Guermantes, c'est l'histoire d'une pièce qui n'a pas eu lieu, confinement oblige. Mais qui connaît une seconde vie sur grand écran. Réalisé par Christophe Honoré, qui devait mettre en scène la troupe de la Comédie Française dans cette adaptation de "Du côté de Guermantes" de Marcel Proust, le long métrage raconte comment, face à l'annulation, l'équipe de continuer à jouer malgré tout, pour la beauté, la douceur et le plaisir de rester ensemble.
Et c'est à deux pas du Théâtre Marigny, dans lequel se déroule la majeure partie du récit, que nous retrouvons le réalisateur pour évoquer ce film à mi-chemin entre la fiction et la réalité, diffusé sur France 5 quelques jours avant sa sortie en salles.
AlloCiné : Si l'on comprend facilement ce qui a motivé le projet, qui en a eu l'idée ? Y a-t-il eu un élément déclencheur ?
Christophe Honoré : C'est vraiment venu de l'extérieur. C'est France Télévisions qui a proposé à la Comédie Française, au moment du premier confinement, de faire des captations de leurs pièces. En évoquant notamment le fait que des cinéastes étaient alors metteurs en scène de théâtre pour eux à ce moment-là.
La Comédie Française m'a proposé ça, mais faire une captation ne me fait pas rêver. Et surtout nous n'avions pas créé le spectacle, puisqu'on avait été interrompus au moment du premier confinement. Donc j'ai d'abord dit non. Mais ils ont été un peu insistants, en me disant que j'avais le droit de faire ce que je voulais. Et ça c'est quelque chose qui, pour un cinéaste, n'arrive plus jamais. C'est-à-dire que, soudain, on vous donne la possibilité de faire une espèce de geste spontané, même si c'était dans une échelle de production très particulière.
Ils m'ont confirmé que j'avais le droit de faire ce que je voulais fin juin [2020], on a tourné quinze jours - trois semaines après. Il y avait pour moi une espèce d'élan assez inattendu. Comme tout le monde, j'étais dans une période où je ne faisais rien par la force des choses, où rien n'était possible. Je sais que certains cinéastes et écrivains ont vu cette période d'isolement comme un moment privilégié pour se mettre à créer. Mais moi, à partir du moment où c'était un temps imposé, je n'ai rien pu faire. Vraiment rien.
Donc là il y avait quelque chose d'inattendu et d'incertain qui m'a plu. L'inattendu et l'incertain sont vraiment des paramètres qui n'existent plus au cinéma. Vous passez des mois à essayer de convaincre des gens que votre scénario a de l'intérêt à être transformé en film, et il y a toujours un moment d'attente de tourner qui est très laborieux. Là il suffisait de s'engouffrer dans la porte ouverte, mais ce n'est pas moi qui ai demandé à l'ouvrir. On l'a vraiment ouverte devant moi.
L'inattendu et l'incertain sont vraiment des paramètres qui n'existent plus au cinéma.
Il était donc prévu dès le début que le film serait diffusé sur France Télévisions avant de sortir en salles ? Ou le passage par les cinémas a été décidé dans un second temps ?
La sortie s'est décidée plus tard. On a fait le film puis, avec ma monteuse [Chantal Hymans], nous avons travaillé dessus au mois d'août, et nous avons abouti à ce film. Et moi j'avais quand même embarqué mon producteur de cinéma pour structurer un peu ce tournage, et je pense qu'il a été surpris par le film. Parce que pour lui aussi, en tant que producteur, c'est rare de voir un film sans avoir lu de scénario (rires) Et on avait tourné dix jours sans savoir du tout ce qu'on avait fait.
Donc il a découvert le film sans savoir ce qu'il allait être. Et avec son étonnement et le caractère un peu inédit du film, il m'a dit que nous pouvions le proposer à Memento, qui avait distribué mon film précédent [Chambre 212]. Ils l'ont vu et nous ont dit que si France Télévisions était d'accord, ils étaient prêts à jouer le jeu. Qu'on laisse la chaîne le diffuser, mais que ce serait bien qu'on le projette en salles. C'est comme ça que la possibilité de le présenter sur grand écran est arrivée.
Quand vous dites que votre producteur ne savait pas à quoi le film allait ressembler, c'est parce qu'il s'est écrit au jour le jour ?
Oui, il n'y avait pas de scénario. Moi j'avais quelques pages de notes et, surtout, j'avais beaucoup communiqué, à distance, avec chacun des comédiens. Donc le film ne s'est pas tout à fait inventé au jour le jour, mais il ne s'est quand même pas structuré en séquences avec des dialogues appris. Nous tournions au Théâtre de Marigny. Moi j'arrivais le matin et, en général, je convoquais les acteurs que je voulais faire tourner dans la matinée, en leur expliquant la situation et ce que je voulais que ça raconte.
Je distribuais parfois une ou deux phrase(s), en expliquant que je voulais vraiment que telle chose soit dite à un moment. Et puis on se lançait dans une impro. Mon chef opérateur ne savait pas très bien qui allait parler, donc la caméra était forcément à l'épaule. La grammaire du film était imposée par sa méthode de fabrication. On avançait comme ça jusqu'à 23h, et on a fait ça en quelques jours en juillet. J'avais un peu le récit en tête et, de toute façon, les cinéastes n'ont pas besoin d'écrire un scénario pour l'avoir en tête.
Ça ne me sert pas, mais je ne dis pas non plus que je peux me passer de scénario. C'est juste que, par rapport à ce que j'ai envie de raconter, la forme du scénario est toujours plus que transitoire. On écrit un scénario pour rassurer les autres, mais pas pour se rassurer soi en tant que cinéaste. Car on sait très bien ce qu'on va raconter. C'était aussi le cas ici. Et ce qui était agréable, c'était d'avoir une troupe sans aucune retenue, à qui j'ai dit que je voulais les filmer de près, alors qu'au théâtre je les regarde de loin quand je les mets en scène. Les choses se sont ensuite dépliées de façon naturelle.
Aviez-vous déjà travaillé de la sorte au cinéma ?
Pas tellement au cinéma, mais je travaille beaucoup comme ça au théâtre quand je mets en scène ["Les Idoles", "Avant la fin de l'histoire" ou "Nouveau roman", ndlr]. Ce qu'on appelle de l'écriture de plateau : le texte n'est pas du tout écrit au début des répétitions. Il y a un gros travail dramaturgique et de documentation puis, jour après jour, je demande aux comédiens d'improviser, je les filme en général. Puis je retranscris les impros, et c'est à partie de là que j'écris le texte.
Donc j'ai importé dans un film cette méthode de travail que j'avais expérimentée au théâtre. Mais c'est vraiment la première fois, même si ça peut arriver, sur deux mois de tournage, des après-midi où vous vous permettez de tourner des choses qui ne sont pas prévues dans le scénario, et où vous amenez les comédiens, soit à improviser sur le texte, soit à improviser sur la situation. C'est toujours une volonté chez moi - un peu une obsession même - de faire en sorte que les tournages échappent au scénario.
Il n'y a rien qui me rend plus triste qu'une journée de tournage où j'ai l'impression d'avoir exécuté les pages d'un scénario, où chaque ligne correspond à un plan. En général, les plans dont vous êtes content en fin de journée, c'est toujours les plans que vous n'aviez pas imaginés et où soudain, parce qu'il y a une lumière, un acteur qui fait quelque chose et une actrice qui dit quelque chose, vous décidez de changer ce qui était prévu.
Ça ne veut pas dire que ces plans seront conservés au moment du montage. Souvent, la grâce que vous avez au tournage, vous la voyez et ne comprenez pas très bien pourquoi vous étiez aussi excité à l'idée de faire ça. Mais en tout cas, ça donne cette impression. Et il y a cette vraie discipline pour moi, de me dire qu'un film advient au tournage. Il ne faut pas qu'il advienne au scénario. Ce qui me semble faire cinéma, c'est quand il y a quelque chose qui échappe au récit, à la littérature, à l'illustration, au visuel et qui n'appartient qu'au cinéma. Et ce sont souvent des choses que vous arrivez à faire au présent d'une journée de tournage.
Exactement comme un peintre qui se met à faire quelque chose, se goure de couleur et se rend compte que c'est plus intéressant ainsi. Ou, par exemple, dans l'écriture : au milieu d'un chapitre, une digression nous emmène ailleurs, et la littérature nous envahit, s'installe et règne sur ce qu'on a écrit.
On écrit un scénario pour rassurer les autres, mais pas pour se rassurer soi en tant que cinéaste.
On retrouve des digressions dans le film, et elles rappellent l'écriture de Proust. On sent que son influence est allée au-delà du sujet.
Oui, on a tous vécu une année assez proustienne. Parce que le fait d'être empêché, confiné, et d'avoir un monde assez anxiogène autour de nous, c'est une humeur très proustienne. Il ne faut pas oublier qu'une grande partie de "À la recherche du temps perdu" a été écrite dans une chambre alors que c'était la Première Guerre Mondiale. Les gens ont souvent beaucoup de lieux communs sur Proust, mais ils oublient très souvent cette idée de la menace. "La Recherche" est un livre constamment menacé par le réel. La sensation de vouloir maîtriser quelque chose répond à cette menace, et c'est vrai que le film répond à ça.
Il y en a une trace. Pendant le premier confinement, comme tout le monde, j'étais un peu déprimé et un médecin que je connaissais m'a contacté en me disant qu'il fallait que des artistes viennent à l'hôpital pour filmer tout ça. Au-delà de la question de potentiellement mettre des personnes en danger, je n'étais pas sûr que les cinéastes soient les meilleures personnes pour filmer. Moi je ne connais pas ce milieu, je vais arriver avec une pauvre petite caméra, je vais me mettre dans un coin, mais je n'y connais rien. On a d'ailleurs beaucoup échangé sur la place d'un artiste face au réel.
Au final c'est l'administration qui a dit non, mais je crois que le film est une réponse à cette demande des médecins. Et c'est justement celui avec qui j'avais discuté avec qui j'ai un entretien dans le film, quand il me dit son regret que je ne sois pas venu filmer. C'est pour ça que j'ai voulu mettre cette séquence très documentaire dans le film. Parce que pour moi, c'est une réponse à ça.
Parce que ça, moi je peux le filmer. Je peux réussir à faire d'une troupe de théâtre coincée sur un plateau à Marigny une métaphore des humeurs, des sentiments et des idées qui nous ont traversées pendant le confinement. Beaucoup plus que d'être capable de témoigner pour d'autres gens, de parler à la place d'autres gens. C'est toujours un truc qui me pose beaucoup de problèmes et de questions en tant que cinéaste.
Et pour en revenir à votre question sur les digressions, c'est vrai que le film fonctionne comme des paperolles [bandelettes de papier enroulées sur elles-mêmes et fixées sur un support, ndlr] : on écrit une scène puis il y a une scène satellite, qui a elle-même une scène satellite. Et moi je n'ai eu de cesse, comme je n'avais pas de scénario à suivre, de rajouter des petits trucs dans ce qu'on avait tourné. J'étais dans cette profusion un peu sans fin, qui fait que le film est assez long et qu'il devait durer une heure de plus au début. J'ai soudain eu une matière immense. Et dans un sens, Proust nous a inspirés dans sa manière de construire le récit.
Et on retrouve le prénom Marcel dans deux des livres que vous avez écrits. Était-ce, déjà, une référence à Proust ?
C'est assez drôle, car quand j'écris mon premier livre pour enfants, "Tout contre Léo", la première phrase c'est "P'tit Marcel qui m'appelle", et moi j'ai pensé à ça. Mais évidemment, au moment où je l'ai publié, personne n'a pensé que, dans un livre pour enfants, je me permettrais de faire cela. Et le livre avait quelque chose de lointain, mais d'inconscient, puisque je remettais en scène ma propre enfance en Bretagne, avec mes frères. C'est vraiment au moment des "Idoles" que je me suis beaucoup, beaucoup plongé dans Proust. Avant même de travailler sur Guermantes.
Quand je vois Plaire, aimer et courir vite, je sens bien que j'étais en train de lire Prosut. Pareil quand j'ai écrit le scénario de Chambre 212. C'est un truc assez bizarre. Un truc d'âge aussi : je pense qu'il y a un âge où vous aimez bien être complètement en résonance avec le contemporain, avec toute la trivialité que ça entraîne. Je crois que l'un des marqueurs du fait que vous vieillissez, au-delà du fait que vous prenez de la graisse et des cheveux blancs, c'est aussi qu'à un moment vous finissez par consacrer votre temps à des objets artistiques qui vous remplissent et vous permettent de vivre plus fortement.
On imagine que la phase de casting n'a jamais été aussi facile pour vous que sur ce film.
Oui : les acteurs étaient déjà là, donc j'étais obligé de les prendre. Ce qui était difficile, c'est que je m'étais engagé auprès d'eux pour qu'ils aient tous la même partition. Mais vous remarquerez qu'ils sont seize et qu'il n'y a pas de premier rôle, ce qui est à peu près impossible dans un film. Vous ne pouvez pas donner seize partitions quand vous écrivez un scénario, même dans les films choraux. Ils ne fonctionnent pas comme ça.
Et un déséquilibre peut aussi se créer au montage.
Voilà. Les acteurs m'avaient donné beaucoup à travers les improvisations - ils seraient d'ailleurs en droit de me réclamer des royalties. La majorité des dialogues qui sont dans le film, ce sont eux qui les ont inventés. Donc tous ont à peu près le même temps de parole. C'est comme dans un débat télévisé, et j'ai essayé d'être très vigilant là-dessus. Qu'ils existent tous pleinement dans le film Ce qui donne, pour le spectateur, un caractère presqu'éparpillé, et fait se demander ce qu'on nous raconte.
Mais, selon moi, cela finit par être agréable car cela donne l'impression que tout peut arriver, puisqu'on passe continuellement d'un personnage à un autre. Et il y a surtout beaucoup de scènes collectives. C'est rare que vous puissiez mettre en scène dans un même plan, une même séquence, quinze personnes. Et que ces quinze personnes parlent et existent pour de vrai.
Si je suis cinéaste, c'est certainement parce que je préfère regarder les autres plutôt que de me montrer.
L'une des grandes nouveautés, c'est que vous jouez vous-même dedans.
Vous aurez pu dire que je joue merveilleusement bien dedans (rires) J'avoue qu'au début, je pensais demander à quelqu'un. Mais j'ai vite réalisé que je n'allais pas pouvoir avoir une espèce de contrat avec les acteurs, jouer avec leur propre identité et leur mettre quelqu'un qui n'est pas le metteur en scène de la pièce. Donc je leur ai demandé l'autorisation et, par gentillesse, ils m'ont dit évidemment dit oui. Mais ça me mettait dans un état de grande vulnérabilité. Car ce n'est pas quelque chose que je sais faire. Je suis incompétent pour ça. Si je suis cinéaste, c'est certainement parce que je préfère regarder les autres plutôt que de me montrer.
J'assume mon statut de voyeur et ne me sens absolument pas exhibitionniste. Ça a été très étrange puisque c'est le tournage où j'ai été le moins stressé, étrangement. C'était assez joyeux, parce que comme j'étais avec eux, j'avais l'impression de partager la responsabilité du projet avec tout le monde. Alors que d'habitude, ça n'est pas tellement ça. C'était aussi bizarre, parce qu'en général c'est vous qui rassurez les comédiens. Quand on faisait des impros, c'est eux qui me rassuraient alors que je pensais que ce que j'avais fait était nul, tout en me donnant des conseils.
Il y avait comme une autorité partagée et inversée, et qui, du coup, m'a beaucoup libéré. Et j'ai trouvé ça très agréable. Assez troublant aussi, parce que c'est une question que je me pose beaucoup, la question du pouvoir du metteur en scène. C'est vraiment quelque chose qui embarrasse beaucoup et dont j'use, comme tous les metteurs en scène, parce que c'est impossible d'échapper à son pouvoir en tant que metteur en scène, et qu'en plus vous avez des équipes où tout le monde est soi-disant à votre service et attend de vous que vous les dirigiez. On parle d'ailleurs de direction d'acteurs.
On sait bien qu'à partir moment où on a un pouvoir, les abus sont très faciles, et qu'on pardonne toujours ses excès, ses caprices, sa mauvaise foi au metteur en scène. Mais là, étrangement, me retrouver devant la caméra, ça me déplaçait. Et je crois que ça a participé à ce que l'humeur du film soit plus légère et joyeuse. Dans une espèce de tendresse.
Le film a-t-il eu une influence sur votre façon de mettre la pièce en scène, une fois que vous avez finalement pu la jouer ?
Dans la mise en scène, pas tant que ça. Sauf que si. C'est pas vrai. Parce que Claude Mathieu, qui est la doyenne, quand on a repris les répétitions, nous a dit qu'elle était à un âge auquel elle ne pouvait pas se permettre de répéter sans masque. Je lui ai donc répondu qu'elle serait quand même dans le spectacle, car on projetterait le mort de la grand-mère, que vous avions tournée pendant l'été. C'est un épisode très important de "Du côté de Guermantes", et on n'avait pas prévu que ce soit de la vidéo.
Ensuite ça a créé des rapports et des liens très forts entre les acteurs et moi. Quand vous êtes à la Comédie Française, vous êtes invité, ce n'est pas vous qui proposez une pièce. Éric Ruf, qui dirige la Comédie Française, propose à des metteurs en scène. Donc vous arrivez, vous ne connaissez pas les comédiens, vous travaillez six-sept semaines avec eux, vous faites une pièce puis vous partez et ils en font ce qu'ils veulent de la pièce. Même si ça se passe très bien, vous êtes dans un rapport assez détaché quand même.
Là, je pense que ce qu'on a vécu et revécu - car on a commencé à la jouer, mais le second confinement nous a interrompus - a créé entre nous des liens d'affection certainement plus forts que si rien ne s'était passé. Mais je ne crois pas que ça m'ait vraiment influencé. Les mises en scène de théâtre, dans la mesure où les temps de répétition sont assez courts, vous êtes obligé de les écrire beaucoup en amont. Il n'y a pas de chose où je me suis dit que j'allais la refaire autrement.
Le film mélange le vrai et le faux : quelle proportion il y a de de vrai et de fictif dans "Guermantes" ?
Tout est vrai. Tout est vrai dans la mesure où on était ici, qu'on ne pouvait pas jouer, qu'il y avait la pandémie, qu'Elsa Lepoivre s'appelle Elsa Lepoivre, que Serge Bagdassarian s'appelle Serge Bagdassarian, et moi par mon prénom. Après, ce n'est pas parce que c'est vrai que c'est réel. Et c'est bien tout le problème au cinéma : tout est vrai mais raconté. Et à partir du moment où c'est raconté, vous vous permettez tout. Mais ce n'est pas parce que la frontière entre fiction et documentaire semble indécise que les acteurs ne peuvent pas raconter ce qu'ils veulent. Ils choisissent les mots.
Et moi je ne vais pas les faire passer au sérum de vérité après, pour savoir si ce qui est raconté dans le film est vrai, si Laurent [Lafitte] est vraiment angoissé avec la bande-annonce de son film [L'Origine du monde, finalement sorti le 15 septembre 2021, ndlr]. C'est un reflet de nous. Mais au présent. Et le réel peut parfois être aussi fort dans des histoires romancées. Parce que, soudain, un acteur ou une actrice est en train de vivre une séparation ou un début d'histoire d'amour pendant le tournage, et ça va venir nourrir la fiction. De toute façon, le cinéma ne fonctionne qu'avec du vrai.
Alors là, oui, c'est certainement un peu plus troublant pour le spectateur de décrypter et de se demander s'il y a vraiment une histoire entre telle et telle personne. Mais tant mieux. Je n'ai pas à démentir ni affirmer quoi que ce soit en fait. En tout cas, c'était vrai qu'on le faisait.
Vous remerciez trois cinéastes dans le générique : Sofia Coppola, Wim Wenders et Jean Renoir. Pour quelles raisons ?
Parce que ça fait partie du viatique que j'ai donné à chacun des acteurs. Avant qu'on se retrouve ici, je leur ai donné un trousseau de vêtements, je leur ai dit les couleurs de vêtements à prendre - parce que, forcément, ils ont choisi leurs costumes dans leur garde robe - et je leur ai demandé de voir trois films, qui sont pour moi trois grands films sur les acteurs : French Cancan de Renoir. L'Etat des choses de Wenders, sur cette équipe de tournage qui, à un moment, s'arrête de tourner et qui est dans l'attente.
Et Somewhere de Sofia Coppola qui, pour moi, est peut-être l'un des plus grands films autour de la question "Qu'est ce que c'est qu'un acteur quand il ne joue pas ?" Moi ça m'intéresse beaucoup. Les acteurs et actrices m'intéressent beaucoup, car ce sont des vies très particulières. Je crois que les acteurs m'intéressent encore plus quand ils ne jouent pas, quand ils ne sont pas entre "Moteur !" et "Coupez !", ou entre le lever et le baisser de rideau. Et comment ils ne cessent de travailler dans leur vie réelle. C'est vraiment l'enjeu dans French Cancan, car un spectacle doit se faire, mais il s'arrête et doit se refaire dans un autre lieu.
Dans le Wenders, c'est pareil : c'est une équipe de tournage en inactivité, empêchée. Et puis dans Somewhere il y a ce garçon qui erre dans son hôtel, dans les rapports avec sa fille et qui n'est pas un très bon acteur. Dans le film. Mais malgré tout, tous les petits moments sont des moments de fiction. C'est ça qui m'intéresse et c'est pour ça que je les ai remerciés dans le générique.
La manière de tourner "Guermantes" aura-t-elle une influence sur votre prochain film ?
Tout influence toujours. Vous faites toujours un peu les films en réaction au projet d'avant. Et comme j'ai ausi tendance à faire des pièces de théâtre ou des mises en scène d'opéra entre mes films, chaque chose m'entraîne un peu ailleurs. Et Guermantes est aussi une sorte d'autoportrait d'un metteur en scène au travail. C'est un film sur Proust et la troupe de la Comédie Française, mais je vois bien aussi qu'il y a un côté autoportrait dedans. Et mon prochain film est très personnel, donc peut-être que je me permets maintenant d'avoir un peu moins de doubles de fiction que dans mes premiers films.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 24 septembre 2021