Coécrit avec Guillaume Labbé (Je te promets), À la folie, inspiré du propre vécu de la comédienne et scénariste Eleonore Bauer, raconte le basculement psychologique d'Anna, photographe et mère de famille accomplie, alors qu'elle tombe progressivement sous l'emprise psychologique de Damien, un homme séduisant bien sous tous rapports qui se révèle être un redoutable pervers narcissique.
Récompensé l'an dernier du prix du Meilleur scénario au Festival de La Rochelle, À la Folie aborde le thème de l'emprise au sein du couple, détaillant tous les mécanismes d'opression et de contrôle jusque dans l'intimité avec une justesse glaçante. La lumineuse Marie Gillain, auréolée du prix de la Meilleure actrice, s'abandonne totalement dans le rôle d'Anna face à un Alexis Michalik aussi glaçant que séduisant dans le rôle de son bourreau.
Tout commence lorsque Julie Coudry, productice de Golden Network, approche Andréa Bescond et Eric Métayer, comédiens, scénaristes et metteurs en scène au théâtre comme au cinéma, alors qu'ils viennent de sortir leur premier long-métrage, Les Chatouilles - adapté de la pièce éponyme d'Andréa Bescond - pour leur proposer d'adapter ce projet en unitaire.
"En le lisant c'est le déclic" déclare la réalisatrice, qui était alors en train de s'atteler à leur second long-métrage, Quand tu seras grand. "On a retrouvé quelque chose du ton qu'on avait dans Les Chatouilles, qui est le ton de la vie", complète son acolyte.
La fiction comme arme politique
"Ca faisait des années qu'on était dans ce militantisme autour des violences faites aux enfants et aux femmes. Ces mécanismes d'emprise, on les connaît bien, on les a étudiés. Et on voit qu'Eléonore a ce recul par rapport à l'histoire qu'elle a vécu, où elle décrit les humiliations, les injonctions contradictoires, l'isolement... Avec l'association de nos diverses connaissances, on allait tous ensemble arriver à un truc super" poursuit-elle. "L'écriture aidait aussi car Eleonore et Guillaume sont drôles. On s'est dit qu'on allait pouvoir rajouter plein d'autres choses par-dessus" complète Eric Métayer.
Depuis la sortie des Chatouilles, les cinéastes sont restés en contact avec des associations qui travaillent sur les violences faites aux enfants. "Tout est lié" explique Andréa Bescond, "les violences faites aux femmes et intrafamiliales. On reçoit beaucoup de témoignages. Tous ces mécanismes-là, on les connaît par cœur. Et on se dit que la fiction, c'est notre arme à nous. C'est une arme politique."
Lorsque le duo accepte ce projet, certains s'étonnent de les voir s'orienter vers la télévision après avoir été portés aux nues au cinéma. "On s'en fout de la forme", rétorque Andréa Bescond. "Ce qui est important c'est le sujet, ce qu'on va défendre ensemble. On leur dit ok (à M6, ndlr), mais qu'on va être hyper exigeants : on veut faire notre mise en scène, avoir une mainmise sur le scénario, et s'il y a des choses qui ne nous conviennent pas, qu'on puisse les retravailler."
À leur grande surprise, la chaîne ne leur impose pas de cahier des charges compte tenu du format téléfilm. "Ils auraient pu être surpris de certains partis pris de notre cinéma, et ils l'ont été. Mais pour autant, ils ne nous ont jamais contrés" avoue Andréa Bescond. "On aime que le public puisse se balader dans l'image, explorer le cadre... On lui fait confiance."
Un travail collectif fort s'engage ensuite, avec un nombre de jours de tournage très condensé, facilité par une préparation en amont extrêmement rigoureuse. Une partie de l'équipe du film, qualifiée de "garde prétorienne" des deux réalisateurs, était issue des Chatouilles et savait exactement comment le duo fonctionnait.
Une rigueur aussi liée à leur expérience dans le théâtre, selon Eric Métayer. "La galère, la difficulté du théâtre et de faire avec très peu de jours. Parce que nous, on ne vient pas du subventionné, on vient du théâtre privé où on nous explique qu'on a un mois pour faire des répétitions et basta, qu'on n'aura pas le plateau parce qu'il y a un autre spectacle qui se joue". "Les contraintes nous amènent à être efficaces", résume Andréa Bescond.
Des comédiens en béton
Côté casting, le duo voulait avoir "des Rolls" sur le plateau. Des acteurs en béton, que ce soit du premier au dernier rôle. Tous deux ont rapidement pensé à l'actrice belge Marie Gillain pour le rôle d'Anna, sur une suggestion de leur directrice de casting. "C'était une telle évidence qu'on ne voyait plus aucune actrice après !" s'amuse Andréa Bescond.
Quant au rôle de Damien, Eric Métayer et elle connaissaient Alexis Michalik au théâtre en tant que dramaturge, mais n'avaient encore jamais travaillé avec lui, qui se fait plus rare à l'écran en tant que comédien. "On se tournait autour, on se respectait beaucoup, mais pour lui c'était important qu'on ait voulu travailler avec lui avant sa grande reconnaissance après du public, pour montrer que ce n'était pas un rapport intéressé de notre part", explique Eric Métayer.
"On se rend compte que pour jouer ce type de personnage, on va souvent nous proposer les mêmes acteurs. On voulait quelqu'un de différent et qui apporte une dose de sensibilité, et Alexis a ce charisme teinté de froideur" ajoute Andréa Bescond.
Les deux comédiens décrivent un sentiment de symbiose lors des premières lectures du scénario. "C'est super jouissif de jouer les salauds, surtout quand ils sont aussi bien écrits. Mais si on le fait avec quelqu'un qui ne nous accompagne pas du tout, c'est très dur", plaisante à notre micro Alexis Michalik. "Le danger dans ce genre de propositions, c'est quand le sujet est tellement fort qu'il éclipse complètement l'histoire. Là, en l'occurrence, c'est avant tout un film, suffisamment puissant pour parler d'un sujet très fort sans être démagogique."
En lisant le scénario, l'acteur lui-même s'est profondément interrogé sur ces mécanismes de torture psychologique mis en place par Damien. "Il a cette volonté de mettre l'autre dans un état d'instabilité psychologique. Il va chercher des gens un peu vulnérables, qui ont besoin d'amour, et s'engouffre dans une brèche. Je me suis moi-même remis en question : est ce que j'ai déjà fait souffrir des gens comme ça ? Est-ce que j'ai déjà mis en place ces mécanismes-là ?".
Ce sont toutes nos petites failles, qui font partie de notre beauté intérieure, dans lesquelles s'immiscent ces individus.
Pour Marie Gillain, il n'est pas évident de prime abord pour le spectateur qu'Anna est une personne vulnérable. "Elle est en place, bien dans sa vie, elle a une bonne relation avec son ex, mais elle va être très sensible au regard que Damien va poser sur elle. Et puis, on rêve toutes de vivre une belle et grande histoire d'amour."
L'une des schémas de prédation caractéristiques des pervers narcissiques est de s'attaquer à des femmes célibataires qui ont déjà eu des enfants. C'est là que réside la faille d'Anna, selon l'actrice. "Pour avoir parlé avec une femme qui était sous l'emprise d'un d'entre eux, ça peut être au départ des femmes très solaires, lumineuses, qui ont un vrai entourage, captent l'attention... En fait, ils n'arrivent à exercer leur pouvoir qu'en se nourrissant et en enlevant toute leur part de lumière à ces femmes. Ce sont toutes nos petites failles, qui font partie de notre beauté intérieure, dans lesquelles s'immiscent ces individus."
Au fil du récit, la métaphore du matador et du taureau dans l'arène vient ponctuer les scènes d'emprise psychologique que fait subir Damien à Anna. "Je pense que Damien est un peu les deux, à la fois matador et taureau. Il est victime de son propre système : je n'ai pas l'impression qu'il soit heureux. Son but est d'enfermer sa victime dans une arène et de jouer avec elle jusqu'à l'épuisement total, jusqu'à ce qu'elle-même ait envie d'une mise à mort" analyse Alexis Michalik.
Pour Marie Gillain, À la folie est un outil essentiel aux relations amoureuses, même sans avoir été confronté.e dans sa vie à ce type de profil narcissique. "Garder sa base et son ancrage, c'est ce qu'il y a de plus difficile dans une relation, et de voir jusqu'où ça peut aller quand on tombe entre les mains d'individus tellement névrotiques qu'ils en deviennent des bourreaux, ça peut aider".
Le téléfilm se conclut par une réplique à charge, prononcée par un juge d'instruction, rajoutée au script par Andréa Bescond et Eric Métayer. "Ce n'était pas au scénario mais on avait vraiment envie de le mettre parce que c'était important de dire qu'il y a des hommes qui enragent de ça, de dire qu'en aucun cas il s'agit d'un récit misandre, et que la loi est faite par un système et par des hommes qui se protègent" conclut le réalisateur.