Sorti dans nos salles en octobre dernier, le documentaire d'Aude Pépin, À la vie est disponible en VOD et DVD. Le film suit Chantal Birman, sage-femme libérale et féministe, qui a consacré sa vie à défendre le droit des femmes. À presque 70 ans, elle continue de se rendre auprès de celles qui viennent d’accoucher pour leur prodiguer soins et conseils. Entre instants douloureux et joies intenses, ses visites offrent une photographie rare de ce moment délicat qu’est le retour à la maison.
Également comédienne et journaliste, Aude Pépin a travaillé pour l’émission de France 5, La Maison des maternelles, qui lui permet de rencontrer Chantal Birman. À la vie est son premier long métrage.
AlloCiné: Qu'est-ce qui vous a donné envie de mettre en scène ce film ?
Aude Pépin : Je trouve qu'il n’y avait pas de réflexion sur la place de la mère dans la société. J’ai rencontré Chantal Birman, alors que j’étais journaliste à La Maison des maternelles et son discours sur la maternité et l'accompagnement des mères m'a interpellée.
Les sages-femmes sont complètement oubliées par la société. Finalement, la manière dont on traite les sages-femmes en dit beaucoup sur celle dont on traite les mères au sein de la société. Et ce discours n’a jamais été abordé.
Chantal Birman a été une vraie militante pour le droit des femmes à l’avortement, une vraie militante de la physiologie. On a fait rentrer la maternité dans les pathologies à l’hôpital. On l’a blindée d’injonctions médicales mais on a complètement oublié l’écoute, le respect de l’autre, l’attention et les envies et besoins des mères.
Redonner ses lettres de noblesse à l’écoute de l’autre.
Avec ce film, j'ai voulu redonner ses lettres de noblesse à l’écoute de l’autre, qui est un sujet primordial au moment de l'accouchement.
Je trouvais également important de pouvoir dresser le portrait de cette femme de 70 ans, qui a donc une longue expérience. Ce qu’elle dit autour de la maternité est très important. Je ne voulais pas que tout son discours se perde parce qu'elle prend sa retraite.
J'ai eu l'impression que si je ne racontais pas son histoire, toutes ses idées et son combat seraient perdues, comme un trésor au fond de l'Océan.
Quel a été le plus gros défi du film ? J'imagine que ça a été difficile parfois de suivre Chantal et d'entrer dans l'intimité de ces femmes.
Ça a été la grande difficulté du film en effet. C'est la première fois que l'on montre l'intimité psychique et physique qui existe dans ces moments-là entre une femme et sa sage-femme.
Je ne pouvais pas rentrer dans les hôpitaux et les maternités. Je suis donc passé par des agents de la sécurité sociale de la Seine Saint-Denis. Je leur ai expliqué ma démarche et ce sont eux qui sont allés voir les mères dans les chambres afin de les convaincre de faire partie de notre film.
J’ai pris le parti d’y aller sans filet. Je n'avais eu les femmes que l'on voit dans le documentaire que 10 minutes au téléphone avant le tournage, et Chantal ne les connaissait pas.
J’ai donc dû les convaincre en leur expliquant que c’était un film important, d’autant que ces moments-là n’avaient jamais été documentés.
La plus grande difficulté a été de convaincre les pères qui étaient réticents à l'idée qu'on filme leur vie.
Les femmes qui ont accepté de jouer le jeu m’ont fait confiance jusqu’au bout. Pendant la grossesse on a l'habitude de dévoiler son corps, et au final ça a été assez simple à les filmer dans ces moments intimes.
Elles étaient toutes “sans masque” et la confiance avec Chantal a été totale. Elle les mettait très à l’aise et elles s’abandonnaient réellement.
Quand on réalise un documentaire il faut avoir conscience que ce qui va arriver n'est pas de notre fait. Je ne savais pas qui j’allais filmer, mais je me suis appuyée en grande partie sur Chantal, et j’ai suivi mon instinct.
Je savais que je voulais filmer ces femmes en très gros plan. Car ce sont des femmes qui regardent vraiment les autres femmes. Si tu veux voir ce que les gens pensent, au cinéma, il suffit de les filmer de très près.
Le film a une forme de magie parce que dans ces interstices là, se glisse tout ce qui est ressenti sans avoir à le dire. Il suffit de se poser et de regarder ces femmes pour les comprendre. C’est tout ce que la médecine et la société ne font plus. Ils ne se posent plus pour les regarder, les écouter et les laisser parler. On est dans le zapping et plus personne n’écoute personne.
Quand on a une démarche qui est assez sincère, il y a une magie qui s’opère. Il y a une forme de danse qui se produit autour de la caméra et où tout ce qui doit se passer, se passe.
Quel message souhaitez-vous faire passer avec À la vie ?
Je souhaite que l’on s’interroge vraiment sur la manière dont on traite notre arrivée dans ce monde, de la même manière que l’on traite notre fin dans ce monde... Il faut que l’on puisse se poser et réfléchir à cela.
On vit dans une société qui va tellement vite que l’on ne réfléchit plus aux choses essentielles.
Redonner de l'humanité dans l'acte le plus humain : donner la vie.
L’idée c’était simplement de se poser, de se regarder et puis d’échanger des idées afin de faire avancer les choses. Ainsi que de redonner des moyens aux femmes qui sont en plein post-partum. C'est quand même un des plus grands défis de la maternité.
Il faut redonner de l’humanité dans l’acte qui est le plus humain : celui de donner la vie. Il faut réfléchir aux dérives du système et à la manière de le remettre dans le droit chemin. C’est le dialogue qui fait avancer les choses et donc j’espère que le film sera vu par le plus grand nombre.