Porté par Rabah Naït Oufella, Arthur Rambo suit Karim D., jeune écrivain engagé au succès annoncé. Il y a des années, il a posté des messages haineux sur Twitter sous le pseudonyme d'Arthur Rambo. Sa vie bascule quand ces posts sont exhumés des réseaux sociaux.
Pour son premier rôle principal au cinéma, Rabah Naït Oufella retrouve Laurent Cantet, le cinéaste qui l'a révélé en 2008 dans la Palme d'Or Entre les murs. Depuis, le comédien de 29 ans a fait son chemin au coeur du cinéma français.
Alternant films d'auteur (Nocturama, Grave, Bande de filles), comédies (Les Affamés, L'Ascension, Patients) ou longs-métrages d'action (Braqueurs), Rabah Naït Oufella s'est imposé dans de nombreuses oeuvres différentes, se faisant un nom au sein de l'industrie.
Avec Arthur Rambo, il acquiert un nouveau statut, celui de tête d'affiche. Rencontre avec ce jeune acteur enthousiaste et talentueux, qui risque bien de dynamiter le cinéma français.
AlloCiné : C'est la première fois que vous avez le rôle principal dans un long-métrage. Quand vous avez lu le scénario, vous n'avez pas eu des craintes vu le sujet du film ?
Rabah Naït Oufella : J'avais commencé le cinéma avec Laurent Cantet en 2008 dans Entre les murs. C'était un film choral avec plein d'élèves d'une classe et ça s'est très bien passé. On avait des ateliers, y'avait aucune pression, c'était comme être vraiment à l'école. On ne savait pas que le film allait faire le tour du monde, et tant mieux d'ailleurs je pense.
Il y avait zéro pression, on avait l'impression d'être dans un atelier de l'école plutôt que sur un tournage de film. On ne savait pas que l'oeuvre allait faire le tour du monde. Et tant mieux d'ailleurs, je pense. Ensuite, j'ai tourné dans d'autres films, des partitions beaucoup plus courtes que dans Arthur Rambo et je pense que ça m'a permis un peu d'apprendre déjà sur le terrain.
Je n'ai jamais été pressé d'avoir ces premiers rôles en question parce que je me dis qu'un premier rôle, c'est symbolique.
Donc, niveau pression, ça va beaucoup mieux parce que je suis passé par Laurent Cantet et on a fait le tour du monde avec son film. Je me dis ça va normalement. Ensuite, pendant des années, j'ai participé à plein de films différents les uns des autres. Ça me tenait à cœur d'avoir un spectre assez large. Des propositions de premiers rôles, j'en ai eu déjà avant Arthur Rambo.
J'en ai décliné parce que ça ne me parlait pas. Il y a aussi des films qui ne sont pas faits pour des questions de financement. Et je n'ai jamais été pressé d'avoir ces premiers rôles en question parce que je me dis qu'un premier rôle, c'est symbolique. C'est un peu comme une première fois en amour et je pense qu'il faut prendre son temps et il faut en profiter.
Et donc, du coup, c'est super que cette première fois soit à nouveau avec Laurent Cantet. L'histoire est très belle. Donc ça m'a fait plaisir. Et deuxièmement, on aurait pu voir ça comme une pression, mais je suis de tous les plans. Et moi, j'ai pris ça plutôt comme un challenge. Je me suis dit que ça fait bientôt quinze ans que je fais ça, que j'ai peut-être les armes pour. Et que maintenant il faut travailler. Et puis j'ai été super bien entouré, donc ça va. C'était beaucoup de challenge, pas vraiment de pression.
Comment vous avez appréhendé ce rôle difficile de Karim D. ?
On gère ça avec beaucoup de préparation. On a répété trois quart des scènes plusieurs fois avant le tournage. Deuxièmement, on a beaucoup travaillé avec Laurent Cantet car ce rôle est très différent d'Entre les murs. Ça n'a rien à voir avec ses films précédents. C'est un film qui va vite.
C'est pas totalement dans les habitudes de Laurent Cantet, qui prend d'habitude plus le temps de laisser des scènes un peu contemplatives ou de laisser un peu les personnages vivre. Tandis que là, on est vraiment dans une course. C'est un film qui se devait de ressembler aux réseaux sociaux, sur leur vitesse. Donc, c'est quelque chose de nouveau pour moi, en tout cas dans notre expérience.
Dans quel état d'esprit vous étiez à l'idée de retrouver Laurent Cantet ?
C'était une fierté de me retrouver face à celui qui m'a ouvert un peu la porte du cinéma. Il m'a donné les armes pour avancer durant ces années, sachant que tout est un peu grâce à lui quand même. J'ai une fierté de dire à Laurent Cantet : "Regarde ce que j'ai fait de ce que tu m'as donné." C'est quelque chose qui m'a rendu très heureux.
C'était une fierté de me retrouver face à celui qui m'a ouvert un peu la porte du cinéma.
Les réseaux sociaux sont au centre du film. Quel est votre rapport justement à ces derniers ? Quel est votre regard sur ça ?
Je suis issu d'une génération, celle des 29, 30 ans. On est un peu les derniers rescapés car on a grandi sans réseaux sociaux. Quand on était petit on avait un ballon. Et donc, on a connu un peu la vie sans réseaux et la vie avec réseaux. Alors que les plus jeunes non, les pauvres. Les réseaux peuvent être des outils géniaux de communication.
Mais on les utilise quand même quotidiennement et on les questionne pas si souvent que ça. Et ils peuvent être incroyablement géniaux comme ils peuvent être incroyablement dangereux. Ce serait bien d'en mesurer la dangerosité et la complexité. Moi, en tant qu'utilisateur, je ne sais pas si j'en ai peur, mais tout ce que je sais, c'est que je tiens à garder les pieds sur terre.
La dopamine créé par ces réseaux, parfois sans s'en rendre compte, nous force à passer les trois quarts de notre temps dessus sans vraiment s'en rendre compte. Donc, c'est un peu comme une certaine addiction contre laquelle j'essaye de me battre. Je ne dis pas qu'il faut le faire. Je dis que c'est ma vision des choses, en tout cas, et j'y tiens.
Les réseaux sociaux peuvent être incroyablement géniaux comme ils peuvent être incroyablement dangereux.
Et Arthur Rambo justement, il y a une espèce de dualité entre entre son personnage sur les réseaux et sa vraie vie d'écrivain, comment avez-vous approché ce personnage ambigu ? Est-ce qu'on doit forcément tenter de le comprendre en rencontrant la personne qui a inspiré Arthur, Mehdi Meklat ? [Le film est librement inspiré de cette affaire]
Je m'étais posé la question et je l'ai aussi posé à Laurent Cantet, à savoir est-ce qu'il fallait que je rencontre Mehdi Meklat pour comprendre le personnage et le calquer. La réponse a été non parce qu'on ne fait pas un film sur Mehdi Meklat. En réalité, on fait un film sur ce mécanisme qui est Twitter, où les réseaux sociaux en général, dans lesquels il faut, pour avoir des followers et accéder à cette lumière, soit être soit très drôle, soit très fort, très intelligent ou provocant.
Ce qui peut être aussi un passage secret vers cette quête de followers, un moyen plus rapide, en tout cas, d'y accéder. Et le film questionne vraiment ce côté là en passant par la triste célèbre histoire de Mehdi Meklat. Donc le comprendre, je ne pense pas en avoir eu besoin. En tout cas, le questionner, oui. Et puis le personnage même se questionne.
On voit bien que dans les réponses qu'il donne aux gens qu'il croise durant sa chute sont différentes. Au début, c'est du déni total, pour lui c'est de l'humour, de la liberté d'expression. Ensuite, il réfléchit, peut-être que je dois m'excuser.
Ensuite, les tweets qu'il a pu écrire lui reviennent un peu en pleine gueule. On parle même des propres membres de sa famille qui ont fait un peu de lui un gourou et qui auraient pu prendre vraiment au premier degré toutes les atrocités qu'il a pu écrire. Le personnage lui même se remet en question. Je pense que le film ne donne pas en tout cas d'éléments de réponse. Le film pose lui même des questions.
Vous auriez préféré qu'il y ait un parti pris sur le destin de votre personnage ? Qu'il soit condamné par la justice par exemple ?
Je me suis renseigné un peu sur cette affaire Mehdi Meklat. J'ai lu plusieurs papiers sur ce qui lui est arrivé, ce qui s'est passé, ce qu'il a pu écrire. Ça, c'était avant le film. Il y avait plusieurs thèses, antithèses, l'affaire a été vue sous le prisme de la politique par exemple, ou analysée de façon sociologique. Elle a aussi été analysée par des médias qui peuvent être orientés dans un sens ou dans l'autre.
Et puis, chacun fait un peu sa propre analyse qui est partielle et partiale. Et avec tout ça, on peut se faire un peu une idée du personnage mais pas totalement. Comprendre ce personnage est quelque chose de très complexe. Je pense que un film pourrait être un autre coup de crayon à ce dessin général qui est l'affaire Meklat.
En tous cas, je pense pas que l'on puisse vraiment définir un avis complet sur sur une histoire que chacun voit un peu à sa sauce. Je pense que c'est un peu une question sans réponse, c'est un peu un mystère cette histoire. Et selon la façon dont on regarde cette histoire, on peut avoir plusieurs éléments de réponse différents.
Comprendre ce personnage est quelque chose de très complexe.
Est-ce que toute la censure opérée de nos jours par les réseaux sociaux est une chose qui vous agace ?
Je suis contre toute forme de censure, je pense que ce n'est pas une solution. Le fonctionnement des réseaux sociaux, c'est un peu n'importe quoi. Je pense que c'est vachement aléatoire et cette critique peut être aussi faite vis à vis des médias aussi vis à vis de la politique aujourd'hui, par exemple, la liberté d'expression.
On sait bien qu'elle n'est pas la même pour tous les citoyens. Il y a des chroniqueurs qui peuvent se permettre de dire des atrocités à longueur de journée sur les plateaux télé, sur des chaînes du service public et sur Twitter et qui aujourd'hui font campagne pour la présidence. Donc, la censure, ce n'est pas une solution, il me semble.
Je suis contre toute forme de censure, je pense que ce n'est pas une solution.
Et la liberté d'expression, ça dépend pour qui on parle. Ça fait partie du jeu. C'est comme pour la démocratie, par exemple. On voit bien que tous les pays qui découvrent la démocratie votent pour un tyran. Ça arrive très souvent. La démocratie, ça s'apprend avec le temps aussi. Je pense qu'en France, au niveau liberté d'expression, c'est un projet qui n'est pas encore totalement bien établi.
La liberté d'expression, ça veut dire plein de choses, ça veut dire est-ce qu'on a le droit de tout dire, est-ce qu'on a le droit de choquer, d'être insultant ? Je pense que la frontière est très fine entre l'humour, par exemple, et les insultes. En tout cas, certaines personnes ont plus le droit de blesser que d'autres. Ça, c'est la seule chose dont on est persuadés.
Est-ce que vous saviez que les tweets choquants de votre personnage allaient être incrustés à l'écran ? C'est un parti-pris original.
Je savais que ça allait être présenté sous forme de cartons, mais j'avais pas exactement comment ça allait être fait. À la découverte du film, j'ai trouvé que c'était un parti-pris très intéressant. Ma lecture du film a été un peu en équilibre entre une certaine forme d'empathie et de rejet.
Et ça bascule un peu toutes les cinq minutes pendant le film. Et je pense que ces tweets ont participé un peu à l'équilibre de ces deux sentiments qu'on peut trouver pendant qu'on regarde ce film. Peut-être que si les tweet étaient moins choquants, finalement, pourquoi en faire toute une histoire ?
Je pense que la frontière est très fine entre l'humour, par exemple, et les insultes.
Vous avez une scène marquante dans le film où le personnage du petit frère de Karim, Farid, lui balance toute sa colère. Ici, vous êtes dans le silence, l'écoute. Comment on arrive à bien jouer les silences aussi, quand on est comédien ?
Je ne peux pas parler au nom de tous les acteurs. En mon nom, c'était une des scènes les plus compliquées parce que quand l'émotion doit passer par le jeu pur, on n'a pas de béquille qui est le texte.
Pour nous aider, par contre, la béquille que j'ai eue pendant cette scène, ça a été clairement Bilel Chegrani, l'acteur qui joue le rôle du petit frère. Il qui nous a livré une performance incroyable qui a réussi à m'émouvoir et ça m'a beaucoup aidé dans le jeu.
Un projet en vue après Arthur Rambo ?
Je suis en préparation pour une série Canal+.
LA BANDE-ANNONCE D'ARTHUR RAMBO