Il y a des œuvres qui ramènent à la réalité. Celle qui concerne, encore aujourd’hui, les vies de milliers d’hommes et de femmes à travers le monde. Avec Europa, le cinéaste italo-irakien Haider Rashid suit Kamal - porté par l’excellent Adam Ali -, un migrant venu d'Irak et traqué à la frontière turco-bulgare. Tous les jours, des brigades de chasseurs frontaliers sont là pour piller, tuer ceux qui tentent de fuir. Le héros, qui parvient à échapper à une patrouille, s’enfonce dans une forêt. Il se retrouve face à lui-même, sa douleur, sa faim et tente, par tous les moyens, de survivre.
Projeté ce 14 juillet à la section Quinzaine des réalisateurs, le long métrage est une expérience immersive. La caméra, collée à la peau du personnage, suit l'errance de ce jeune homme chassé comme un gibier avec un réalisme déconcertant. Le cinéaste propose de nombreux plans séquences et rapproche son objectif au plus près d’un visage terrifié, qui ne connaît aucune quiétude. Toute l’histoire est racontée à travers le corps du personnage. Il court, rampe sur le sol et grimpe en haut d’un arbre pour mieux devenir invisible.
Radical Plans
L’immensité de la forêt, véritable décor à ciel ouvert, entre, quant à elle, en totale opposition avec le sentiment claustrophobe qui s’empare du film. Haider Rashid, le réalisateur, présente son œuvre comme un thriller, empruntant quelques éléments au cinéma de genre. “Je souhaitais m’inspirer des films de monstres”, explique-t-il sur la scène du Théâtre Croisette. Ici, les montres ne sont pas des créatures étranges ou sanguinolentes. Ils portent des cagoules et traquent sans relâche avec leurs armes au bras.
“Nous avons dû réécrire le scénario car, après quelques recherches, nous avons compris que la situation était bien plus effrayante, lance le cinéaste. Ce que vous voyez dans ce film se produit de façon quotidienne.” Dans Europa, Haider Rashid souhaitait pointer du doigt le “business” des chasseurs de migrants : “Beaucoup de familles, d’hommes, de femmes, ont sur eux toutes leurs économies familiales, leurs portables, des objets de valeur et ils se font dépouiller. Ce qui se passe m’écoeure et m’a donné envie de faire ce long métrage.”
Lorsqu’il évoque la situation des migrants dans le monde, Haider Rashid conclut : “C’est une question urgente, mais qui ne doit pas être traitée dans l’urgence. Le problème est constant, il demande donc beaucoup d’attention.”
Propos recueillis par Thomas Desroches, à Cannes, le 14 juillet 2021.
