Tim Burton avait majoritairement opté pour le tournage en studio, plus à même de contenir ses décors peints et bâtiments aux angles inquiétants. Christopher Nolan, de son côté, avait privilégié les rues de Chicago autant que faire se peut. Lorsqu'un nouveau réalisateur s'attaque à Batman, son approche du super-héros se ressent également dans sa vision de Gotham City.
Comme le papa de la trilogie The Dark Knight, Matt Reeves nous présente une version réaliste (mais néanmoins très graphique) de la ville du Chevalier Noir, dont nous explorons plusieurs recoins. Jamais Gotham n'a paru aussi vivante au cinéma que dans The Batman, au point de s'apparenter à un personnage auquel le héros doit se confronter.
Et ce sentiment d'immersion est d'autant plus impressionnant quand on sait que le film a très peu usé de décors naturels. Beaucoup moins que prévu, comme l'équipe nous l'avait raconté en décembre dernier.
Robert Pattinson (Bruce Wayne / Batman) : 90% du film ont été tournés en studio, mais les décors étaient incroyablement immersifs. Environ huit pâtés de maisons de Gotham City ont été construits dans les studios de Leavesden [en Angleterre, près de Watford, où ont été tournés les Harry Potter notamment, ndlr], et il est presqu'impossible de le savoir si on ne vous le dit pas. Surtout qu'il y avait une ligne de chemin de fer et plein d'autres choses de ce style.
C'était un plateau très très complet. Très bien découpé. Vous aurez du mal à croire qu'il s'agit de décors de studio quand vous verrez le film. Mais c'est pourtant le cas. À tel point que les membres de l'équipe technique, qui étaient anglais, se sont mis à parler avec un accent américain car on avait l'impression d'être dans une grande rue de Gotham (rires). Mais c'est tellement plus facile de travailler ainsi : vous arrivez sur le plateau, et vous n'avez pas à imaginer les décors. Il y avait très peu de fonds verts, et nous avions également cette nouvelle technologie.
90% du film ont été tournés en studio et vous aurez du mal à le croire quand vous verrez le film (Robert Pattinson)
Zoë Kravitz (Selina Kyle / Catwoman) : Les écrans LED ! C'est notre chef opérateur Greig Fraser qui a inventé cette technologie [le Volume, ndlr] sur la série Star Wars The Mandalorian. Et c'était incroyable. Notre travail le plus difficile, en tant qu'acteurs, est de faire face à un fond vert et faire croire qu'une chose en est une autre. Cela demande beaucoup d'énergie que de faire croire que quelque chose se produit, alors que ce n'est pas le cas. Vous vous sentez même un peu bêtes, et cela vous retient presque.
Robert et moi partageons une scène sur les toits de Gotham alors que le soleil se couche. Le fait de pouvoir voir et ressentir la ville, et avoir la lumière, c'était… Oh mon Dieu ! J'en étais très reconnaissante car ça nous a vraiment permis de nous concentrer sur ce qu'il se passait sur le plan émotionnel, au lieu de se dire "Tu es face à un gratte-ciel, il y a un gratte-ciel en face de toi" (rires). On en oublie presque l'effet de la lumière sur nous, à tel point que chaque détail, comme des oiseaux, est incroyable. Ça a rendu le monde du film plus réel.
Un aperçu du tournage avec ces écrans, sur lesquels l'horizon de Gotham est projeté :
John Turturro (Carmine Falcone) : Lorsque je regardais par la fenêtre d'un décor de bureau ou de cachette, voir toutes ces projections qui avaient l'air aussi réelles m'a impressionné. Je n'avais jamais été sur un plateau comme celui-ci. J'ai été sur beaucoup de plateaux, et je pensais qu'il serait facile pour moi d'imaginer le monde en-dehors des décors. Mais c'était impressionnant.
Peter Sarsgaard (Gil Colson) : Il y a des décors massifs, et le fait d'entrer dans une cathédrale, c'est quelque chose. Mais ce qui change tout, c'est quand vous montez et découvrez le niveau de petits détails dans une chose aussi grande. Tout est très joliment fait, et avec beaucoup de précision. C'était à couper le souffle, tout le temps.
Matt Reeves (Réalisateur, co-scénariste) : Je voulais que l'on croit à ce qu'il se passe à l'écran. Et j'ai toujours cherché à utiliser un maximum d'effets pratiques. Sur La Planète des singes, nous avons fait en sorte de sortir les caméras, pour tourner à des endroits où la motion-capture n'avait pas été utilisée : sur le premier [réalisé par Rupert Wyatt, ndlr], tout était très mis en scène avec un éclairage cinématographique, donc j'ai eu envie de lumière naturelle, et nous sommes allés en forêt.
Cela ajoutait un niveau de réalité même si, bien sûr, il n'y avait aucun singe sur place. Mais il y avait beaucoup de choses réelles dans le cadre. Et c'est une approche que j'ai essayé d'appliquer ici, comme je l'avais fait sur Cloverfield, où la base de chaque chose était réelle, même s'il y avait quelque chose de virtuel dans le plan. Cela nous permettait d'avoir une référence.
Je voulais que l'on croit à ce qu'il se passe à l'écran (Matt Reeves)
Dylan Clark (Producteur) : Notre manière de tourner a été la même que sur La Planète des singes. Nous n'aimons pas être uniquement dans des décors. Nous aimons également être dans des espaces physiques, en extérieur. Et c'était notre plan initial ici : nous avons tourné à Liverpool, autour de Londres, à Chicago… Et c'est devenu beaucoup plus compliqué lorsque le Covid s'est répandu. Nous ne pouvions plus emmener toute l'équipe sur ces lieux, pour des raisons de sécurité, car ne ne savions pas comment tout contenir. Donc nous avons adapté notre manière de tourner.
Et nous avons fait davantage de studio après l'interruption du tournage. Nous avons tourné de janvier à mars 2020, puis repris en août de la même année, en changeant certaines méthodologies. Heureusement, nous avions une équipe incroyablement créative et nos acteurs sont extraordinaires. Résoudre le moindre problème sur le tournage est un travail généralement dévolu à un certain nombre de personnes. Avant le Covid, tous ces gens se réunissaient sur le plateau pour trouver une solution. Avec la pandémie, ça a changé.
Nous avons pu y parvenir, mais c'était plus compliqué. Nous devions nous isoler davantage, la communication se faisait plus souvent grâce à des casques audio. Et nous sommes des personnes sociables par nature donc, normalement, nous nous réunissons, nous nous secouons les uns les autres et nous résolvons des problèmes. Devoir le faire dans nos tentes, isolés, était plus difficile, mais nous devions en passer par là car, au final, il fallait s'assurer que l'environnement était assez sûr pour que les acteurs puissent retirer leurs masques et se perdre dans leurs personnages respectifs, sans s'inquiéter de tomber malades.
L'équipe de The Batman procèdera-t-elle de la même façon sur la suite, qui a de très grandes chances de voir le jour ? Ou reviendra-t-elle davantage en extérieur ? Réponse bientôt.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 6 décembre 2021
"The Batman" vu par Matt Reeves :