Enquête sur un scandale d'Etat, nouveau film de Thierry de Peretti, nous emmène en octobre 2015. Les douanes françaises saisissent sept tonnes de cannabis en plein cœur de la capitale. Le jour même, un ancien infiltré des stups, Hubert Antoine, contacte Stéphane Vilner, jeune journaliste à Libération.
Il prétend pouvoir démontrer l’existence d’un trafic d’État dirigé par Jacques Billard, un haut gradé de la police française. D’abord méfiant, Stéphane finit par plonger dans une enquête qui le mènera jusqu'aux recoins les plus sombres de la République.
DU LIVRE AU FILM
Porté par deux acteurs habités, Roschdy Zem et Pio Marmaï, Enquête sur un scandale d'Etat se base sur le livre du journaliste Emmanuel Fansten, L'Infiltré. Ancré dans le réel, ce récit haletant nous plonge au coeur d'une machinerie bien huilée où se mêlent corruption, trafic de drogue, espionnage et petites magouilles jusqu'au plus haut sommet de l'Etat.
Le scandale en question, mis en lumière par Fansten, est l'affaire François Thierry, ex chef du Service interministériel d’assistance technique (SIAT). Dans le film, Thierry est renommé Jacques Billard ; c'est Vincent Lindon qui lui prête ses traits.
En 2015, cet ancien commissaire est soupçonné d’avoir laissé entrer en France plusieurs dizaines de tonnes de cannabis avec la complicité d'un des plus gros trafiquants européens, Sofiane Hambli, "le baron du shit." (engagé par Thierry lui-même). Il est considéré comme l'un des plus gros trafiquants de drogue français des vingt dernières années.
ADAPTER UN SCANDALE TONITRUANT
Pour dénoncer les manoeuvres de François Thierry, le livre de Fansten retrace le parcours de l'infiltré des stups Hubert Avoine (Roschdy Zem dans le film), du syndicalisme aux cartels mexicains en passant par l’Office français des stups. Il raconte ce à quoi il dit avoir participé et qu’il pense être une dangereuse dérive de la lutte contre le trafic de drogue en France. Le livre a captivé Thierry de Peretti mais il ne se voyait pas travailler sur cette adaptation, trop éloignée de lui et de son territoire premier de cinéma qui est la Corse.
"Mais au moment de rencontrer Hubert Avoine et Emmanuel Fansten, ce que j’ai pu voir de leurs rapports m’a tout de suite plu et intrigué. Je me suis dit qu’il y avait là de quoi faire un film et raconter la relation inédite entre un journaliste et sa source, leur obsession commune pour cette enquête, leur niveau de langage, l’extrême théâtralité de leur dialogue ininterrompu, hypnotique et éprouvant. C’était évident qu’ils disaient quelque chose du monde et de cette époque qui s’achève", explique le metteur en scène.
UNE ENQUÊTE FASTIDIEUSE
Pour Emmanuel Fansten, voir son travail journalistique adapté au cinéma était magique. "Assez vite, il a été clair que Thierry de Peretti voulait moins adapter le contenu du livre que de s’inspirer de toute la genèse de ce travail, à savoir, mes rencontres, l’enquête elle-même et le lien que j’entretenais avec ma source, Hubert Avoine", précise-t-il.
Ce dernier possède une sorte d'aura mystérieuse, entre James Bond et Jacques Mesrine. Pour rester au plus près du réel dans son scénario, Thierry de Peretti a passé beaucoup de temps avec Hubert Avoine et Emmanuel Fansten avant de se lancer dans l’écriture, et ce jusqu’au décès d’Hubert Avoine en 2018. Les deux hommes ont été assez généreux et investis pour éclairer le réalisateur, l’accepter parmi eux, alors qu’ils étaient toujours, à ce moment-là, au milieu de leur enquête.
"Ils continuaient à rencontrer des gens liés à l’affaire, à échanger quotidiennement, à réfléchir… J’étais comme un stagiaire qu’on laissait accéder à des secrets incroyables. C’est ainsi que le désir de fiction est né. Et puis, rencontrer Emmanuel Fansten, qui est journaliste d’un grand quotidien, jeune, dévoué corps et âme à son travail, connecté à mille et une réalités du Paris d’aujourd’hui, ça répondait à mon désir de tourner un film en lien avec cette ville", révèle le cinéaste.
FLIC OU VOYOU ?
Hubert Avoine ouvrait à lui seul des dizaines de fenêtres sur des dizaines de mondes, selon le journaliste Emmanuel Fansten. "La façon dont il est arrivé dans ma vie, sa manière de parler, d’être, de s’habiller, son étrangeté, son accent, tout me le rendait très singulier. Le récit qu’il faisait de son vécu impressionnait, précisément parce qu’il n’était ni policier ni trafiquant. Il m’apparaissait à la fois comme un témoin, un passeur, un messager."
La difficulté que le journaliste avait à définir le statut d'Avoine le rendait à la fois insaisissable et fascinant. "Il n’avait rien du voyou qui avait été retourné par les flics, tout en ayant par certains aspects des manières de voyou. Mais il était surtout très cultivé, il s’exprimait clairement, il portait beau.
Les informations qu’il apportait me faisaient voyager de l’Amérique du Sud des cartels à l’Espagne postfranquiste, au sud de la France, à la République dominicaine. Ce tour du monde couvrait aussi plusieurs époques et c’est comme s’il catalysait à lui seul des enjeux très différents", relate Emmanuel Fansten.
UN SCANDALE SANS PRÉCÉDENT
L'affaire François Thierry / Sofiane Hambli a créé un scandale retentissant au milieu des années 2010. Pendant des années, le plus gros importateur de cannabis en France aurait été l'État lui-même. Cette controverse a remis en cause toute la stratégie de la brigade des stups dans l'Hexagone, dont les méthodes insondables ont été pointées du doigt.
Cela était d'autant plus déshonorant pour les stups que le ministre de l'Intérieur de l'époque, Claude Guéant, se pavanait avec François Thierry, se gargarisant d'avoir saisi des pains de cocaïne et des ballots de résine de cannabis.
Après l'éclatement du scandale en 2015 et l'éviction de Thierry, la réputation de l'Ocrtis, (Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants) a pris un sacré coup derrière la tête. Il a été remplacé par l’Office anti-stupéfiants (Ofast) en 2019.
UN TRAFIC D'ÉTAT ?
En février 2022, François Thierry a finalement reçu un blâme. Il avait été convoqué devant un conseil de discipline le 16 décembre dernier. Toutefois, il est toujours sous le coup d'une double instruction judiciaire à Bordeaux et à Lyon.
Cependant, selon France Inter, "l'enquête de l'Inspection générale de la police nationale n'a pas permis d'établir la moindre trace de corruption, le moindre indice d’un quelconque intérêt financier, insiste une source proche du dossier."
"En revanche, grâce à son stratagème, François Thierry a fait tomber près de 250 circuits de distribution de la drogue en France. Il y a eu un nombre impressionnant d’arrestations de revendeurs", a révélé cette même source. Là réside tout le paradoxe de cette affaire.
À l'époque, Le journal Libération avait dénoncé en Une un "trafic d'État". Les grandes instances de la police judiciaire et les ministres de l'Intérieur successifs avaient, d'après le journal, encouragé la sécurisation du passage de dizaines de tonnes de drogue entre le Maroc, l'Espagne et la France.
Ils auraient ainsi fait sorte que ces cargaisons ne soient pas interceptées avant leur livraison. Ces méthodes opaques permettaient de satisfaire les statistiques de saisies et d'arrestation de trafiquants, les dirigeants de la police, les politiciens et les médias, sans vraiment régler le problème de la drogue.
Aujourd'hui, ce scandale n'a eu finalement que peu de retombées, jusqu'à ce que Thierry de Peretti ne s'en empare pour le porter à l'écran. Son film est à l'affiche depuis le 9 février.
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