Lone Ranger a été un échec retentissant pour le studio Disney, au point d'avoir ruiné sa collaboration avec le réalisateur qui lui avait rapporté 2,6 milliards avec les trois premiers Pirates des Caraïbes. Mais comment une telle chose a-t-elle pu arriver ? Et comment le film a pu à ce point perdre d'argent ? Explications.
Tout débute le 12 août 2011, lorsque Disney annonce que la préparation du western The Lone Ranger est arrêtée, et ce alors que le tournage doit commencer en octobre. Johnny Depp et Armie Hammer sont les stars de cette adaptation de la série télé éponyme, elle-même tirée d'une émission de radio de 1933.
A l'époque, la raison de cette interruption n'est pas officiellement donnée par le studio, et les journalistes américains commencent à faire jouer leurs sources. Pour THR, le producteur Jerry Bruckheimer trouve le budget trop élevé, pour Deadline, c'est Disney qui ne souhaite pas payer autant. On parle alors de 250 à 275 millions de dollars !
Le film revenait déjà de loin
Ce projet de Lone Ranger ne sort pourtant pas de n'importe quel stetson, car la Columbia avait envisagé une version dès 2002 écrite par David et Janet Peoples (L'Armée des 12 singes), avant de jeter l'éponge trois ans plus tard. En 2008, l'idée est relancée avec Johnny Depp attaché au film, non pour en jouer le rôle-titre, mais pour interpréter Tonto, l'Amérindien accompagnant le héros.
Le 23 novembre 2010, Gore Verbinski, le réalisateur de Pirates des Caraïbes, rejoint le projet puis en mars, c'est au tour d'Armie Hammer, auréolé du succès de The Social Network, de décrocher le rôle du Ranger masqué.
En 2011, avec son annonce d'arrêt, Disney prend la même voie que la Columbia neuf ans auparavant. Il faut rappeler qu'à l'époque, le western n'a pas le vent en poupe, idée renforcée par l'échec de Cowboys & envahisseurs au box-office estival.
Ressuscité mais à quel prix ?
En octobre 2011 pourtant, le projet est relancé, avec le même casting et le même réalisateur, sauf que cette fois, le budget a été revu à la baisse. On parle alors de réécritures massives et de coupes drastiques dans des scènes à effets spéciaux (impliquant notamment un loup-garou).
Pour que Lone Ranger puisse se faire, Depp, Verbinski, Bruckheimer et Hammer baissent leurs salaires de 20% et décalent le paiement de certaines sommes qui leur sont dues. Par ailleurs, si Verbinski dépasse son budget, Disney n'avancera pas un sou et seul Bruckheimer devra passer à la caisse.
On sent alors poindre une ambiance tendue. De plus, si le film apparaît comme un projet miraculé pour certains, la presse parle plutôt d'un projet uniquement maintenu par Disney pour tenter de compenser les dépenses déjà effectuées sur le film depuis sa préparation en 2010.
Tournage et polémique
Le 13 février 2012, le tournage commence enfin, mais Disney a déjà un autre problème sur les bras. Le choix de Johnny Depp en Tonto fait des vagues (on lui reproche le fait qu'il ne soit pas Amérindien), et surtout la façon dont il est costumé et maquillé à l'écran, qui renforcerait la vision caricaturale des Natives par Hollywood.
Disney fera tout pour légitimer ce choix de casting, jusqu'à faire bénir le plateau du film à Monument Valley par des Navajos et en parallèle, Depp, qui serait d'origine indienne par son arrière-grand-mère, est accepté via une cérémonie au sein de la nation Comanche.
En décembre 2011, au micro de MTV, l'acteur déclarait :
J'aime l'idée de pouvoir m'amuser de l'idée de l'Indien "sidekick", ce qui a été [le cas] par le passé à Hollywood, car les Natives ont toujours été des citoyens de second, troisième ou quatrième plan et ce n'est pas comme ça que j'envisage Tonto. Je veux pouvoir saluer les Amérindiens.
Malgré les intentions du comédien, la controverse demeurera, comme nous le verrons plus loin. Le tournage est bouclé en juillet 2012, et vise une sortie française le 7 août 2013. Dans l'intervalle, Johnny Depp s'est pris un bide international avec Rhum Express et est parti tourner le film de SF Transcendance.
Flingué par la critique
Lorsque le film sort, Tonto est vu comme une caricature. "Il n'est pas un personnage, mais une représentation de l'Amérindien tel que se l'imaginent les amateurs de cinéma", écrira Adrienne Keene sur son blog Native Appropriations, relayé par Time. L'aspect trop mystique de Tonto est lui aussi pointé du doigt, de même que sa façon de parler.
En parallèle, les critiques, en particulier américaines, sont désastreuses. Le casting du film se défend d'ailleurs en soulignant que depuis l'annonce de l'arrêt du film en 2011, ils se savaient attendus par la presse, "fusils sortis", dira Hammer. Sa sortie US face à Moi, moche et méchant 2 n'aidera pas.
Dans ce contexte, Lone Ranger rapporte 260,5 millions de dollars en fin d'exploitation, ce qui n'est pas mauvais pour un western, mais trop peu pour un film qui a coûté au total près de 400 millions de dollars (avec le marketing). Pour la firme de Mickey, il représente une perte estimée à 160 voire 190 millions.
Le Prix à payer...
En conséquence, Disney met un terme à son partenariat avec Jerry Bruckheimer, n'engage finalement pas Verbinski pour Pirates des Caraïbes 4, et encaisse un second flop monumental après celui de John Carter en 2012.
De son côté, le réalisateur Gore Verbinski mettra plusieurs années à se remettre professionnellement en selle et ne reviendra qu'avec A Cure for Life (2016). Un mois après la sortie de Lone Ranger, Armie Hammer part tourner Agents très spéciaux de Guy Ritchie, qui sera lui aussi un échec au box-office.
Quant à Johnny Depp, sa carrière en tête d'affiche subira plusieurs "fours" comme le précité Transcendance, ou encore Charlie Mortdecai et Strictly Criminal (2015).
En octobre 2013, Quentin Tarantino défendra Lone Ranger comme l'un des meilleurs films de l'année et déclarera aux Inrocks (via Brain Damaged) :
Les premières 40 minutes sont excellentes... et la scène du train est incroyable ! (...) Les 40 minutes d'après sont soporifiques, c’était une mauvaise idée de séparer les méchants en deux groupes, ça prend des heures pour l’expliquer, et tout le monde s’en fiche.
Il conclura : "Le massacre de la tribu de Tonto par la cavalerie avec des pistolets a laissé un goût amer dans ma bouche. Les Indiens ont vraiment été victime d’un génocide. Donc les massacrer encore pour un film de divertissement, à la manière de Buster Keaton…ça a ruiné le fun pour moi. (...) Ça n’empêche pas que c’est un bon film, mais il aurait pu faire sans."
Il faut dire qu'en 2013, Tarantino avait lui aussi sorti un western, Django Unchained, un grand succès au box-office. Il restera d'ailleurs dans la thématique (avec un succès moindre) pour Les Huit salopards en 2016.
Quant à la suite initialement prévue de Lone Ranger, elle restera (pour toujours ?) dans les cartons hollywoodiens.