La chaîne Arte a la lumineuse idée de diffuser ce lundi soir le film Maurice, signé par James Ivory. L'histoire de deux hommes, Maurice et Clive, qui s'aiment d'un amour chaste mais passionné. Pourtant, après l'arrestation pour outrage aux moeurs de leur ami Risley, ouvertement homosexuel, Clive craint d'être compromis dans la bonne société londonienne. Il renonce alors à son amour interdit, et épouse Anne...
Après le succès mondial de Chambre avec vue, James Ivory, le plus britannique des réalisateurs américains, adapte à nouveau un roman du grand écrivain E.M. Forster. Un roman qui ne fut d'ailleurs publié qu'à titre posthume, en raison de son sujet scandaleux.
Porté par un sensationnel Hugh Grant, des années avant que ce dernier ne se révèle aux yeux du grand public dans la comédie culte Quatre mariages et un enterrement, et qui recevra d'ailleurs le prix d'interprétation masculine au festival de Venise en 1987 ; épaulé par un non moins formidable James Wilby, ce brillant film, raffiné, du futur réalisateur de Howards End et des Vestiges du jour raconte la difficulté de vivre son homosexualité dans l'univers conformiste, étriqué et étouffant de l'Angleterre édouardienne.
L'histoire se déroule dans un pays et à une époque où l'homosexualité était un délit passible de prison, en vertu d'une loi de 1885. Oscar Wilde en fit d'ailleurs l'amère expérience en 1895. Plus proche de nous d'ailleurs, le génie des mathématiques et cryptologue Alan Turing, dont le tragique destin fait l'objet d'un film, Imitation Game, fut persécuté en raison de son homosexualité au point de se suicider.
L'immense acteur John Gielgud, considéré à juste titre comme l’un des plus grands acteurs britanniques et shakespeariens du XXe siècle, fut lui aussi victime de cette loi. En octobre 1953, il fut au cœur d’une affaire de mœurs. Arrêté à Chelsea pour avoir sollicité des faveurs sexuelles à un homme dans des toilettes publiques, il plaida coupable. L’affaire s’ébruita dans la presse, et Gielgud en sorti publiquement humilié. Sur les conseils de son entourage, il ne se rendit plus aux Etats-Unis pendant quelques années, par crainte de se voir refuser par les douanes l’accès au pays du fait de sa condamnation. Il songea même brièvement au suicide, avant de se jeter à corps perdu dans le travail.
Il faudra attendre 1967 et le Sexual Offences Act pour que l'homosexualité entre hommes soit partiellement dépénalisée. Et encore, sous des critères bien précis, et uniquement en Angleterre ainsi qu'au Pays de Galles.
"Maurice est arrivé au bon moment. Le film est sorti au moment où la crise du sida explosait. Et ça aurait pu être autrement" se souvient, des années plus tard, son réalisateur. "S'il était sorti cinq ans plus tôt, il aurait été attaqué. Mais les gens n'ont pas osé le faire en 1987. Le sida était un problème trop important pour beaucoup. Les gens qui l'ont critiqué ont dû tempérer leurs propos. Ils ont pu l'attaquer sur un plan moral, mais avec retenue et discrétion. Nous avons eu beaucoup de partisans, et ça été un soulagement pour beaucoup de gens". 34 ans après sa sortie, la force du film est toujours là, intacte.
Ci-dessous, la bande-annonce du film...