Ce n'est pas franchement un secret. Ces vingt dernières années, les budgets des blockbusters hollywoodiens ont suivi une courbe exponentielle, avec des frais marketings toujours plus élevés, concomitant avec ces Tentpole Movies aux lancements planétaires.
Mais cette inflation des budgets est inversement proportionnelle à la prise de risques des Majors, qui cherchent -maintenant plus que jamais d'ailleurs- à sécuriser leurs investissements en essorant notamment les franchises à succès. Malheureusement aussi, il arrive que certaines vraies prises de risques, avec des oeuvres audacieuses aux budgets conséquents, soient sanctionnées par la dure loi du Box Office.
Dans un cas comme dans l'autre, certains échecs peuvent avoir par ricochet un effet domino sur d'autres films. Un bon exemple à cela est le Watchmen de Zack Snyder, un blockbuster classé "R" (donc adulte) aux Etats-Unis. Son échec cuisant au Box Office mondial en 2009 est l'une des causes de l'annulation du projet d'adaptation de la licence vidéoludique Bioshock, longtemps caressée par Gore Verbinski.
Il existe bien entendu d'autres motifs d'effets dominos d'un film provoquant l'annulation d'un autre : projet coincé dans le gouffre du Development Hell, budget trop élevé... Voici quelques exemples de films ayant tué d'autres films.
L'échec de Watchmen a lourdement contribué à l'annulation de Bioshock
Chef-d'oeuvre vidéoludique absolu sorti en 2007 et créé par le fameux Game Director Ken Levine, Bioshock a incontestablement marqué d'une pierre blanche le monde des jeux vidéo. Largement influencé par tout un courant littéraire d'oeuvres utopiques et dystopiques au milieu desquelles se trouvent celles d'Ayn Rand et George Orwell, le premier volet de la trilogie des jeux Bioshock se déroulait en 1960.
Le joueur y incarnait un personnage victime d'un crash aérien en pleine mer, et découvrait une immense ville sous-marine cachée aux yeux de tous du nom de Rapture. Une ville construite par un mégalomane milliardaire au lendemain de la Seconde Guerre mondiale du nom d'Andrew Ryan, afin d'y réaliser ses rêves les plus fous de société utopique, loin de toute morale extérieure.
Baignant dans une fabuleuse ambiance Art deco mâtinée de Steampunk, une ambiance malsaine aussi, le joueur avancait dans sa quête au milieu d'une ville devenue incontrôlable, où la population, devenue folle après l'abus d'une mystérieuse substance baptisée "Adam", se livrait à une véritable guerre civile. Par ses qualités d'écriture, la noirceur absolue de son scénario, sa mise en scène, sa capacité à brasser avec une intelligence souvent confondante des thèmes puissants, y compris philosophiques, sans oublier bien sûr son ambiance unique, ce FPS narratif fut, pour nombre de joueurs, une expérience inoubliable.
Dès 2008, on parlait déjà d'une adaptation cinématographique de la licence Bioshock, avec à la barre Gore Verbinski. Dans un tout récent entretien accordé au site Collider d'ailleurs, Gore Verbinski revient sur ce projet avorté. "C'était étrange. A mon premier rendez-vous chez Universal à propos de Bioshock, je leur lance un "Hey les gars, c'est un film classé "R" à 200 millions $ !" Plus un son à ce moment-là. Je me souviens que mon agent m'a dit "pourquoi as-tu sorti un truc pareil ???" J'ai répondu que c'était la vérité. Pourquoi essayer de tuer comme ça d'emblée un film alors que vous n'avez même pas commencé ? Ca c'était avant même qu'on ai un script ou quoi que ce soit. Je voulais juste être clair [sur ses ambitions]. Toutes les personnes du studio étaient en mode "Oui, bon, ok, on va réfléchir, peut-être..."
Toujours est-il que Universal donne finalement son feu vert. La pré-production commença bon gré mal gré (Eddie Redmayne passa même une audition). "Et ils ont pris peur" lâche Verbinski. "Je crois que Watchmen venait de sortir à ce moment là. Si ca doit coûter autant, il faut que le film soit classé PG-13" disait le studio. [...] Ca été une énorme perte de temps. J'ai essayé d'être super clair et honnête, je leur avais dit que ce devait être un blockbuster classé "R".
Avec 185 millions $ au Box Office mondial pour un budget de 130 millions, Watchmen fut un énorme échec pour Warner, qui fit fatalement la comparaison avec son Dark Knight, estampillé PG-13, qui lui rapporta a contrario 1 milliards $. Dorénavant, tous les Blockbusters (et donc les budgets qui vont avec) ne dépasseront pas le PG-13, vu les risques. Après avoir été remplacé aux commandes par Juan Carlos Fresnadillo, le projet a finalement été sabordé par Universal. Et depuis ? Plus rien, justement.
"Waterloo" a tué le "Napoléon" de Stanley Kubrick
Napoléon était un projet inabouti -et fameux- que le maître espérait réaliser, après avoir fait quantité de recherches, lectures et photos, notamment sur les essais de costumes. Une bonne partie de ces recherches furent d'ailleurs montrées dans l'extraordinaire exposition consacré à Kubrick à la Cinémathèque de Paris en 2011. Pour les fans du réalisateur et les curieux, les éditions Taschen publièrent justement en 2011 une énorme synthèse sur ce projet, avec un titre on ne peut plus clair : Stanley Kubrick's Napoléon : The Greatest Movie Never Made.
Le clou de cet ouvrage si l'on peut dire, était un accès exclusif à une base de données qui permettait de consulter et de télécharger des documents comme l'intégralité du dossier iconographique de Kubrick, soit près de 17.000 images napoléoniennes. Un rêve, malheureusement tué par la MGM qui devait produire le film. Comme nous l'avait expliqué Jan Harlan avec qui nous avions fait la visite guidée de l'exposition, la Major pris peur suite au gros échec en salle du Waterloo de Serguei Bondarchuk en 1970, et décida de se retirer du projet de Kubrick.
En 2016, on a finalement appris que le projet, un temps récupéré par Steven Spielberg, était transformé en mini série de six épisodes produit par HBO, avec Cary Fukunaga à la réalisation et David Leland à l'écriture. L'ennui, ce que l'on a depuis plus une seule information à se mettre sous la dents. Ca commence à faire long. Comme un petit parfum de Development Hell...
In fine, on rajoutera que Kubrick n'a pas eu trop de chance non plus des années plus tard. Son projet de film Aryan Papers, adaptation du roman de Louis Begley, Une éducation polonaise, sur laquelle il travailla pendant trois ans, fut tué net par la sortie de La Liste de Schindler de Steven Spielberg, au sujet très similaire.
Avatar a plongé le vieux projet de remake du "Voyage fantastique" dans le Development Hell
Une équipe de 5 scientifiques est miniaturisée et injectée dans le corps d’un savant afin de l’opérer de l’intérieur. Ils ont une heure pour le sauver… Commence alors une aventure fantastique où l’équipe va devoir combattre les éléments de l’organisme mais aussi faire face à un saboteur machiavélique. Car les enjeux de la Guerre Froide ne sont jamais tout à fait absent... Tel était le pitch de l'excellent film de SF Le Voyage fantastique, réalisé par le vétéran Richard Fleischer.
Outre deux romans écrits par Isaac Asimov, Le Voyage fantastique a engendré plusieurs oeuvres dérivées. On dénombre ainsi une série de dessins animés (17 épisodes au total), et surtout un remake : L' Aventure intérieure, réalisé par Joe Dante en 1987, avec Meg Ryan dans un de ses premiers rôles. Un univers pas mal essoré / exploité donc.
Réadapter l'histoire du Voyage fantastique est une vieille lune à Hollywood. En fait, on en parle depuis...1984, 18 ans après le film de Fleischer. A cette époque, Isaac Asimov avait été approché pour écrire une suite au Voyage Fantastique, qui deviendra "Destination Cerveau", publiée en 1987. Mais l'adaptation de cette oeuvre ne verra jamais le jour, faisant sombrer le projet dans état de mort cérébrale.
Dès la fin des années 1990 (au moins 1997), James Cameron avait fait part de son souhait de réaliser une nouvelle version du Voyage Fantastique. Il travailla d'ailleurs dessus pas mal de temps, mais a préféré finalement se concentrer sur un projet bien plus ambitieux : un certain Avatar...
En revanche, il se déclara prêt à produire un nouveau film, en plus de confier à un réalisateur le script qu'il avait rédigé. En 2007, la Fox donna son feu vert, et c'est Roland Emmerich qui emporta le morceau. Mais il rejeta le script de Cameron, et les scénaristes Cormac et Marianne Wibberley planchèrent sur un nouveau scénario. La grève des scénaristes qui frappa Hollywood en 2007-2008 retarda encore le projet, tandis que Emmerich préféra travailler sur son apocalypse version 2012.
Depuis, les réalisateurs se sont succédé à la barre. On parlait en 2010 de Paul Greengrass, suivi de Louis Leterrier, pour finalement voir débarquer en 2011 Shawn Levy. Puis ce fut au tour de Guillermo del Toro, qui empile les projets comme la Tour de Babel... Depuis, le projet est d'une discrétion de violette... D'autant que Cameron a entre-temps replongé pour Avatar 2, et ses suites déclinées jusqu'en 2028. Autant dire que ce Voyage fantastique sent furieusement le sapin.
Le "Alien Covenant" de Ridley Scott a tué le projet Alien de Neill Blomkamp
En 2009, Neill Blomkamp frappa un grand coup avec son formidable film de SF District 9. Parrainé par son mentor Peter Jackson, le film obtient un beau succès critique et public, saluant tout autant son originalité que la qualité de ses effets spéciaux, alors que le film n'a coûté que 30 millions $ à faire. Une paille, au regard des budgets hollywoodiens.
Si ses films suivants, Chappie et Elysium, ont également cultivé une certaine originalité mais n'ont pas franchement performé au Box Office mondial, Blomkamp s'est distingué depuis quelques années par des projets n'ayant pas abouti. On pense au remake de Robocop bien sûr, mais surtout son rêve qu'il carressait depuis un moment : réaliser un film de la franchise Alien. Il diffusait même quelques concept Arts en janvier 2015 qu'il avait élaboré dans son coin, au cas où, un jour...
Les fans s'enflamment. Un mois plus tard, la Twentieth Century Fox lui passe officiellement commande d'un 5e volet Alien ! Son idée : partir de la fin du Aliens de James Cameron, en convoquant Sigourney Weaver bien entendu, très enthousiaste d'ailleurs à l'idée de ce projet, et Michael Biehn.
Sur la rive d'en face, le géniteur de la saga, Ridley Scott, s'active en coulisses. Après son Prometheus sorti en 2012, censé levé une partie du voile sur la mythologie d'Alien, le vétéran rappelle qu'il a toujours en chantier une suite à son film, qui deviendra -de manière assez confuse d'ailleurs- Alien Covenant. Difficile dès lors de justifier le développement de deux projets Alien en même temps. Qui plus est, on imagine que, en tant que grand architecte de la saga, Sir Ridley ne voyait peut être aussi pas d'un très bon oeil un jeune cinéaste tenter de lui ravir le trône...
En avril 2017, il siffle la fin de la récréation. Alien 5 par Neill Blomkamp ? "Je pense que ca ne verra jamais le jour" nous a-t-il lâché en exclusivité à notre micro. Et d'enfoncer le dernier clou du cercueil : "Il n'y a jamais eu de scénario. Juste une idée qui a évolué en un pitch d'une dizaine de pages. Je devais y participer en tant que producteur mais ça n'est pas allé plus loin car la Fox a décidé qu'elle ne voulait pas le faire. De mon côté j'avais déjà fait Prometheus et je travaillais sur Covenant."
On ne peut s'empêcher de déceler une vraie amertume -enrobée dans des propos laudateurs- dans le commentaire que Blomkamp lâcha au micro du site The Verge deux mois plus tard : "J'ai passé du temps à travailler sur ce projet, et j'ai le sentiment que c'était vraiment super. Mais la politique [des studios], la façon dont ça a évolué, et la façon dont tout ça fonctionne, ça ne va juste pas survivre [...]. Ridley [Scott] était une de mes idoles quand j'étais jeune. Il est tellement talentueux et il a fait ce film qui m'a vraiment marqué dans une certaine direction. Je veux juste être respectueux et ne pas abîmer ce monde qu'il a créé. Je pense que si les circonstances avaient été différentes, et je n'ai pas l'impression que j'arrivais à approcher de quelque chose qu'il aurait pu considérer comme une forte connexion personnelle, les choses auraient peut être tourné différemment. Mais j'avais envie d'être le plus respectueux possible". Fermez le ban.
La Momie de Tom Cruise a torpillé le Dark Universe
Les Universal Monsters ont toujours occupé une place à part dans le prestigieux catalogue du studio Universal. Fleurons du patrimoine cinématographique, ils ont d'ailleurs largement alimenté quantité de remakes au fil des décennies. Dans le cas de La Momie par exemple, on se souvient volontiers du sympathique remake signé Stephen Sommers et sorti en 1999, porté par le trio Brendan Fraser, Rachel Weisz et John Hannah. On taira par charité les opus suivants et autres déclinaisons de spin off...
Toujours est-il que les Executives de Universal s'étaient mis en tête en 2017 de déterrer une nouvelle fois la Momie et ses bandelettes à la sauce actionneer, dans un opus porté cette fois-ci par Tom Cruise. Mais il y avait plus. Depuis Dracula Untold en 2014, le studio carressait l'idée d'avoir lui aussi son univers étendu, mais revu et corrigé à la sauce Universal Monsters : un Dark Universe. Cet univers connecté de monstres prévoyait de nombreux films, parmi lesquels la créature de Frankenstein, L'Homme invisible, Van Helsing ou Le Loup-garou.
L'échec de La Momie en 2017 a rebattu toutes les cartes. Censé véritablement lancer cet univers connecté en présentant notamment le docteur Jekyll sous les traits de Russell Crowe, La Momie n'a rapporté "que" 409 millions de dollars dans le monde pour un budget de tournage de 125 millions, qui n'inclut pas le budget marketing du film d'au moins 100 millions. Autant dire une gifle.
Quatre mois plus tard, Universal annonca la mise en stand by du remake de La Fiancée de Frankenstein, qui était alors en pré-production : "Aucun de nous ne veut aller trop vite pour respecter une date de sortie alors que ce film est particulier et que l'on a besoin de temps pour l'améliorer" déclarait le studio dans un communiqué, cité par Deadline Hollywood.
L'estocade intervient en novembre 2017. Selon le Hollywood Reporter, Alex Kurtzman et Chris Morgan, architectes en chefs de ce Dark Universe, quittaient le projet suite à L'échec de La Momie. Chris Morgan est ainsi reparti travailler sur la licence Fast & Furious, tandis que Kurtzman s'est plongé dans l'univers de Star Trek : Discovery pour la TV. "Nous avons tenté d'entremêler nos monstres et ça a raté" lâchait lucidement Donna Langley, PDG de Universal, au micro du Hollywood Reporter, en février 2020. "Nous avons réalisé que ces personnages sont indélébiles pour une raison [...] et que le monde n'a certainement pas demandé un univers partagé de monstres classiques. Nous sommes donc revenus en arrière et avons créé une approche différente : le cinéaste d'abord, le budget après." Clap de fin pour le Dark Universe.