L'histoire : A Paris, Simon et Hélène décident de vendre une cave dans l’immeuble où ils habitent. Un homme, au passé trouble, l’achète et s’y installe sans prévenir. Peu à peu, sa présence va bouleverser la vie du couple.
AlloCiné : On pourrait penser à première vue que le point de départ de L'Homme de la cave est une pure fiction. Or, vous vous inspirez d'une histoire réellement arrivée...
Philippe Le Guay, réalisateur et coscénariste : Je connaissais deux personnes, à qui cette histoire est arrivée. Un couple tout à fait normal, enseignants. Ils ont deux caves dans leur immeuble. C’est un appartement de famille. Ils décident d’en vendre une pour faire des travaux. Un type arrive...
spoiler: Ils vendent la cave, et le type s’avère être un prof radié pour négationnisme. C’est une sorte d’onde de choc. Cela réveille le passé, puisqu’on va découvrir que, dans cette famille, il y a un grand oncle qui a été déporté à Auschwitz. C’est tout le paradoxe et la folie de cette situation d’un couple qui abrite -dans la cave, dans les entrailles de l’immeuble-, quelqu’un qui dit que cette histoire n’a pas eu lieu.
Donc, c’est un cauchemar, qui, en même temps, est étayé par la réalité. J’ai essayé de donner une forme vraisemblable, tout en gardant une tension un peu thriller.
Il y a en effet tout un travail de mise en scène pour créer un climat de tension. Cela passe par exemple par les décors, la lumière, la musique...
Oui, il y a une sorte d’intensité bien sûr. Il y a la personnalité de l’acteur qui joue l’homme de la cave et qui est en l’occurrence François Cluzet, qui amène une puissance. Il est là quoi ! On ne va pas s’en débarrasser facilement.
En même temps, c’est un personnage misérable. Cet homme n’a rien, il n’a que cette cave. C’est tout le paradoxe. Ce type qui est du côté des bourreaux se pose en tant que victime.
Tout l'enjeu est d'apporter une certaine nuance à ce personnage. Il intrigue, il nous pousse à nous interroger...
spoiler: Mon effort dans le film était de ne jamais lui faire tenir des propos antisémites ou négationnistes à l’image. C’est-à-dire que ce sont les autres qui nous renseignent sur lui, en particulier les avocats.
Après Normandie nue, vous retrouvez François Cluzet dans un rôle diamétralement opposé, et dans lequel il s’expose différemment pourrions nous dire... C'est un rôle plus sombre, une facette qu'il avait pu montrer notamment dans Un dernier pour la route de Philippe Godeau ou L'Enfer de Claude Chabrol.
Quand on aime un acteur, quand on voit l’ampleur du registre qu’il peut incarner, c’était vraiment jubilatoire pour moi de partir du contrepied de ce que j’avais fait dans Normandie nue, où il jouait un maire empathique, généreux.
Ici il s'agissait d’aller explorer la face noire, la haine, le soupçon, et de le faire avec lui, avec sa complicité. Il ne s'agissait pas d'aller chercher un type avec une sale gueule. Cela part de l’intérieur, c’est ça qui est vraiment intéressant.
Je voyais François Cluzet arriver sur le plateau, trouver l’émotion et la vérité du personnage, avec lequel le vrai François n’a évidemment rien à voir ! Mais du coup, on sait qu’il y a du jeu. C’est ça qui est beau avec les acteurs, c’est le fait de nous inviter à jouer avec eux.
On n’a pas besoin de prendre un salaud pour jouer un salaud, on sait que ce n’est pas ça ! Par contre, de le voir se transformer sous nos yeux, c’est quelque chose de formidable.
Il y a aussi toute une symbolique liée à la cave... Ce qui reste en dessous, et ce qu’il y a à la surface…
Oui il y a tout un imaginaire lié à la cave, au souterrain, à la pulsion, tout ce qui est caché, refoulé... Ce personnage, au fond, exprime ce refoulement, toutes ces choses nauséabondes qui font partie de nos vies.
On va jamais dans une cave par plaisir : l’ambiance de la cave, la terre battue… Il y a toujours quelque chose d’assez oppressant.
Ce film sort dans un contexte particulier, sur fond de complotisme et de résurgence d'antisémtisme notamment...
Il fallait que je le fasse, presque pour moi-même, tout en étant conscient que le film n’est pas un autoportrait. J’avais une nécessité de raconter cette histoire, et il se trouve que ce qu’on vit aujourd’hui, et toute cette histoire de complotisme, tout ce discours de questionner la vérité, cette racine est au cœur de nos vies. Ce n’est pas une mission, mais j’avais une vocation à porter un sujet, à m’engager, à travers un film. Je me suis dit qu’il fallait que j’y aille.
Et il y a malheureusement des résurgences encore aujourd’hui, que ce soit le complotisme à travers les vaccins, ou encore cette pancarte dans une manifestation…Où ça s’inscrit l’antisémitisme ? C’est totalement mystérieux et abyssal.
Propos recueillis en août 2021 au Festival du film francophone d'Angoulême