Un film est avant tout une oeuvre de fiction, fruit d'un choix de mise en scène et de dramaturgie effectué par le réalisateur / réalisatrice. Même si l'oeuvre en question s'appuie largement sur des faits et des personnages ayant réellement existé, et que les cinéastes invoquent souvent à raison la liberté d'expression et de création, il reste que certains portraits brossés dans les films ont parfois provoqué une vive colère ou un désaveu cinglant de la part des familles concernées, ou de l'entourage plus large. Lesquels ne se sont pas privés de le faire savoir. Voici cinq exemples.
Titanic
Le film Titanic de James Cameron n'a pas fait que des heureux... Comme l'un des descendants de William Murdoch, solidement incarné dans le film par le comédien Ewan Stewart. Premier officier à bord du Titanic, ce dernier fut en charge du navire lorsque celui-ci heurta l'iceberg qui se révélera fatal.
Lorsque l'évacuation du navire fut ordonnée, des témoins le verront aider les gens à grimper à bord des canots de sauvetage depuis le pont supérieur. Charles Lightoller, deuxième officier à bord du Titanic, chargé de diriger l'évacuation des canots du côté bâbord du navire (et qui sera l'officier le plus gradé à survivre), témoignera avoir vu son collègue et supérieur Murdoch aider les gens, tandis que lui-même s'éloignait à bord d'un canot de sauvetage. Murdoch périra dans la catastrophe.
Dans le film de Cameron, sans doute pour accroître la tension dramatique de la séquence du naufrage, le réalisateur montre William Murdoch acceptant un pot-de-vin de Cal Hockley (Billy Zane), en échange d'une place garantie à bord d'un canot. Puis, un peu plus tard, faire usage de son revolver à deux reprises contre des passagers paniqués, avant de retourner l'arme contre lui et mettre fin à ses jours.
Si certains témoins affirmèrent avoir entendu des coups de feu après avoir quitté le navire, tandis que d'autres assurèrent avoir effectivement vu un officier faire feu sur des passagers pour tenter de contrôler la foule, aucun témoignage n'a pourtant identifié spécifiquement le premier officier William Murdoch. De même, le récit concernant le suicide supposé de cet officier n'a jamais pu être corroboré.
Reste que le choix de James Cameron n'a pas été au goût de tous. Ces scènes ont particulièrement choqué dans la ville natale de Murdoch, Dalbeattie, et ont conduit à une plainte menée par le neveu de Murdoch, alors âgé de 80 ans. Les producteurs du film ont finalement accédé à la plainte et fait des excuses publiques, argumentant que l'officier était également présenté comme un héros qui s'est démené pour charger les canots du mieux qu'il le pouvait. Le vice-président de la Twentieth Century Fox de l'époque, Scott Neeson, s'est même rendu en personne dans la ville de Dalbeattie, pour présenter ses excuses au neveu de Murdoch. La production a également fait don de 5 000 £ pour aider au financement du prix attribué chaque année en l'honneur de Murdoch dans son école.
Greenbook : sur les routes du Sud
Auréolé de l'Oscar du Meilleur film en 2019 sur les trois décernés, Greenbook : sur les routes du Sud était co-écrit par Nick Vallelonga, qui n'est autre que le fils aîné de Tony Lip, incarné à l'écran par Viggo Mortensen. Soit l'histoire de Tony Lip, un videur italo-américain du Bronx, engagé pour conduire et protéger le Dr Donald Shirley, un pianiste noir de renommée mondiale, lors d’une tournée de concerts. Une histoire émouvante qui se déroule en 1962, sur fond de ségrégation raciale et des débuts du Mouvement des Droits civiques.
Bénéficiant d'un très chaleureux accueil critique et public, le film de Peter Farrelly fut pourtant torpillé par la famille du Dr Shirley, qui trouva le film "au mieux, insultant", tout en soulignant que l'amitié entre Tony Lip et Donald Shirley était complètement inventée. Selon le frère de Donald Shirley, Maurice, le musicien "avait trois frères avec lesquels il était tout le temps en contact. Il ne se passait pas un mois sans que j'ai au moins une conversation téléphonique avec lui !" lâchait-il. L'inverse de ce qui est montré dans le film, où Shirley n'a pas de contact avec sa famille.
Pour la famille, les relations entre les deux personnages dans le film n'ont jamais ressemblées à de l'amitié. "Il a viré Tony !" lâchait Maurice, tandis que sa femme expliquait que c'était une relation "d'employeur à employé". Pour la nièce de Donald Shirley, Carol, le film était "la vision d'un homme blanc sur la vie d'un homme noir [...]". Quant au neveu de Donald Shirley, Edwin, il ajouta que son oncle n'a jamais voulu que l'on fasse un film sur lui, et qu'il avait d'ailleurs décliné plusieurs propositions auparavant. Si Nick Vallelonga et Peter Farrelly ont affirmé avoir tenu à faire un film fidèle et respectueux, cela n'a pas empêché Mahershala Ali de se fendre d'un coup de fil auprès de la famille pour s'excuser : "si je vous ai offensé, j'en suis profondément désolé. J'ai fait du mieux que je pouvais avec les moyens qu'on m'a donné".
De l'ombre à la lumière
Vous vous souvenez peut-être avoir vu le film de Ron Howard, De l'ombre à la lumière, sorti en 2005 ? Porté par Russell Crowe, le film évoquait l'émouvante histoire vraie de Jim Braddock, un ancien boxeur contraint d'abandonner le ring, avant de devoir y remonter pour subvenir aux besoins de sa famille, plongée comme des millions d'autres dans l'Amérique de la Grande Dépression. Surnommé Cinderella Man, parce que son ascension et ses succès ressemblaient à un conte de fée, il s'est retrouvé contraint d'affronter Max Baer, le champion du monde poids lourd. Une machine à tuer sur le ring, au sens le plus littéral du terme.
De là la controverse née autour du film : le fils de Max Baer a peu goûté la vision que livre Ron Howard de son père, dépeint dans le film comme une brute épaisse sanguinaire, grossier même, n'hésitant pas à dire à l'épouse de Braddock qu'il en fera sa femme après avoir écrasé son mari sur le ring... Jeremy Schaap, l'auteur du livre dont s'est inspiré le film, va d'ailleurs dans le sens du fils de Max Baer : son père était quelqu'un de très respectable et respecté en dehors du ring, et fut même profondément marqué psychologiquement pendant des années par la mort de son adversaire sur le ring, Frankie Campbell. Et non pas deux adversaires, comme dans le film du meilleur ami de Fonzie.
"J'ai un grand respect pour Ron Howard, mais il ne m'a jamais appelé pour quelque information factuelle que ce soit concernant mon père. Ils ont complètement déformé son personnage. Ils n'avaient pas besoin d'en faire un ogre pour faire de Jim Braddock un héros. Mon père a pleuré à propos de ce qui s'est passé pour Frankie Campbell; il en a fait des cauchemars. Il a même aidé à scolariser les enfants de Frankie jusqu'au lycée" expliquait le fils de Baer.
Ajouté à cela la réaction de la communauté juive américaine, toujours à propos de Max Baer, qui était de confession juive. Si le film ne peut être taxé d'antisémitisme, elle n'a pas apprécié le portrait peu reluisant qui a été fait du personnage. C'est que Max Baer n'était pas n'importe qui : salué comme un héros et modèle par la communauté juive, c'est lui qui terrassa en 1933, au bout du 10e Round par KO, le boxeur allemand Max Schmeling, ancien champion du monde poids lourd et surtout fierté nationale du IIIe Reich. C'est dire le symbole...
Once Upon a Time... in Hollywood
Désenchanté et émouvant, Once Upon a Time... in Hollywood de Quentin Tarantino a largement sû conquérir la critique et le public avec son film. Dans cet hommage foisonnant aux acteurs et actrices dans un Hollywood revisité, on y croise même la route d'un Bruce Lee très / trop sûr de lui, pour ne pas dire carrément arrogant. Il s'agit en l'occurence de la désormais fameuse séquence où l'acteur / réalisateur et maître des arts martiaux fanfaronne sur un plateau de tournage, et se vante de pouvoir battre le boxeur Mohammed Ali, avant de provoquer un combat avec le cascadeur Cliff Booth (interprété par Brad Pitt) qui se moque de son attitude.
Pour le plaisir, la séquence, ci-dessous..
Interrogée par le site The Wrap, la fille de Bruce Lee, Shannon Lee, avait confié ne pas avoir été contactée par Tarantino à propos de son père, tout comme elle n'a pas caché son vif agacement à propos du portrait qui en est fait : "Je comprends qu'ils veuillent faire du personnage de Brad Pitt quelqu'un de super bad-ass qui pourrait battre Bruce Lee, mais ils n'avaient pas besoin de le traiter de la façon dont le Hollywood blanc de l'époque l'a fait de son vivant. il est montré comme un trou du cul arrogant qui brasse de l'air, et pas comme quelqu'un qui a dû lutter trois fois plus que les autres pour accomplir ce qui était naturellement donné à d'autres (...). Ce qui m'intéresse c'est de sensibiliser au fait que Bruce Lee était un être humain et à la façon dont il a vécu sa vie. Tout cela a été mis à mal et a fait de mon père un sac de frappe arrogant". Avant de conclure par un lapidaire : "C'était très désagréable de m'asseoir au cinéma et d'entendre les gens se moquer de mon père".
Interpellé à ce sujet lors d'une interview promotionnelle du film à Moscou en août 2019, Tarantino s'est défendu d'avoir déformé la réalité : "Bruce Lee était un type plutôt arrogant", déclara-t-il dans des propos rapportés par le site Variety. "La manière dont il s'exprimait, je n'ai pas tout inventé. Je l'ai entendu dire des trucs comme ça. Les gens prétendent qu'il n'a jamais dit qu'il pouvait battre Mohammed Ali, et bien si, il l'a dit. Non seulement il l'a dit mais sa femme, Linda Lee, a rapporté ces propos dans sa première biographie que j'ai lu. Elle a tout à fait dit ça."
Pour justifier ce choix de représentation, Q.T. invoqua justement le principe de la fiction : "si on me demande : "qui gagnerait dans un combat entre Bruce Lee et Dracula ?" c'est la même chose. Il s'agit d'un personnage de fiction. Si je dis que Cliff peut battre Bruce Lee, c'est un personnage de fiction donc c'est possible. Voilà la réalité de la situation : Cliff faisait partie des Forces Spéciales. Il a tué beaucoup d'hommes pendant la Seconde Guerre mondiale dans des combats à mains nues. Ce que Bruce Lee veut dire dans tout ça, c'est qu'il admire les guerriers avant tout. Il admire le combat, et la boxe est ce qu'il s'approche le plus du combat dans le sport. Cliff ne pratique pas un sport, c'est un guerrier (...) Si Cliff devait se battre contre bruce Lee dans un tournoi d'arts martiaux dans un stade, Bruce le tuerait. Mais si Cliff et Bruce se battaient dans la jungle des Philippines dans un combat à mains nues, Cliff le tuerait."
Des explications que n'a pas franchement apprécié Shannon Lee, qui lâcha au micro de Variety : "Il pourrait juste la fermer. Ce serait vraiment sympa. Ou alors il pourrait s’excuser et dire "Je ne sais pas vraiment qui était Bruce Lee. Je l’ai décrit de cette façon dans mon film, mais il ne faut pas le prendre comme le reflet de ce qu’il a vraiment été".
Tolkien
On ne présente guère plus J.R.R. Tolkien, considéré à juste titre comme l'un des pères de la Fantasy Moderne, auteur entre-autre de la saga du Hobbit et du Seigneur des Anneaux. En 2019, un biopic signé par Dom Karukoski et porté par Nicholas Hoult est sorti dans les salles obscures. Plutôt que de balayer tout le spectre de la vie de cet immense écrivain, le choix du film, plutôt intelligent, fut d'esquisser un portrait de ses jeunes années, des expériences qui le façonnèrent et le marquèrent, comme la Première guerre mondiale. Et qui, in fine, eurent une profonde influence sur son activité créatrice. S'il n'était pas le film de l'année, le spectacle offert ne déméritait pas non plus, avec une incarnation de Hoult plutôt habitée.
Ci-dessous, la bande-annonce du film...
C'est peu dire que la fondation Tolkien et la famille de l'écrivain n'ont pas du tout vu d'un bon oeil le film, et dès le départ... Gardienne absolue du temple de la mémoire de l'écrivain, la fondation est réputée pour être très sourcilleuse sur la gestion de l'héritage de ce dernier, et de son patrimoine. Elle engagea même en 2012 un bras de fer juridique avec Warner Bros pour violation de copyright et rupture de contrat, et réclamait à la Major 80 millions $ de dédommagements. La bataille dura cinq ans, pour s'achever en 2017 avec un accord à l'amiable.
A l'annonce du projet du film Tolkien, la fondation publia un communiqué de presse cinglant : "La famille de J.R.R. Tolkien et la fondation Tolkien apprennent qu'un film intitulé "Tolkien", produit par Fox Searchlight, doit sortir en mai 2019. La famille et la fondation tiennent à clarifier le fait qu'elles n'ont approuvé en aucune manière, ou autorisé, ou participé, à la création du film. Elles ne l'approuvent pas, ainsi que son contenu, de quelque manière que ce soit".
Mais le studio a quand même tenu bon : "nous sommes très fiers du film Tolkien de Dom Karukoski, qui se concentre sur les jeunes années de l'extraordinaire vie de J.R.R. Tolkien, et ne décrit pas les éléments présents dans ses oeuvres. Même si nous n'avons pas travaillé sur ce projet avec la fondation Tolkien, l'équipe du film a eu le plus profond respect et admiration pour monsieur Tolkien et sa phénoménale contribution à la Littérature". Une profession de foi qui n'a malheureusement pas suffit à sauver le film d'une désastreuse carrière en salle, ne récoltant au box office mondial pas même 10 millions $. Une gifle cinglante.