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    Une histoire d'amour et de désir remet "de la diversité au sein de ce qu'on appelle la diversité en France"
    Laetitia Ratane
    Laetitia Ratane
    -Rédactrice en chef adjointe
    De Resnais à Ozon, en passant par Maïwenn, Serreau, Donzelli, Klapisch et Sautet, Laetitia se passionne pour le cinéma français lorsqu’il met en scène les choses de la vie, avec fantaisie et acuité. Ce qui arrive bien plus souvent qu’on ne le croit !

    Pourquoi faut-il découvrir ce film en salles à la rentrée? La réalisatrice Leyla Bouzid et ses deux révélations sensuelles, Zbeida Belhajamor et Sami Outalbali de la série Sex Education, vous parlent des enjeux de leur film pépite.

    AlloCiné Créations

    Quête d'identité, confrontation de deux cultures et éducations, héritage poétique méconnu, initiation érotique sur fond de littérature : Une histoire d'amour et de désir met en scène la rencontre spirituelle et physique de deux étudiants à Paris. L'un d'origine algérienne, l'autre Tunisienne ; le premier submergé par son désir mais tentant d'y résister, la seconde assumant ses pulsions et prête à les partager.

    Présenté en clôture de la Semaine de la Critique, le second long métrage de Leyla Bouzid a soufflé un vent de poésie et de sensualité à Cannes cette année. Dimanche 29 août, il a en outre reçu le Valois de Diamant, plus haute distinction du 14ème Festival du film francophone d'Angoulême tandis que son acteur principal, Sami Outalbali, s'est vu attribuer le Prix d'Interprétation.

    Sur la Croisette en juillet, nous avions rencontré le talentueux jeune homme repéré par Leyla Bouzid avant qu'il ne rejoigne la saison 2 de Sex Education. Il était entouré de sa réalisatrice et de la jeune révélation "désarçonnante" Zbeida Belhajamor.

    Pourquoi faut-il aller voir cette pépite de la rentrée en salles ? En mettant en lumière leur travail, leurs envies et en soulignant les thématiques fortes du film, l'équipe du film vous en donne les clefs.

    Une histoire d'amour et de désir
    Une histoire d'amour et de désir
    Sortie : 1 septembre 2021 | 1h 42min
    De Leyla Bouzid
    Avec Sami Outalbali, Zbeida Belhajamor, Diong-Keba Tacu
    Presse
    4,0
    Spectateurs
    3,8
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    Le récit trop rare encore de l'éducation sexuelle et sensuelle du point de vue d'un jeune garçon

    Leyla Bouzid, réalisatrice : "Je voulais faire le portrait d'un jeune garçon timide qui s'ouvre au monde, vit une éducation sentimentale, sexuelle, ou plutôt sensuelle. C'est quelque chose qu'on ne raconte pas, qui est un peu absent. Il y a en effet très peu de récit sur les premières fois des jeunes garçons, sur leur retenue, leur timidité. Ou alors cela a été fait sous forme de grosse comédie comme 40 ans toujours puceau.

    Etant moi-même tunisienne et ayant grandi en Tunisie, ce héros était pour moi forcément d'origine maghrébine. S'est cristallisé autour de cela, la naissance du sentiment amoureux avec la découverte de la littérature. Ahmed a une résistance intérieure et je voulais me placer dans cette quête identitaire. J'avais envie qu'il se place face à ces textes et à une culture qu'il méconnait, et que cela se mélange avec sa retenue."

    L'idée d'érotiser le corps masculin m'a plu...

    Sami Outalbali, acteur : "J'ai aimé la distance qui existait d'emblée entre mon personnage et moi-même. J'ai aimé ses contradictions, ses combats et la manière qu'a Leyla Bouzid de les montrer sans tous les régler, d'en laisser certains parce que la vie c'est ça. Même si l'on rencontre quelqu'un qui nous change, on ne peut changer du tout au tout.

    J'ai aimé l'enfance chez Ahmed, chose qu'on ne montre pas assez. Oui un jeune garçon peut rencontrer une fille plus ouverte, très à l'écoute de ses envies, désirs, qui ne s'est jamais mise aucune barrière ou a été assez intelligente pour les enlever. Elle éduque ainsi et fait grandir ce jeune garçon qui vient de la cité."

    Zbeida Belhajamor, actrice : "L'idée d'érotiser le corps masculin m'a beaucoup parlé au début puis de montrer ce contraste avec le personnage de Farah, par rapport à Ahmed. Qu'elle soit quelqu'un de libre, de libérée qui vit intensément les choses, qui soit fougueuse, par rapport au côté réservé du héros. "

    Le désir de remettre de la diversité au sein de la diversité en France

    Leyla Bouzid : "Ahmed a construit son identité dans un schéma qui est celui qu'on construit souvent dans les banlieues en France. Il a un problème de transmission, de racines, d'origines, il n'a pas pu y aller, n'a pas reçu la langue. Ses parents n'ont pas trouvé leur place en France donc n'ont ni eu le temps ni la possibilité de transmettre leur regard sur leur identité. Il a ainsi assimilé des choses reçues.

    Il se retrouve dès lors face à une jeune fille Farah qui est Tunisienne et n'a pas de problématique par rapport à cela. L'idée était de remettre de la diversité au sein de ce qu'on appelle la diversité en France, en proposant deux personnages antinomiques dans leur vision de cette culture et de leur identité."

    Sami Outalbali : "Les discordances, les choses qui nous séparent nous rapprochent en fait. Un constat très simple, applicable à tout. Les préjugés qu’a Ahmed viennent d’un manque de connaissance de sa culture, lié à un manque de communication, ici avec ses parents. Il y a une pudeur mal placée qui conduit à l’ignorance, aux préjugés, au renfermement sur soi. Cela témoigne d’une vraie réalité."

    Pyramide Distribution

    Une vision moderne de la femme d'origine maghrébine

    Zbeida Belhajamor : "Farah mon personnage, sent que Ahmed la désire, elle veut aller vers lui mais sans se jeter sur lui car il est réservé. Elle passe par l'envie d'aller vers l'autre, l'envie de l'autre et par le sentiment de rejet ensuite. Je voulais montrer cette femme forte, qui vient d’un milieu arabe et qui s’assume sans jamais tomber dans le vulgaire."

    Leyla Bouzid : "Dans les banlieues il y a aussi une forme de misère sexuelle ou d’impossibilité de vivre une histoire d’amour et de désir de manière simple. J’ai l’impression que les jeunes filles sont plus matures, moins inhibées par rapport à tout cela.

    J'ai essayé de construire une communauté qui échappe aux clichés

    Le meilleur ami d'Ahmed lui parle des filles mais n’a pas eu l’occasion d’en rencontrer vraiment une. Chacun a une vision différente de la femme mais aucun n'a eu accès à ces histoires charnelles et amoureuses.

    J'ai essayé de construire une communauté qui échappe aux clichés. J'avais envie d'être au plus juste des personnages. De même, à travers la soeur d'Ahmed, je voulais montrer que les filles de banlieues ont de très fortes personnalités et n'ont pas besoin d'être représentées comme des victimes."

    Sami Outalbali : "C'est un parti pris magnifique. C'est un brise clichés qui les met en lumière pour les dépasser. Il y a parfois une méconnaissance totale de la femme arabe pour ses jeunes qui vivent en France, grandissent en quartier, et qui du coup se font des avis avec leurs amis qui ont eux-mêmes des lacunes et se sont montés des images. Farah arrive et démonte tout ça, remet tout le monde à l'heure. "

    Une mise en scène verbale et poétique du désir

    Sami Outalbali : "Le film montre que ce n'est pas aussi simple que "avoir envie et céder". C'est mille fois plus compliqué pour mon personnage et je pense pour beaucoup de personnes. Il a envie mais quelque chose d'autre en lui dit non. Quand cette autre chose finit par lui dire oui, le désir n'est plus là.

    Il est tellement contenu qu'il devient du déni. La fin du film est en cela parfaite car ne se concentre que sur son sujet, ne va pas au-delà."

    Leyla Bouzid : "J’avais envie de filmer ce désir retenu et pour moi le seul sujet du film c’est qu’Ahmed a besoin de temps, du temps du film pour aller au bout des choses. En termes de cinéma, c'était au coeur de notre travail avec le chef opérateur et l'équipe artistique : comment filmer le désir, l'érotisme poétique, le désir retenu.

    Les mots et la poésie peuvent avoir une charge érotique très puissante

    On n'avait pas un film référence, il y a eu une vraie recherche pour s'interroger et trouver comment filmer ça. On a fait très peu de répétitions entre les deux acteurs pour préserver leur alchimie palpable. Ils se sont croisés pour des essais costumes mais ils ne se fréquentaient pas trop sur le plateau hors de leurs scènes pour maintenir cette espèce de tension qui circulait entre eux.

    Les mots et la poésie peuvent avoir une charge érotique très puissante, un double sens. La professeure dans le film met dans ses phrases des doubles sens, des allusions, suggestions et comme elle le dit 'la littérature c'est du désir, du désir, encore du désir'.

    J'ai eu un professeur comme ça, toujours dans la suggestion et qui était fascinant. Je voulais représenter cet érotisme, cette puissance des mots, ce qui est difficile à filmer. Je voulais un rapport charnel et organique aux mots, à la littérature."

    Pyramide Distribution

    La découverte de la littérature érotique arabe

    Leyla Bouzid : "Dans la culture arabe, il y a 100 mots et plein de nuances en effet pour décrire l'amour. Le vocabulaire arabe porte en lui toutes ces nuances et je trouvais cela intéressant de les représenter au cinéma, que le film prenne en charge une forme de continuité, un héritage de cette littérature-là.

    J'ai découvert le manuel Le Jardin parfumé au moment où je tournais A peine j'ouvre les yeux. Il a été écrit au 15e siècle, en Tunisie. C'est un essai d'érotologie assez ludique, drôle, mais qui était surtout quelque chose de très sérieux, distribué pour être lu.

    Je savais qu'il y avait des auteurs qui chantaient le vin autant que l'amour courtisan, et cela m'a paru tellement fou que l'on ait tendance à oublier ou méconnaître tout cela. Pour moi la culture arabe tourne beaucoup autour de l’amour, mais on a tendance à l’oublier."

    Même les personnes d'origine arabe ne savent pas qu'il y a une richesse dans nos oeuvres littéraires sensuelles, érotiques

    Sami Outalbali : "Le film parle de l'organique donné dans l'écriture d'un mot, l'écriture manuelle. On peut faire des déclarations d'amour sublimes par texto. Mais là dans le poème qu'elle lui écrit en arabe, chaque mot érotique est décuplé parce qu'elle l'a écrit de sa main. Elle est dans ce papier. Elle donne une part de soi. C'est la puissance de l'écrit."

    Zbeida Belhajamor : "On redonne sens aux mots, aux lettres manuscrites, à la beauté de l'encre sur le papier. Il ne sait pas lire l'arabe, donc il doit se creuser les méninges pour comprendre, pour l'atteindre. Le lien des deux héros avec la littérature m'a plu également et le fait que l'on remette la culture arabe au premier plan, chose qu'on ne voit pas assez au cinéma.

    Même les personnes d'origine arabe ne savent pas qu'il y a une richesse dans nos oeuvres littéraires sensuelles, érotiques. Farah est la voix audacieuse d'une génération qui s'assume, contre le conservatisme, l'obscurantisme et toutes ces choses archaïques."

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