au compteur. Spider-Man : no Way Home ? Presque 2h30. Les Batman de Christopher Nolan ? 2h20 minimum pour le premier, pour culminer à 2h44 pour The Dark Knight Rises. Tenté de voir The Batman encore sur les écrans ? Prévoyez 3h de film au menu, sans compter les bandes-annonces et les publicités en avant programme. Et que dire des 4h02 de la Justice League version Zack Snyder ? Les 2h37 des Eternels ?
Les films de super-héros n'ont évidemment pas le monopole des durées XXL. Souvenez-vous des 2h47 affichées par Pirates des Caraïbes : Jusqu'au bout du monde, ou, pour prendre un exemple bien plus récent, les 2h43 de Mourir peut attendre, l'ultime James Bond dans lequel Daniel Craig se glissait pour la dernière fois dans le costume de l'agent 007. Mais, quand même, les super-héros se taillent la part du lion.
Historiquement, Hollywood a toujours sorti des films très longs, même depuis l'époque du muet. Naissance d'une nation de D. W. Griffith et sorti en 1915, faisait déjà 2h30. N'oublions pas les 4h de Autant en emporte le vent, les 3h47 de Lawrence d'Arabie, ou les péplums comme Ben-Hur, un spectacle fabuleux s'étalant sur 3h32. Mais depuis plusieurs années, on assiste quand même à une spirale inflationniste de la durée de certains films. Dans cette logique, des films comme Venom : Let There be Carnage et ses 1h38 ou les 1h45 affichés au compteur de Morbius, passent presque pour des anomalies, surtout dans les films de super-héros.
Au point d'ailleurs que Variety y a consacré un passionnant article il y a quelques temps, avec un titre qui va droit au but : Pourquoi les films sont-ils désormais si long ? Car même si le spectateur doit en avoir pour son argent, et qu'il faut rentabiliser les money shots des blockbusters, qui coûtent des millions de dollars à faire, ce ne sont évidemment pas les seules raisons. Et elles sont parfois anciennes.
Comme le rappelle justement Rebecca Rubin, l'auteure du billet : "La durée d'un film peut avoir un impact sur le budget, les bénéfices et le bouche à oreille. Avec des millions de dollars en jeu, ces précieuses minutes ne sont jamais arbitraires. À une époque où les options de divertissement ne manquent pas, les réalisateurs, producteurs ou cadres des studios n'ont pas besoin ni envie que quelqu'un sorte d'un film en se disant : "C'était bien, mais c'était beaucoup trop long".
Retour vers le futur du cinéma
Dans les années cinquante, la longue durée des films -péplums évidemment en tête- était un argument de vente pour les Majors, qui étaient alors frappées de plein fouet par la féroce concurrence de la télévision qui s'installait dans tous les foyers américains. Si le public pouvait découvrir à domicile ses Show TV préférés, seul les cinémas devaient et pouvaient être capables d'offrir un spectacle aussi immersif. On notera d'ailleurs que cet argument a traversé les âges, puisqu'il est peu ou prou le même que celui des exploitants de salles de cinéma concurrencé par les plateformes de streaming durant cette pandémie de Covid-19...
"Il y a eu pendant longtemps cette idée reçue qui consistait à dire que les films longs étaient forcément synonymes de qualité" raconte Dana Polan, enseignant à la fameuse Tisch School of the Arts de New York, cité par Variety. Mais un film plus long, très long, c'est forcément moins de séances programmées, moins de billets vendus, et donc moins de profits.
L'équation devient compliquée lorsque les spectateurs se déplacent en masse pour justement voir ces très longs films qui sont des prouesses technologiques : "le public a commencé à privilégier les films à effets spéciaux, qui sont généralement assortis de prix plus élevés et nécessitent des rendements plus élevés pour justifier ces coûts accrus" précise Rubin. Lors de la sortie d'Avengers : Endgame aux Etats-Unis, les multiplexes sont restés ouverts pendant 72h non stop tellement la demande des spectateurs était forte. Mais un tel traitement de faveur est absolument exceptionnel.
Une règle surprenante.. et peu respectée
Lorsqu'un réalisateur ou une réalisatrice est engagé(e) par une Major pour réaliser un film, ils sont contractuellement tenus de livrer un montage de 2h. Le hic, c'est que personne ou presque ne respecte la règle; mais celle-ci "protège les studios qui se mettent à l'abri si un cinéaste livre un film d'une durée vraiment excessive". Dans l'idéal et un objectif commun bien compris, tout le monde à intérêt à faire le meilleur film possible.
Sans doute faut-il y voir là-aussi de vieux fantômes dormant dans les placards hollywoodiens, comme à l'époque de la United Artists, qui fut horrifiée en découvrant le tout premier montage de la Porte du Paradis que leur livra Michael Cimino, qui faisait 5h25... L'intéressé leur dira même avoir fait une concession en coupant déjà 15 min dedans...
"Les studios n'agiteront pas la carte du contrat parce que cela serait perçu comme une interférence sur le processus créatif, mais ils préfèrent des films plus courts. Les studio n'appliquent pas cette règle, les producteurs non plus, parce qu'ils finiront pas obtenir la bonne durée du film" commente Jonathan Glickman, producteur et ancien président de la MGM, cité par Variety.
En fait, la question de la durée future d'un film commence même dès l'écriture du script : un script long voire très long, nécessitera fatalement plus de temps de tournage. Des tournages de scènes additionnelles ou des reshooting, comme cela arrive fréquemment, coûtent des millions de dollars supplémentaires. Dans un blockbuster boosté aux SFX, un rab' de 30 min supplémentaire, ou même 60 min, fait grimper l'enveloppe budgétaire jusqu'à 25%. Et plus ce genre de film est long, plus il nécessitera de temps en post-production, qui coûte entre 50.000 et 100.000 $ par semaine.
L'impact des projections tests
On ne saurait sous-estimer également le poids énorme des projections-tests sur la durée des films; une pratique plutôt ancienne dans le paysage hollywoodien. Dès la fin des années 1930, les studios ont pris l'habitude de solliciter un petit panel de spectateurs à qui l'on montre l'oeuvre, et chargés à l'issue de cette projection de donner leurs impressions, bonnes et mauvaises. Et, le cas échéant, procéder aux modifications nécessaires avant son exploitation commerciale.
Moment de stress légitime pour le studio et l'équipe du film, réalisateur en tête, la projection-test peut aussi virer au cauchemar et à la catastrophe; les exemples en ce sens abondent. De là ont découlé de fameux moments de tensions pour certains réalisateurs, parfois dépossédés de leurs oeuvres, avec des coupes imposées ou faites dans leurs dos; une vision artistique complètement bridée donnant une oeuvre totalement dénaturée, avec parfois, in fine, une lourde sanction économique à la clé sous forme d'un gros échec commercial en salle.
Mais l'issue de ces projections-tests peuvent aussi se révéler tout à fait favorables aux réalisateurs, comme le rappelait d'ailleurs en décembre 2021 Chris Columbus, qui se souvenait avec plaisir de la projection test de son film Harry Potter, qui durait 3h, soit 30min de plus que la version qui sera exploitée en salle.
"Nous savions que ce film marchait, car nous avons fait quelques projections. À Chicago, les parents avaient trouvé ça trop long alors que les enfants au contraire trouvaient ça trop court. Je me suis dit que puisque les enfants avaient normalement une durée d’attention plus courte, c’était plutôt une bonne chose" racontait le cinéaste.
Entre arguments marketing et considérations commerciales, les considérations purement artistiques, les sentiments ou impressions parfois diffuses de trouver un film trop long sans en réellement trouver les raisons ou parfois difficilement, le montage d'un film et donc sa durée relève vraiment d'un exercice très délicat d'équilibriste, où chaque argument est pesé au trébuchet. Avec plus ou moins de bonheur. Mais il n'existe pour l'heure pas de formule chimiquement pure, comme un alchimiste transformerait systématiquement le plomb en or.