Séquence flashback. Tout comme le fit l'éditeur de jeux vidéo Ubisoft en 2011, en annonçant la création de sa structure Ubisoft Motion Picture, chargée de développer ses licences au cinéma et dans les séries, ou même, plus tard en 2015, Activision Blizzard, la branche Interactive de Sony annonçait en mai 2019 la création d'une nouvelle structure, baptisée PlayStation Productions.
Il s'agissait en fait d'un studio interne chargé de phosphorer, à partir du catalogue de licences vidéoludiques de la marque, sur les potentielles adaptations au cinéma et / ou sous forme de séries (animées ou non), et les mener à leurs termes.
Et c'est peu dire que le potentiel est colossal, tant la firme est assise sur une mine d'or, avec plus d'une centaine de licences à son actif et les studios de développement faisant partie de la sphère de Sony Interactive.
Citons Naughty Dog et sa cultissime franchise Uncharted qui vient justement d'être adaptée au cinéma, mais aussi The Last of Us ; Santa Monica Studios et son extraordinaire saga des God of War ; le premier Crash Bandicoot ; le studio Sucker Punch, derrière la création des jeux InFamous et du formidable Ghost of Tsushima ; Shadow of the Colossus et Ico ; les jeux Ratchet & Clank ; le studio Guerrilla Games, créateur de la franchise de jeux FPS Killzone et derrière la création du fantastique jeu en Open World Horizon Zero Dawn , dont la sensationnelle suite, Forbidden West, sort justement aujourd'hui...
Uncharted est un galop d'essai important pour PlayStation Productions, puisqu'il s'agit de la première licence à voir le jour sous sa bannière. Nous avons eu la possibilité de poser en exclusivité quelques questions à Asad Qizilbash, directeur de la structure, qui nous explique justement comment celle-ci fonctionne et quelles sont ses ambitions.
Ci-dessous, la toute première Opening animation de Playstation Productions, avant le film Uncharted..
AlloCiné : En mai 2019, Sony Interactive lançait la création d'une nouvelle entité, Playstation Productions. Quand et comment avez-vous envisagé la création de cette structure ? Pourquoi n'est-elle pas née plus tôt ?
Asad Qizilbasch : En fait, l'idée de créer une telle structure destinée à gérer nos licences pour les films et la TV est née aux alentours de 2017, deux ans donc avant que l'annonce ne soit effective. A cette époque, nous étions au milieu de nombreuses et grandes sorties, un an tout juste après celle d'Uncharted 4, avec Horizon Zero Dawn en ligne de mire, suivie par celle de God of War.
Pour nous, il était clair que nous avions quelques unes des licences les plus excitantes dans l'univers de l'Entertainment, avec leurs histoires, leurs univers et leurs personnages, que de nombreuses personnes ne connaissaient pas forcément et n'avaient jamais éprouvé. L'idée de s'associer à notre société sœur Sony Pictures pour atteindre de nouveaux publics, tout en gardant le contrôle créatif au début du développement, a été le véritable moteur de la formation du groupe. Sa formation nous a permis d'accélérer les projets existants, et de commencer à construire un pipeline de nouveaux projets passionnants.
Quelle est l'approche de Playstation Productions concernant ses licences ? Quels sont les critères de sélections qui déterminent si telle ou telle licence sera portée au cinéma ou en série TV ? Est-il difficile de préserver les envies de la fan base des jeux tout en devant élargir celle-ci afin de toucher un public plus large ?
Dans certains cas, nous et le studio de développement du jeu avons une vision très particulière de certaines propriétés intellectuelles, de la manière dont nous voulons raconter l'histoire, du support et de la personne qui, selon nous, pourrait faire le meilleur travail. D'autres fois, nous sommes approchés par des créateurs qui expriment une passion pour l'une de nos IP et qui ont une vision créative vraiment excitante sur la façon de l'adapter. Ce qui est cohérent et important, c'est de s'assurer que nous avons une équipe créative passionnée par la propriété intellectuelle.
Uncharted 4 ou le triomphe absolu d'un studio sans égalL'adaptation de toute propriété intellectuelle bien connue s'accompagnera toujours de difficultés pour savoir à quoi s'accrocher et quoi abandonner, en particulier lorsque vous cherchez à présenter cette propriété intellectuelle à un tout nouveau public. La meilleure approche est de faire confiance aux instincts créatifs et d'essayer de ne pas trop se laisser obnubiler par l'identité du public. Concentrez-vous sur la création d'une histoire engageante et divertissante.
Parlez-nous justement de la synergie avec Sony Pictures. Comment travaillez-vous avec eux ? Avez-vous le contrôle sur le choix du casting, du réalisateur, du scénario par exemple ? Je suppose qu'un bon début avec cela est évidemment Uncharted. Diriez-vous que la création de PlayStation Productions a grandement contribué à accélérer le projet, qui devait être logiquement une priorité absolue ?
Le partenariat avec Sony Pictures fonctionne bien. PlayStation Productions dirige le développement précoce des traitements et des scripts, ce qui inclut la recherche du scénariste et, dans certains cas, du réalisateur également. Une fois que nous avons un script que nous et le studio de développement du jeu aimons, nous travaillons avec Sony Pictures pour affiner davantage le script et commencer à ajouter les pièces manquantes telles que le réalisateur et/ou le casting clé.
Pour Uncharted en particulier, le film était déjà en développement lorsque PlayStation Productions a été formé, y compris une grande partie du casting. Notre rôle sur ce film était d'intervenir et de s'assurer qu'il capture l'essence de la franchise dans le raffinement du scénario, jusqu'à la post-production.
Neil Druckmann travaille actuellement sur l'adaptation télévisée de The Last of Us. Pensez-vous qu'il est logique que le studio soit impliqué dans l'adaptation de leurs jeux au cinéma et / ou à la télévision ? Pensez-vous que ce type de collaboration se produira plus fréquemment, surtout que vous continuez à travailler avec Sony Pictures ?
Je pense qu'il est très important que les studios de jeux fassent partie du processus, car ils ont la connexion et la compréhension les plus proches de la licence. Nous ne verrons les studios de développement écrire ou réaliser qu'à certaines occasions, car ils doivent avant tout se concentrer sur les jeux ; mais ils seront toujours profondément impliqués dans le développement de nos différents projets.
Les équipes derrière les jeux seront les premières à admettre le fait que, lors de l'adaptation d'un jeu au cinéma ou à la télévision, il est crucial que sa création soit dirigée par des scénaristes et des réalisateurs de ce médium. Nous sommes dans une période passionnante, où il y a toute cette génération de grands réalisateurs de télévision et de cinéma qui ont grandi en jouant aux jeux vidéo ; qui nourrissent une vraie passion et un respect pour nos licences.
Halley Gross, qui a une solide expérience en écriture pour la télévision (Westworld), a travaillé avec Neil Druckmann sur l'histoire de The Last of Us part II. Au-delà de cet exemple, pensez-vous que les talents de l'industrie du cinéma et de la télévision devraient être plus impliqués, ou peut-être moins réticents, à travailler pour l'industrie du jeu vidéo ? Compte tenu aussi du fait que les scénaristes capables de faire des allers-retours d'une industrie (film) à une autre (jeux vidéo), ce n'est pas si courant...
J'aime cette idée que les créateurs puissent passer d'un médium à l'autre, qu'il s'agisse de jeux, de films, de livres ou de bandes dessinées. En fin de compte, il s'agit de raconter de belles histoires. Je pense que dans les années qui viennent, nous aurons davantage de mouvements de ce type.
Faire un jeu vidéo, en particulier un jeu AAA, relève d'une chronologie très différente de celle d'un film. Il est courant d'attendre 4, 5 ans (voire plus en ce qui concerne Naughty Dog) entre chaque jeu dans une franchise. Dans cette logique, y'a-t-il un agenda chez PlayStation Productions pour "combler" ces périodes ?
Coordonner la sortie de nos séries ou films avec les sorties de jeux est un objectif optimal. C'est un excellent moyen d'utiliser les vastes supports de divertissement de la télévision et du cinéma, pour présenter nos jeux à de nouveaux publics. Cependant, s'assurer que nous avons une grande série ou un bon film reste la priorité absolue. Nous voulons donc éviter de faire quoi que ce soit de précipité dans le développement pour coïncider avec certaines chronologies.
Propos recueillis par Olivier Pallaruelo le 18 février 2022