Le Festival tremble de fureur pour Titane. Le long métrage de Julia Ducournau, présenté en compétition officielle ce 13 juillet, est l’électrochoc de cette 74e édition. Il fait suite à son premier film, Grave, dont le succès a laissé des traces ensanglantées dans l’esprit du public. Après un tel engouement, les attentes autour du second sont plus nombreuses et la pression, elle, plus importante, angoissante.
Pour sa nouvelle folie - le mot est faible -, la réalisatrice se refuse à la facilité. Elle emprunte un chemin radicalement différent et conduit le spectateur encore plus loin, dans des endroits où il n’a pas l’habitude d’aller. C’est même son “rêve” : créer “une expérience absolue”, assure-t-elle au cours de son entrevue avec AlloCiné. Absolue, cette expérience l’est de bout en bout. Viscérale aussi, dangereuse, sans compromis et subjuguante.
Si Julia Ducournau attend de ses acteurs l’abandon le plus total, elle attend la même chose de ceux qui regardent ses films. Et comme pour tout abandon réussi, l’idéal est de se laisser guider. Quelques jours après une projection “secrète” à Paris et deux semaines avant le début du Festival, AlloCiné a rencontré la cinéaste pour poser des mots sur ce Titane taillé pour secouer.
La préparation intense
Julia Ducournau est une artiste passionnée par le corps. Celui qui est transformé, abîmé, déchiré. Il est primordial et passe avant même la psychologie de ses personnages. Pour le bien de Titane, Vincent Lindon et Agathe Rousselle se sont pliés à des entraînements d’athlètes : “Leur implication dépasse le scénario et le film car ils ont eu un an pour se préparer. De la musculation pour Vincent, de la danse et du combat pour Agathe.”
“C’est un truc que j’aime beaucoup chez les Américains : leur travail sur le corps est hyper important. On a moins cette idée de composition en France. Je trouve que c’est quelque chose d’essentiel pour pouvoir arriver sur le plateau avec une forme de sécurité car ils sont déjà dans une maîtrise. Il y a pourtant eu de vrais obstacles. Vincent s’est notamment fait un claquage. Malgré tout, malgré la brutalité et le jusqu’au-boutisme de certaines scènes, je souhaitais limiter au maximum les risques à prendre pour que les interprètes puissent se concentrer sur leur jeu.”
Un cinéma sensoriel
Titane se vit autant qu’il se regarde. À certains moments, les yeux se détournent de l’écran, à d’autres, ce sont les mains qui viennent se coller au visage devant le ton extrême d’une scène. Il y a aussi ces matières, comme le cambouis, qui deviennent presque odorantes : “J’ai toujours regretté qu’on ne puisse pas sentir les odeurs dans un film.
Ce qui me plaît, c’est le côté organique d’un film et tu fais ça en montrant une chambre en bordel ou en filmant les poils d'un personnage. Il y a des odeurs qui se dégagent de ces images-là. Tout ça nous rapproche d’un vécu et d’une expérience sensorielle que l’on connaît. C’est quelque chose que je travaille depuis mon premier court métrage.”
Sur les réactions des spectateurs face à Titane : “Le film est une flèche. Ça passe et ça va au but. Surtout parce que, par rapport à Grave, c’est un film où encore plus on ne sait pas où on va. Je pense que plus on vit les choses en tant que spectateur, plus on ressent les choses et plus on peut aller toucher du doigt quelque chose de très profond, universel peut-être, ou en tout cas humain, mais sur lequel on ne met pas forcément de mots.”
Bouleverser l’identité de genre
L’un des éléments passionnants de Titane est le flou jeté sur le genre féminin et masculin : “J’essaye de brouiller les stéréotypes et pour les brouiller, je les accentue. Il y a ce salon de l’automobile où les femmes sont très maquillées et objectifiées. Il y a cette caserne de pompiers où il n’y a que des mecs. Aucun de ces contextes n’est réaliste car, évidemment, il y a des femmes dans les casernes et tous les salons de bagnoles ne ressemblent pas à ça. Je commence sur ces deux stéréotypes très chargés pour venir les dévoyer. Il est toujours question de féminiser, à travers la lumière, un trop-plein de testostérone, un corps surbestial et survirilisé. Au milieu de tout ça, il y a un personnage, Alexia, qui navigue entre ces genres. L’idée pour moi c’est que les spectateurs acceptent, sans se poser de questions, qu’elle est ce qu’elle a choisi d’être à un moment précis.”
Agathe Rousselle, la révélation
Dans la peau de l’héroïne, Alexia, Agathe Rousselle incarne son premier rôle au cinéma. Elle est épatante, sans peur, complètement dévouée au regard de Julia Ducournau. Également photographe, la jeune femme attendait le film qui allait lancer sa carrière sur grand écran. Et quel film. Pour créer son rôle, elle s’est servie de son look androgyne. “Encore aujourd’hui, on me dit parfois : ‘Bonjour Monsieur !’, j’ai l’habitude”, lance la principale intéressée.
Quant à la dimension physique de Titane : “À partir du moment où on a commencé à se préparer pour le film, et ensuite a fortiori pendant le tournage, je l’ai dit, c’était très clair pour moi que mon corps ne m'appartiendrait plus pendant les mois qui allaient arriver et il ne m’a pas appartenu pendant 4 mois.”
Vincent Lindon transformé
Le travail que signe Vincent Lindon dans le film est plus qu’étonnant. Jamais l’acteur français, Prix d’interprétation masculine à Cannes pour La Loi du marché en 2015, n’a été filmé de cette manière. Celle qui en parle le mieux, c’est forcément sa réalisatrice, Julia Ducournau : “Vincent, c’est quelqu’un d’incroyablement engagé dans ce tout ce qu’il fait. Il est d’une générosité folle sur le plateau. Mais il ne connaissait pas les codes de mon cinéma et du cinéma de genre en général.”
“Il est tellement technique, tellement fort. Il y a, chez lui, une telle maîtrise du jeu comme d’un artisanat, que la question de l’abandon n’a pas été compliquée. Même quand il ne comprenait pas certaines choses, il disait : ‘C’est pas grave, on le fait quand même !’. (...) Je ne montre jamais d’images aux acteurs pendant le tournage et à cet endroit-là, Vincent m’a fait confiance dans, je pense, cette envie qu’il avait aussi de jouer avec sa propre image et de prendre ce vertige-là.”
Propos recueillis par Thomas Desroches, à Paris, le 25 juin 2021.
Montage : Constance Mathews
Découvrez la bande-annonce de "Titane" :