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    H6 : l'hôpital chinois raconté dans un documentaire entre solidarité, résilience... et pessimisme joyeux
    Yoann Sardet
    Rédacteur en chef depuis 2003 - Fan de SF et chasseur de faux raccords et d’easter-eggs, cet enfant des 80’s / 90’s découvre avec passion, avidité et curiosité tous types de films et séries.

    Le destin de cinq familles entre les couloirs, les salles d'attente et les lits de l’hôpital N°6 de Shanghai. La réalisatrice Ye Ye raconte un morceau de Chine dans le documentaire "H6", présenté à Cannes en 2021.

    Nour Films

    H6 de Ye Ye

    Sortie le 2 février 2022

    Le destin de cinq familles se joue à l’hôpital N°6 de Shanghai. A travers leurs histoires croisées se dessine un portrait de la Chine d’aujourd’hui entre culture traditionnelle et modernité. La solidarité, la tendresse et le sens de l’humour permettent aux familles et patients de tenir le cap face aux aléas de la vie.

    H6
    H6
    Sortie : 2 février 2022 | 1h 54min
    De Ye Ye
    Presse
    3,7
    Spectateurs
    3,9
    louer ou acheter

    AlloCiné : Comment est né le projet "H6" ? Quelle était votre intention ?

    Ye Ye (réalisatrice) : Ça a commencé lors d’une hospitalisation que j’ai subie en France. J’ai été surprise de voir à quel point le rapport à la maladie était différent que dans mes souvenirs de Chine. Beaucoup de choses que j’avais oubliées en vivant à l’étranger sont remontées à la surface. J’ai eu envie de réfléchir sur ce sujet. Je suis donc rentré en Chine pour chercher des informations. Très vite, l’idée d’un documentaire m’est apparue comme le meilleur moyen de parler des idées que j’avais en tête.

    On voit beaucoup d’images sur la Chine, avec des points de vue très biaisés, dans un sens ou dans l’autre. Je voulais laisser le spectateur face à de vrais Chinois pour qu’il puisse se faire son propre point de vue. Pour qu’il réalise que les Chinois sont des humains comme les autres, même si leurs capacités de résilience sont différentes de celles des occidentaux.

    Nour Films

    Avez-vous été surprise qu'au sein de l'hôpital chinois, le mot "argent" soit aussi souvent prononcé, alors que le mot "santé" est quasi-absent ?

    Je ne suis pas d’accord avec l’absence du mot "santé". Chacun des personnages pense d’abord à sa santé physique, mais aussi à sa santé psychologique face à l’événement. L’argent est présent, bien sûr, mais mes personnages trouvent presque toujours des solutions à ce problème. Ils sont prêts à tout pour recouvrer la santé et reprendre leur vie. Les Chinois sont très réalistes et croient que plus d’argent signifie des soins plus rapides et plus efficaces. La famille et les amis sont toujours prêts à aider dans ces moments difficiles. Ils pensent d’abord à l’argent, mais très vite, ils se concentrent sur la santé. Ils croient aussi, comme le dit un personnage, que la bonne humeur aide à la guérison.

    Comment compareriez-vous le système de santé chinois et le système de santé français ?

    Il est impossible de comparer les systèmes de santé des pays différents. On peut noter que les Américains qui ont vu le film ne font jamais référence au problème d’argent. La société chinoise a franchi en trente ans ce que les sociétés occidentales ont mis plus d’un siècle à traverser. La Chine a avancé, dans les dernières décennies, à pas de géant dans le domaine médical.

    Aujourd’hui, il y a des hôpitaux partout, avec un personnel médical très bien formé. C’est en général très efficace et rapide. Je ne peux pas dire qu'elle a atteint ce niveau sans obstacles, mais je peux dire qu'il n'y a pas de problème d'accès aux services. Depuis le tournage du film, les paysans ont un meilleur accès à la sécurité sociale. Dans le cas de Nie Shiwu, le problème est plus l’absence d’une assurance personnelle (genre Responsabilité Civile) que celui de la Sécurité Sociale.

    Nour Films

    Vous filmez l'hôpital chinois comme une usine et son personnel comme des ouvriers de la santé. C'est ce que le quotidien sur place vous a inspiré ?

    En Chine, il y a 1,5 milliard d’habitants. Une ville comme Shanghai a plus de 25 millions d’habitants. Forcément, tout est à une autre échelle. Donc, une gare, une poste, un hôpital, c’est toujours beaucoup de personnes. Il faut une organisation très stricte pour que ça fonctionne. Malgré la charge de travail, on voit dans le film que les infirmières et les médecins sont souvent très humains. Ils parlent avec les malades d’autre chose que de la maladie.

    Comment avez-vous choisi vos "personnages" ? Cela s'est-il fait au gré du tournage, du montage, ou aviez-vous repéré ces différents profils en amont ?

    J’avais repéré des profils pendant mon enquête. Je voulais un certain nombre de personnages représentatifs de la Chine contemporaine. Je savais que j’allais les trouver. Il fallait simplement choisir les plus intéressants. Dans un hôpital aussi grand, le problème du "casting" ne se pose (malheureusement) pas. Il arrive des malades ou des accidentés en permanence.

    Pour moi le montage a commencé dès le tournage. Je faisais un montage dans ma tête en permanence. J’ai filmé huit familles pour n’en garder que cinq au montage, afin d’avoir une harmonie et un rythme dans le film final. Chacun des personnages que j’ai choisi a une vie riche et touchante. Je souhaite que les spectateurs aient le sentiment d’avoir approché un peu le coeur de la Chine et des chinois à travers eux.

    Nour Films

    Comment s'est déroulé le tournage ? Comment avez-vous convaincu ces familles d'accepter votre caméra ? Comment avez-vous trouvé la bonne distance vis à vis de ce que vous filmiez ?

    J’ai tourné en même temps que la série télévisée, qui avait disposé plus de 100 caméras fixes dans tout l’hôpital. Donc mes deux caméras n’étaient pas vraiment un problème. D’autant que j’ai pris le temps de parler avec soignants, familles et patients avant de choisir qui filmer. Les autorisations de la part de l’hôpital ont demandé quelques négociations. Mais il y avait une confiance depuis la première saison de la série télévisée.

    Les raisons d’accepter d’être filmés, pour les patients, sont diverses. Certains voulaient partager leur situation, d’autres n’osaient pas vraiment refuser (comme le vieux couple). Je n’insistais pas quand j’avais une réponse négative. Exceptionnellement, je me suis permis d’insister avec l’homme au genou blessé, parce ce qu’il me paraissait totalement en phase avec ce qu’il représente. Au final, il a accepté.

    L’organisation du tournage était compliquée car tous les personnages ont été tournés en même temps. Il fallait donc être très présent auprès d’eux afin de ne pas rater de moments importants pour la narration. Il fallait surtout trouver la bonne distance avec chacun d’entre eux, être proche de leurs émotions tout en se faisant oublier.

    Donc pour ce tournage, j’ai trouvé des personnes qui me protégeaient et permettaient d’instaurer la bonne distance avec les patients. J’ai travaillé avec deux assistantes pour éviter d’avoir un contact trop direct avec les patients, car c’est toujours difficile de ne pas éprouver de l’empathie pour des gens malades.

    L’une des assistantes s’occupait des questions pratiques avec l’hôpital, l’autre me servait de "bouclier" vis à vis des personnages. Cela a évité que je sois submergée par l’émotion à plusieurs reprises. C’était aussi un moyen d’éviter que les patients ne créent une relation particulière avec moi, qui aurait pu changer leur attitude. Ils étaient aussi naturels avec moi qu’avec quelqu’un de l’équipe médicale.

    Nour Films

    Lors de la présentation à Cannes, vous disiez vouloir montrer la résilience du peuple chinois, son pessimisme joyeux. Qu'entendez-vous par là ?

    J’avais eu l’occasion, dans mon adolescence, d’observer ce mélange d’humour et de fatalisme, d’amour et de dépendance, qui caractérise, selon moi, la résistance des Chinois à l’adversité. J’ai approfondi dans le film ce que j’appelle maintenant un pessimisme joyeux. Le pessimisme joyeux, ce n’est pas de la résignation ou du désespoir, c’est un optimisme avec une pointe d’amertume.

    Même s’ils sont conscients de la gravité de la situation, on voit souvent les patients faire de l’autodérision, se vanner entre eux, ou blaguer à propos de la mort et des difficultés de la vie. Même si la situation dans laquelle je les filme est vraiment très difficile, je n’ai jamais eu le sentiment qu’ils refoulaient leur tristesse. Ce qui se dégage est un optimisme très fort.

    Pouvez-vous nous présenter chacun de vos "personnages" et quelle facette de la société chinoise chacun semble incarner ?

    Le vieux couple représente les intellectuels, aujourd’hui un peu dépassés par l’avancée trop rapide de la Chine. Ce qui leur reste, c’est l’amour. Le père chanteur représente la classe moyenne : il est l’archétype du refus d’exprimer ses émotions, sauf dans une version qui semble mise en scène. L'homme paralysé et sa femme représentent la classe paysanne : leur rêve est de pouvoir donner à leur enfants une meilleure éducation que celle qu’ils ont reçus : lui est l’archétype de l’importance de la famille. Le grand-père/le père/la petite-fille représentent la deuxième génération de villageois immigrés en ville : ils sont les archétypes de la lutte quotidienne pour la survie et ne sont pas encore prêts pour évoluer. Enfin, le vieil homme blessé à la jambe représente les ouvriers pauvres : il est l’archétype de la ténacité, il n’avance pas vite, mais ne s’arrête jamais.

    Leur avez-vous montré le film ? Qu'en ont-ils pensé ?

    J’ai des nouvelles de temps à autre, mais je ne leur ai pas montré le film. Ils ont accepté d’en être les personnages sans vraiment en attendre quelque chose, sans même imaginer ce que cela signifiait tant c’est loin de leur quotidien. C’était plutôt un besoin de partager leurs sentiments sur le moment. Mais je ne suis pas certaine qu’ils auraient envie de le voir. Il leur rappellerait sans doute trop de moments difficiles de leurs vies.

     

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