À La Folie - Réalisé par Audrey Estrougo
Actuellement au cinéma
Pour fêter l'anniversaire de sa mère, Emmanuelle vient passer quelques jours dans la maison de son enfance. Elle y retrouve temps passé et souvenirs qui règnent dans les lieux, mais aussi sa sœur aînée dont l’instabilité psychologique a trop souvent affecté les relations familiales. Personne ne se doute que cette fête de famille va rapidement prendre une tournure inattendue…
AlloCiné : Pouvez-vous nous présenter "À La Folie" ?
Audrey Estrougo : À La Folie, c'est un film dans la lignée de ce que j'avais fait avec Une histoire banale. Un film fait en auto-production, que l'on a tourné en à peine quelques jours, ce qui soulève de vraies questions sur l'état du financement du cinéma aujourd'hui. Il y a un vrai sujet à faire là-dessus... Sur ses projets qui sont, soit voués à exister de cette manière, soit voués à ne plus exister du tout.
J'ai écrit le scénario en 5 jours et l'ai tourné en à peine quelques jours...
L'histoire de ce film est très simple : à l'occasion d'un stage de comédien que j'ai animé, j'ai découvert une jeune femme qui n'avait jamais joué et que j'ai trouvé extraordinaire. De là est née l'envie de travailler avec elle. De fil en aiguille est arrivé ce projet de film qui est mon premier film ultra personnel. Je ne m'attendais pas du tout à faire un film comme ça. C'est quasiment un huis clos dans une maison familiale, centré sur les fêlures, les fractures que crée la maladie au sein d’une famille et le rapport entre deux sœurs dont l'une est schizophrène. J'ai écrit ce scénario en cinq, dix jours et on a tourné dans la foulée. Un mois après, le film était tourné.
Ce qui est très très rapide...
Oui, j'avais besoin de me challenger et tourner notamment avec des collaborateurs inédits. J'ai voulu vraiment me renouveler, questionner mon cinéma, mon envie, savoir exactement où elle se situait et surtout travailler avec qui je voulais, parce que la première problématique qu'on a lorsqu'on réalise, c'est que pour le choix des acteurs, si on n'a pas tout de suite un désir, un nom "bankable", on n'a pas vraiment le choix. C'est compliqué d'allier le désir de l'art à la logique industrielle.
Pouvez-vous nous parler un peu de ce casting choisi justement?
Dans mon film, il y a donc trois filles et trois garçons. Les trois filles sont belges : il y a donc cette comédienne inconnue au bataillon qui est de tous les plans et qui s'appelle Virginie Van Robby (à droite ci-dessous). Il y a Lucie Debay (à gauche ci-dessous), qui est un peu plus connue chez nous, et Anne Coesens. Côté garçon, j'ai Benjamin Siksou, Théo Christine qui est mon petit Didier de NTM et François Creton, le père de Lola. C’est cette liberté-là que j'ai été cherchée. J'ai travaillé aussi avec le chef opérateur Eric Dumont qui a fait les films de Stéphane Brizé ou Au nom de la terre plus récemment. Ensuite il ne s’agissait que d’une équipe remaniée avec des gens dont ce n’était pas forcément le poste à l’origine. Avec les comédiens inclus, on était vingt.
La manière de penser et de faire des films aujourd'hui est très inquiétante
Il faut vraiment insister sur le fait que la manière de penser et de faire des films aujourd'hui est très inquiétante. Quand tu présentes un projet aujourd'hui, même pour un réalisateur, tu dois le vendre, vendre ton film avant de l'avoir écrit. Il faut que ton film soit un pack, un camion avec les clés et tout ce qui va avec. Il il faut que la ligne soit tracée, il faut que ce soit évident d'un point de vue commercial : soit c'est du cinéma d'auteur à présenter en festival, soit c'est un film fait pour faire des entrées. Pour moi, on dérive complètement. On oublie juste l'essentiel, c'est-à-dire pourquoi on est là. En plus, il ne faut plus trop dire les choses, on a des sujets qu'on ne peut pas aborder.
Avez-vous un exemple de sujet inabordable?
J'avais un projet en développement parlant d’une infirmière qui se retrouvait à soigner un terroriste. Ce film, on n'a jamais pu le monter parce qu'il y avait un terroriste. Terroriste c'est fini, on n'a plus le droit d'en parler. Alors que c'est un film je dirais "à l'iranienne", qui questionne le monde dans lequel on vit, les rapports entre nous, un film humain à taille humaine. Il y a plein de sujets qu'on n'a plus le droit d'aborder parce qu'ils sont considérés comme non attirants, non commerciaux. Et en même temps si on ne les fait jamais, c'est sûr qu'on ne pourra jamais prouver le contraire. Finalement, le film comme je l'ai fait moi, comme l'a fait Hafsia Herzi pour Tu mérites un amour un peu avant, et comme je l'avais fait pour Une histoire banale, il y en a plein ! Après il y en a très peu qui arrivent à sortir mais il y a plein de films qui sont fait comme ça.
L'envie de faire des films est là
Cela montre que l'envie de faire des films est là. On a de la chance maintenant avec la technologie, on peut faire énormément de choses mais c'est de plus en plus verrouillé pour accéder à la lumière. C'est très compliqué le cinéma en ce moment. C'est avec l'argent qu'il me restait sur ma boîte et l'aide de Damned qui avait distribué Une histoire banale, qu'on a financé le film. Le processus fait partie de la démarche : aller vite. Chose qu'on ne peut plus faire aujourd'hui parce que quand le financement d'un film va bien, on attend six, huit, dix mois. C'est déjà très long, le désir de création est déjà parti un petit peu, il faut le maintenir et là, je parle d'une configuration où tout va bien. Ça prend un an et demi, deux ans pour faire un film.
Et vous avez fait des films mais aussi réalisé une série, Héroïnes, avec un vrai désir de produire de façon plus libre justement. Avez-vous envie de continuer à en faire?
Oui carrément, il y a plein de choses à raconter qu’on ne peut plus raconter au cinéma donc autant les raconter en séries, d’autant plus qu’on va avoir le choix des diffuseurs maintenant. J'ai actuellement des pré-projets à ce sujet que je dois faire encore avancer avant d'en parler. L'essentiel est que les choses avancent, alors... en avant toute !
Propos recueillis par Laetitia Ratane à Paris, le 25 septembre 2019