De quoi ça parle?
Ida Lupino est restée dans les mémoires comme l'une des plus grandes actrices de l'âge d'or hollywoodien du début des années 30 à la fin des années 50. Elle a donné la réplique à Humphrey Bogart et Edward G. Robinson, et joué sous la direction des plus grands cinéastes : Raoul Walsh, Michael Curtiz, Fritz Lang.
On sait moins qu'elle fut elle-même une réalisatrice audacieuse, à qui l'on doit une demi-douzaine de films où elle n'hésitait pas à sortir des sentiers battus. Longtemps seule femme membre de la Director's Guild of America, elle aborda des thèmes difficiles, comme l'avortement et le viol, que ni les studios, ni ses collègues masculins n'avaient osé traiter aussi crûment. Ce portrait de l'artiste vient le rappeler.
Sur OCS ce 23 octobre 2021.
AlloCiné : Vous poursuivez votre exploration de l'histoire de Hollywood en vous intéressant cette fois-ci au parcours méconnu d'Ida Lupino. Comment et pourquoi avez-vous eu l'envie et l'idée de lui consacrer ce documentaire ?
Clara et Julia Kuperberg, réalisatrices : Nous connaissions Ida Lupino actrice mais très peu comme réalisatrice. Et lorsque nous nous sommes penchées sur son travail et sur sa vie nous avons découvert une femme incroyable à l’œuvre avant gardiste et d’une modernité formidable.
Seule femme réalisatrice à Hollywood face à plus d’un millier de réalisateurs hommes dans une Amérique puritaine et soumise au code de censure à Hollywood, elle est pourtant arrivée à faire des films audacieux sur des sujets tabous qu’aucun studio de cinéma ne voulait toucher. Le viol, la maladie, la bigamie même sont des thèmes qu’elle a abordés, jamais de façon manichéenne, ses personnages et ses histoires sont toujours modernes aujourd’hui car elle ne porte pas de jugement, personne n’est noir ou blanc.
Quelle est la découverte majeure que vous avez faite à son sujet qui vous a particulièrement marquées ?
Outrage, son film sur le viol, vu du point de vue de la victime. Le viol n’est jamais érotisé comme souvent dans le cinéma américain. Et surtout le film raconte le choc post traumatique de cette jeune femme après le viol.
C’était du jamais vu en 1950 quand à Hollywood on n’avait même pas le droit de prononcer le mot « viol » dans un film à cause du code de censure.
Le documentaire trouve un écho très actuel car on découvre que son cinéma avait abordé très tôt la question du viol par exemple. Cela semble assez fou de découvrir aujourd'hui qu'un tel film a pu voir le jour avec tant de liberté. Comment expliquez-vous qu'elle ait pu mener à bien ce film à cette époque ?
Elle a pu faire des films aussi audacieux car elle était brillante et savait jouer de la censure. Dans Outrage, son film sur le viol, rien n’est montré et pourtant la scène est d’une violence sans équivoque. Le mot viol n’est jamais prononcé et pourtant on n’a aucun doute sur l’horreur qu’il se passe en ellipse.
Elle travaillait en plus comme indépendante. Sa société de production The Filmakers qu’elle avait créee avec son mari lui donnait une liberté impossible dans un studio.
Que cela soit à travers vos documentaires, le travail d'autres cinéastes, dans les musées ou dans les rayons des librairies, on constate qu'il y a un intérêt fort pour la question de l'invisibilisation de l'oeuvre des artistes femmes. Qu'en pensez-vous ? Comment expliquez vous cet engouement ?
On trouve cela formidable que ces femmes qui font partie de l’histoire du cinéma soient enfin reconnues et remises dans la lumière. Elles étaient nombreuses au début du cinéma comme nous le racontions dans notre documentaire Et la femme créa Hollywood mais elles ont ensuite été totalement effacées et invisibilisées. Donc il est temps de leur redonner leur place et de découvrir ou redécouvrir leur œuvre.
Sur OCS le 23 octobre.
Podcast : quelle place pour les femmes dans l'Histoire du cinéma ?