Après trois semaines de diffusion, L'île aux 30 cercueils, la nouvelle série thriller de France 2 emmenée par Virginie Ledoyen, Charles Berling, Stanley Weber, et Jérémy Gillet (Mytho), s'est achevée lundi dernier sur un bon bilan pour la chaîne puisque les six épisodes ont réuni en moyenne, en audience veille, 3,38 millions de téléspectateurs, soit 16,7% du public.
Pour ceux qui l'auraient loupé sur France 2 ou en replay, cette nouvelle adaptation du roman éponyme de Maurice Leblanc, déjà porté à l'écran en 1979 avec Claude Jade dans le rôle principal, est toujours disponible sur Salto. Une bonne occasion de la rattraper et de revenir sur une différence notable entre la série et le roman qui lui sert d'inspiration.
Car si l'intrigue est relativement fidèle à celle du livre paru en 1919, la série réalisée par Frédéric Mermoud prend évidemment quelques libertés avec le matériau d'origine, comme le confiait le producteur Stéphane Moatti lors d'une conférence de presse organisée par France 2.
"La série de 1979 a marqué toute une génération. Une gros travail d'adaptation a été fait par Elsa Marpeau et Florent Meyer, les scénaristes, pour conserver une partie des motifs de Maurice Leblanc tout en proposant leur version qui s'inscrit, pour nous, dans ce qu'on appelle le genre de l'inquiétante étrangeté. C'est-à-dire des êtres et des choses qui nous sont familiers et qui deviennent très inquiétants".
Arsène Lupin débarque "deus ex machina" dans le roman
L'île aux trente cercueils écrit par Leblanc débute en 1917, lorsque l'héroïne, Véronique d'Hergemont, retourne sur l'île de Sarek à la recherche de son père et de son fils, déclarés morts quinze ans plus tôt. Et, contre toute attente, Arsène Lupin, le gentleman cambrioleur imaginé par Maurice Leblanc, débarque dans la seconde moitié du récit pour aider Véronique à résoudre l'enquête.
Déjà apparu à ce moment-là dans plusieurs livres de l'auteur, tels que L’Aiguille Creuse et 813, Arsène Lupin, expert en déguisement qui n'hésite pas à endosser de multiples identités pour commettre des délits et résoudre des énigmes criminelles, connaît ainsi une unique escapade littéraire en Bretagne sous le pseudonyme de Luis Perenna, un druide qui va mettre hors d'état de nuire Vorski, et dont le nom n'est autre qu'un anagramme d'Arsène Lupin.
"Comme souvent aussi dans ses aventures, Lupin n’apparaît que tard dans la narration : ici, vers la moitié du livre", expliquait Thierry Bréhier dans un article de France info publié en 2017 et consacré au roman L'île aux trente cercueils. "Leblanc déroule jusque-là une histoire terrifiante, où le pire n’en finit pas d’empirer, les méchants de devenir de plus en plus méchants, et les gentils de perdre de plus en plus de terrain".
"Comme pour conjurer le mauvais sort, Leblanc qui était malgré tout sensible au contexte très spirite de son époque, se moque du grand prêtre suprême breton : Arsène Lupin en personne, sous son énième déguisement, va se métamorphoser en druide", poursuit Thierry Bréhier. "Tout en terrifiant et réduisant ses ennemis par sa parole ironique et sa robe blanche, il se moque de toute superstition et de toute peur, utilisées par ces grands prêtres de tout poil pour assoir leur pouvoir sur des populations trop crédules parce que trop isolées du savoir. Il vient en druide pour jouer la tradition, mais arrive en sous-marin hi-tech, la navette spatiale de l’époque".
Sorti de nulle part pour résoudre une intrigue qui aurait certainement pu se terminer sans lui, Arsène Lupin a été gommé de l'adaptation télévisuelle de 1979. Et il en est de même pour la version 2022, qui a préféré laisser Lupin, et son héritage, à la série Netflix portée par Omar Sy.
"J'ai lu le livre, j'ai vu la série de 1979. Et dès le départ j'ai dit à Elsa et Florent "Lisez le roman, mais faites ce que vous voulez pour la série", nous expliquait le producteur de la série de France 2 au sujet des choix d'adaptation faits par les scénaristes. "C'est une adaptation relativement fidèle, mais il y a des différences. Dans le roman, Arsène Lupin arrive, deus ex machina, à un moment donné. Ça n'a pas été repris dans la série de 1979, et on ne l'a pas repris non plus".
"Ce qui nous intéressait c'était le parallèle entre la tradition du feuilleton en France et l'âge d'or des séries qu'on vit aujourd'hui. On est parti de Maurice Leblanc, d'un huit clos, d'une île mystérieuse. Et on est du point de vue d'une héroïne qui va vivre une expérience en comprenant qu'elle s'est construite sur un mensonge. Et tout ça va la libérer".
"Avec Elsa, on s'est interdit de regarder la série de 1979, pour ne pas être trop inspirés ou percutés par ces images", confiait pour sa part Florent Meyer, qui a notamment travaillé sur la série d'Arte Amour fou. "On s'est renseigné, auprès des gens qui l'avaient vue, pour identifier la raison pour laquelle cela les avait effrayés. Et de cette réception de la série, on a essayé de recréer cet effet-là avec nos techniques de narration contemporaines. Et on avait aussi besoin d'une héroïne qui est actrice de sa quête, qui réagit aux événements, qu'elle ne subisse pas ce qui se passe. Et c'est très différent par rapport à la précédente adaptation".
Et puisque Christine, incarnée par Virginie Ledoyen, est "actrice de sa quête" dans L'île aux 30 cercueils version France 2, elle n'avait évidemment pas besoin de l'intervention d'Arsène Lupin pour venir à bout de l'emprise de son mari ou pour mettre un terme à ses agissements néfastes.